Je suis tombé amoureux de Jiro Taniguchi et de son style avant de réellement m’intéresser au manga. C’est lorsque j’ai commencé à travailler en médiathèque que j’ai eu l’occasion d’emprunter Quartier Lointain, que nous avions en rayon. Je dois avouer que j’ai été intéressé car j’avais vu le cinéaste Guillermo Del Toro (que j’admire) dire sur twitter que Taniguchi était un des plus grands conteurs d’histoire vivants (oui, il n’était pas mort à l’époque). Lire ça de la part d’un artiste que j’admire m’a donné envie de me lancer, et par chance, Quartier Lointain est souvent cité à juste titre comme un de ses chefs d’oeuvre. De ce fait, j’ai été tout de suite conquis et c’est ainsi que je me suis lancé à la découverte de cet auteur, à une époque où les seuls mangas que je possédais étaient Dragon Ball. Découvrons donc ensemble cet auteur et ce qui fait la spécificité de son oeuvre.
Qui est Jiro Taniguchi ?
Avant d’aborder l’artiste, revenons un instant sur la personne. Jiro Taniguchi est né le 14 août 1947 à Tottori et mort le 11 février 2017 à Tokyo. Sa ville natale sera le cadre de plusieurs de ses œuvres, dans lesquelles ont retrouve souvent un fort caractère autobiographique. Il a par exemple été marqué par le grand incendie de Tottori, en 1952, qui se retrouve dans son oeuvre la plus résolument autobiographique, Le Journal de mon père. Venant d’une famille assez pauvre et ayant la santé fragile, il passe beaucoup de temps à lire et dessiner. C’est en 1969 qu’il s’installe à Tokyo dans le but de devenir mangaka. On peut sans soucis imaginer qu’il s’est beaucoup inspiré de son expérience personnelle pour écrire Un Zoo en hiver, magnifique manga qui raconte les débuts d’un jeune auteur en devenir qui s’installe à Tokyo. Il publie son premier manga en 1970, Kareta Heya, et devient par la suite assistant de Kazuo Kamimura (auteur notamment du Club des Divorcés). C’est alors qu’il découvre la bande dessinée européenne qui va beaucoup l’influencer. C’est peut-être cette influence qui explique l’aura dont dispose Taniguchi en France, où il est considéré à juste titre comme un auteur majeur. Il a d’ailleurs confié ceci en 2013 :
Le paradoxe, c’est que tout en étant mangaka, mon style est assez proche de la bande dessinée à l’européenne et que je mets beaucoup d’éléments dans chaque image. Je me situe sans doute entre la BD et le manga de ce point de vue. Et c’est peut-être ce qui fait que pour certains lecteurs japonais mes mangas sont difficiles à lire…
Il dit également avoir été davantage influencé par les auteurs européens que par les japonais, et a collaboré à plusieurs reprises avec des artistes français, tels que Moebius avec qui il a écrit Icare, ou Jean-David Morvan pour Mon Année. Il a également participé à la commande de Futuropolis et du Musée du Louvre, qui ont invité une douzaine d’auteurs dont lui et Naoki Urasawa, à écrire un album se déroulant dans le musée (ce qui a donné pour lui le magnifique Les Gardiens du Louvre, dont l’édition est tout simplement splendide). Cette parenté avec le style européen fait qu’on trouve des formats très variés dans son oeuvre, allant du format manga classique au format BD à l’européenne en passant même par le format à l’italienne pour son dernier titre, La Forêt Millénaire.
Il a également eu droit à une exposition consacrée à son oeuvre au Festival d’Angoulème de 2015. Exposition qui a été reprise l’année suivante à Versailles. Après sa disparition des suites d’une longue maladie en 2017, une exposition lui étant à nouveau consacrée a été organisée par plusieurs éditeurs au Salon du Livre de Paris. Une dernière façon de rendre hommage à un auteur majeur, bien plus pour les français que pour les japonais. Enfin, deux de ses mangas ont déjà eu droit à des adaptations cinématographiques en France avec Quartier Lointain de Sam Garbarski et Un Ciel radieux de Nicolas Boukhrief.
Les Thématiques et le style de Taniguchi :
Me concernant, plusieurs thématiques récurrentes me sautent directement aux yeux lorsque je pense à Jiro Taniguchi. Tout d’abord, je trouve que c’est un mangaka du quotidien, mais surtout de la flânerie. Il s’est fait connaitre en France en 1995 avec la parution de L’Homme qui marche, qui représente parfaitement ce pan de son oeuvre. On peut décrire ce type de manga comme étant assez peu narratif, cherchant plutôt à capturer des moments de vie (voire de flottement), en développant ce que certains qualifient de « philosophie de la promenade », propice à la contemplation, au retour sur soi et à l’introspection. Ces mangas sont ainsi plutôt centrés sur les ambiances et les pistes de réflexions proposées. On peut en citer plusieurs dans ce style, tels que Le Promeneur, mais également les deux tomes du Gourmet solitaire, qui sont selon moi des flâneries culinaires. Et cet aspect de son style transparaît également dans des œuvres plus structurées et narratives de l’auteur, telles que Les Années Douces (orienté sur des moments de rencontre et parfois de balade entre deux personnages), Un Zoo en Hiver ou même Quartier Lointain.
Une autre thématique importante dans l’oeuvre de Taniguchi est son rapport à la famille. Un certain nombre de ses mangas ont un côté autobiographique, le plus évident étant comme je l’ai déjà signalé Le Journal de mon Père. En effet, il nous raconte l’histoire d’un homme qui retourne à son village natal de Tottori pour les funérailles de son père, qu’il n’avait pas vu depuis des années. Je ne vais pas m’étendre sur les détails de l’histoire car un article sur le manga est à venir. Mais il traite de la question de la famille, du rapport au père et de ce que cela implique de s’éloigner des siens. De la même façon, Quartier Lointain et Un Ciel radieux sont deux titres qui partent d’un postulat fantastique pour amener le personnage principal à remettre en question sa vision de la famille et éventuellement, à réparer les erreurs du passé concernant son rapport à cette famille.
Il y a également un versant historique à la carrière de Taniguchi, mais il ne s’agit pas de la partie de son œuvre que je connais le mieux. Je peux néanmoins vous dire qu’il a écrit plusieurs histoires d’époque, parfois centrées sur des personnages ayant existé, qui se déroulent au Japon. Dans le genre, on peut citer Furari, Elle s’appelait Tomoji, Au temps de Botchan (5 tomes), Kaze No Sho… A cela s’ajoutent ses mangas qui se passent aux États-Unis dans un contexte historique et géographique très différent (que ce soit les récits type western ou les histoires de trappeurs héritées de Jack London). Mais comme je l’ai dit, je ne connais pas encore très bien ce versant de son œuvre, que j’approfondirai avec plaisir quand l’occasion se présentera.
Mais son autre thématique majeure selon moi, vient de son travail récurrent sur notre rapport à la nature et aux animaux. Cet aspect de son œuvre est même tellement riche qu’il serait compliqué de résumer cela en quelques paragraphes. Il y a d’un côté une emphase régulièrement mise sur les animaux domestiques, en particulier les chiens que l’on retrouve dans ses récits de flânerie (et qui accompagnent durant les promenades) mais surtout dans Le Journal de mon père, où un chien est beaucoup mis en avant durant une partie de l’histoire. Le rapport aux animaux domestiques est également au cœur de plusieurs nouvelles que l’on retrouve dans le recueil Terre de Rêves, à travers la question du deuil d’un animal, et de l’adoption de nouveaux animaux par la suite. Enfin, les deux volumes des Enquêtes du Limier (petite pépite méconnue de l’auteur) traitent du rapport plus utilitariste que l’on a aux animaux avec la question des chiens d’aveugles dans le premier tome, et des chevaux de compétition dans le second. Mais au-delà de ces exemples, la question des animaux semble traverser en filigrane une grande partie de son oeuvre, tout comme celle de la nature. En effet, que ce soit dans Le Sommet des Dieux (5 tomes), Les Contrées sauvages, L’homme de la Toundra, Seton, ou encore de nombreux autres volumes où la nature a une place secondaire, le rapport de l’homme à celle-ci est traité dans toute sa densité et sa complexité. Cela peut aller du récit de dépassement de soi face à une montagne (au propre comme au figuré), du combat de l’homme contre les prédateurs sauvages, ou au contraire de la sauvegarde de ces derniers… En bref, le rapport à la nature est omniprésent dans l’oeuvre de Taniguchi et me semble être la thématique la plus importante de l’auteur, devant même la famille.
Et au-delà des thématiques évoquées, l’auteur n’a pas hésité dans sa carrière à aborder le récit de genre, du polar à la science-fiction en passant par les sports de combat. Parfois dans des mangas qu’il a écrit lui-même, d’autre fois dans des collaborations. Tout ceci venant enrichir une carrière extrêmement riche et variée.
D’un point de vue stylistique et visuel (même si je ne suis pas très doué pour analyser cet aspect), ce que je remarque chez lui est sa propension à dessiner des planches très réalistes et chargées de détails, en particulier concernant les décors. Et ce, que ses œuvres se situent dans un cadre urbain, campagnard, ou carrément dans la nature. Ainsi, on ressent toujours beaucoup de vie et on est facilement transportés dans les ambiances qu’il crée, chose qui me semble indispensable dans les récits qu’il développe, en particulier lorsqu’il s’agit de flânerie. Il est de ce fait passé maître dans l’art de dessiner la nature dans toute sa beauté et sa richesse, ceci incluant la faune. En effet, il a beaucoup travaillé sur les animaux et les dessine comme personne. Que ce soit les chiens, les chats, les ours ou autres animaux sauvages, son trait est précis et réaliste et rend toujours parfaitement honneur à leur beauté naturelle. Je n’ai pas vraiment les mots pour décrire son esthétique, mais elle est immédiatement reconnaissable et est, selon moi, toujours en adéquation avec les ambiances et thématiques de ces œuvres, et contribuent grandement à leur identité et à l’impact qu’elles ont sur moi.
Bibliographie sélective :
Pour terminer, je vous propose une section bibliographique qui sera enrichie au fil des articles que j’écrirais concernant ses œuvres. L’objectif ne sera pas de lister tous ses mangas, mais simplement de lister tous ceux que j’ai lu et dont j’ai écrit un avis. Ainsi, en cliquant sur les titres, vous serez redirigés vers mes articles concernant les titres en question. Cette bibliographie sera donc mise à jour assez régulièrement.
Le Promeneur, d’après un scénario de Masayuki Kusumi (2006)
Mon Année, tome 1, Printemps, scénario de Jean-Baptiste Morvan (2009)
Jiro Taniguchi, une Anthologie (2010)
Les Enquêtes du Limier, d’après un roman d’Itsura Inami (2013)
Le Gourmet Solitaire, Intégrale, d’après un scénario de Masayuki Kusumi (2019 pour l’intégrale)
J’ai « Le journal de mon père » sous les yeux à la médiathèque, je ne l’ai jamais ouvert, mais ton article me donne terriblement envie de le découvrir.
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C’est mon préféré, fonce !
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Ca marche, merci du conseil ! 😀
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Cet auteur a tellement apporté à la culture Japonaise.. 😍😍
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Et à ma culture perso !
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