Mon avis sur… Shy T.1&2 de Bukimi Miki

Shy

Parmi les sorties importantes de ce début d’année 2021, on compte Shy de Bukimi Miki, aux éditions Kana. Le titre est présenté comme un coup de coeur éditorial, dans le genre roi qu’est le shonen nekketsu, mais se propose de réfléchir un peu sur les codes du genre, essayant de prendre un peu de hauteur par rapport à certains de ses éléments constitutifs, afin de tracer sa propre route. Ayant reçu les deux premiers tomes de la part de l’éditeur, que je remercie au passage, je vais pouvoir vous dire ce que j’en pense. Je vous invite par ailleurs à jeter un œil sur l’extrait disponible sur le site de Kana afin de vous faire un premier avis.


Dans chaque pays, il existe un héros prêt à sauver le Monde.

L’héroïne du Japon est une grande timide et n’est pas très populaire. Pourtant, Shy fait de nombreux efforts et elle est prête à risquer sa vie pour sauver toute personne qui se trouverait en danger !

Mais Shy devra surtout trouver la confiance en elle nécessaire pour affronter la plus grande menace qui pèse sur la planète…

Avant de commencer, resituons un peu le titre. Shy est la première série de Bukimi Miki, prépubliée depuis 2019 dans le Shonen Champion de Akita Shoten, magazine qui n’a pas l’aura des poids lourds du genre mais dans lequel a notamment été prépublié un certain Prisonnier Riku (ainsi que Beastars). Un magazine qui est donc plutôt intéressant et qui a su dénicher des perles. Du côté de Shy, le titre se porte bien et va déjà voir son 7e tome arriver au Japon, alors que les deux premiers sont sortis conjointement en France chez Kana. L’éditeur semble beaucoup croire en ce titre, le mettant pas mal en avant notamment via un coffret collector pour le lancement.

Et après lecture des deux premiers tomes, je serai tenté de dire que l’éditeur a raison de croire dans ce titre. En effet, il y a un certain nombre d’éléments qui lui donnent à la fois un potentiel commercial certain, mais aussi un vrai intérêt narratif et artistique. Car si le titre reprend un certain nombre de codes assez classiques du nekketsu et du récit super héroïque, il se propose aussi dans le même temps de prendre de la hauteur par rapport aux-dits codes, afin de tracer sa propre voie, et développer un discours assez pertinent sur plusieurs thématiques. Voyons tout cela dans l’ordre !

Des codes classiques…

Tout d’abord, concernant les codes classiques abordés, il est en effet difficile de nier le fait qu’on soit en terrain relativement connu avec cette adolescente normale qui a en réalité une double identité, étant Shy, la super-héroïne du Japon. Car dans cet univers, chaque pays a son super-héros, que ce soit la Russie avec son héroïne portée sur la vodka, l’Angleterre et son héros rock star un brin sociopathe, etc… Des personnages hauts en couleurs dont plusieurs nous sont déjà présentés avec une certaine densité dans ces deux premiers tomes, et qui risquent d’être un des points forts du titre. Et s’ils sont pour le moment esquissés rapidement, ils n’en restent pas moins intéressants chacun à leur manière, quand bien même ils sont très ancrés dans le genre.

Sauver tout le monde

De même, Shy, jeune héroïne très timide (d’où son nom), semble encore être en apprentissage, et assez peu à son aise avec son rôle d’héroïne, chose encore une fois assez classique. Et le fait qu’elle se confronte à ses carences en tant qu’héroïne, qu’elle se remette en question vis-à-vis de son rôle de modèle pour les gens est encore une fois un thème ultra classique du genre super héroïque, que ce soit en manga avec My Hero Academia, dans les comics ou les films de super héros, les exemples sont légions et ce n’est donc pas forcément sur ce point que Shy va tirer son épingle du jeu.

Et le développement de l’héroïne et la nécessité de suivre un entrainement à la dure, ainsi que la force de sa volonté qui permettent de surmonter les premiers obstacles contribuent encore une fois au classicisme de la formule globale. Mais on ne le dira jamais assez, le classicisme n’est pas un défaut tant que c’est maîtrisé, et c’est fort heureusement le cas ici. Les éléments importants de ce genre de récit sont traités avec soin, en particulier le personnage de Shy. On se prend vite d’empathie pour elle, créant un attachement vis-à-vis du personnage qui permet de ressentir des choses, et de bien percevoir les valeurs morales dont elle est porteuse. Les premiers antagonismes mis en avant ainsi qu’un début de caractérisation d’univers sont suffisamment efficaces pour qu’on ait envie de poursuivre. Et les quelques péripéties sont très bien menées. Pour dire les choses simplement, ça se lit tout seul, et on est content d’avoir d’emblée deux tomes pour ne pas trop rester sur notre faim.

Enfin, l’esthétique est également à l’avenant. Si la mangaka n’a pas un style des plus reconnaissables et personnels, il est indéniable que tout est efficace ici, que ce soit le character design global qui arrive à donner à chaque héros un look bien spécifique, ou le découpage global qui met bien en valeur l’action par son dynamisme et sa lisibilité. Sans être incroyablement virtuose, c’est vraiment du bon travail !

Mais là où le titre a une carte à jouer, c’est dans son travail sur son héroïne et sur les valeurs morales transmises. Si on reste dans les codes du genre aussi sur ce point, j’ai le sentiment que la mangaka a déjà mis en place quelques éléments pour prendre un peu de hauteur par rapport à tout cela. Évidemment, ce sera à confirmer dans les tomes suivants, mais ces deux premiers volumes portent déjà en germe des choses intéressantes.

… avec une pointe d’originalité

Le coeurLes quelques éléments originaux du manga viennent surtout du personnage de Shy, et de la façon d’utiliser les pouvoirs dans cet univers. En effet, les héros ont la capacité de se transformer via la volonté qui est dans leur cœur, qui grâce à des bracelets aux poignets, déclenche les pouvoirs et la transformation. Ensuite, chaque héros est doté d’aptitudes propres, et on commence à découvrir celle de Shy dans ces deux premiers tomes. L’idée de pouvoirs liés à la force de la volonté et du cœur n’est pas nouvelle en soi, mais rendre cet aspect central contribue au discours du manga, centré sur l’altruisme, l’empathie et le soucis de l’autre.

Sur ce point, un élément loin d’être anodin et qui m’a fait très plaisir vient du premier affrontement mis en scène. Shy se retrouve face à une camarade dont le cœur est rongé par la haine, ce qui fait que cette dernière commence à se transformer. Et je ne sais pas pour vous, mais un point avec lequel j’ai parfois du mal dans le nekketsu classique vient du fait de résoudre toute forme de conflit par un pétage de gueule des familles. Comme si la violence était la seule solution face à la violence. Or, dans ce premier affrontement, Shy va résoudre le conflit d’une façon opposée, via la bienveillance, l’empathie et la compréhension de l’autre.

Et ça m’a fait grandement plaisir ! Le soucis par contre c’est que dès le second tome, les conflits mis en place font bien plus nekketsu classique. J’espère de ce fait que la mangaka trouvera un équilibre entre l’impératif de bagarre et ce côté « caring » qui me parle bien avec le personnage de Shy.

Quand on aime quelque choseDe même, le fait que le personnage principal soit une jeune fille est plutôt rafraîchissant. Je ne doute pas qu’on puisse trouver des exemples de nekketsu avec un personnage principal féminin, mais c’est quand même plus l’exception que la norme. Or, on associe certains traits de caractère à la féminité (à tort selon moi, c’est surtout une question d’éducation genrée que de réelle disposition féminine ou masculine), comme l’empathie, qui sont au centre du récit ici, et qui sont je pense liés au fait de présenter une héroïne. De plus, proposer un modèle d’identification féminin dans un genre qui en manque bien souvent est un point vraiment positif pour les lecteurs et lectrices, et je pense d’ailleurs que la mangaka a fait ce choix pour s’adresser aux deux sexes. C’est d’autant plus évident qu’on a droit à cette réplique de la bouche de Shy : « Quand on aime quelque chose, le sentiment est toujours le même ! Le fait que l’on soit une fille ou un garçon importe peu ! ».

Et pour moi, tout ceci n’est pas anodin et constitue le cœur du titre. Évidemment, ce n’est pas en deux tomes que l’on peut savoir où la mangaka va mener tout ceci, mais je pense que c’est l’élément qui pourrait aider la série à se démarquer. Car si elle sait se rendre efficace dans son storytelling et sa mise en scène, elle arrive surtout à être très attachante par sa volonté évidente de dépasser certains codes classiques afin de proposer un récit qui mette en avant l’ambiguïté de la figure héroïque dans son rapport aux conflits qui se résolvent systématiquement dans la violence.

En conclusion

De ce fait, si Bukimi Miki arrive à développer comme il se doit par la suite les éléments très intéressants mis en place, en conciliant les impératifs du genre avec ses modèles comportementaux, elle a de bonnes chances de réussir à rendre sa série vraiment passionnante. Comme toujours, ce n’est pas sur deux tomes que l’on peut juger la réussite d’une oeuvre fleuve comme celle-ci, mais ce qui est certain, c’est que les bases posées sont de qualité.

En proposant une histoire qui entre dans des schémas classiques qui ont fait leur preuves tout en cherchant à réfléchir sur ces schémas pour prendre un peu de hauteur, la mangaka offre à sa série un début très convainquant. Si l’empathie et le soucis de l’autre sont globalement des valeurs que l’on retrouve souvent dans le nekketsu, Shy propose une vision déjà assez personnelle de la question, assumant pleinement sa volonté de mettre en scène une figure d’identification féminine porteuse de sens et de valeurs positives. Et rien que pour ça, ce début de série est vraiment attachant.

Je suis Shy

15 commentaires

  1. Hum le dessin me plaît bien, mais je ne suis vraiment pas attirée par ce genre de manga. En ce moment, j’aime plus les histoires courtes où il y a un problème central à résoudre et non les mangas à rallonge où à chaque tome le héros est confronté à un nouveau vilain qui va le faire évoluer …

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  2. Le titre ne m’attirait pas de premier abord mais entre ta chronique et celle de Sofia, j’ai changé d’avis. Le fait de jouer en quelques sortes sur des codes très classiques pour proposer quelque chose de positif et « caring » me parle.
    Merci pour ce bel avis.

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    • De rien !
      Après je ne te cache pas qu’il y a quand même le risque que ça reste assez classique, c’est encore difficile à dire. Pour le moment il y a des petites touches que j’ai évoqué, surtout dans le premier tome.

      Personnellement, comme je l’ai dit j’espère que la mangaka arrivera à trouver un équilibre sur ces deux aspects pour que la série ait un style qui lui est propre.

      Quoi qu’il en soit c’est efficace et soigné, donc on peut s’autoriser à y croire !

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  3. « Quand on aime quelque chose, le sentiment est toujours le même ! Le fait que l’on soit une fille ou un garçon importe peu ! » J’aime beaucoup cette citation. Je t’avoue que les couvertures ne faisaient pas trop envie mais ce que tu en dis me pousse à reconsidérer la question 😀

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    • Et bien si tu tentes le coup j’espère que ce sera à ton goût.
      Comme je l’ai dit, les choses intéressantes restent à confirmer par la suite mais je trouve qu’il y a du potentiel et que la série peut réussir à se démarquer si la mangaka va dans la bonne direction.

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  4. Je me tâte. Ta chronique me donne envie de me faire mon propre avis mais j’ai peur que ce soit trop gentillet et bienveillant à mon goût 😅 par contre je suis contente de voir un shonen nekketsu avec une fille comme héroïne. Ça change et je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup en réalité. Je cherche la sans trouver..

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    • Je m’étais déjà posé la question avec d’autres sur Twitter, et une fille en réel personnage principal de nekketsu ça doit effectivement être dur à trouver. Mashima triche un peu avec ça sur Fairy Tail car Lucy est la narratrice et pourrait être considérée comme le personnage principal, mais dans les faits on suit bien plus Natsu.

      Après, je ne te cache pas que Shy est en effet très gentillet sur ces deux premiers tomes. Mais j’aime assez que le premier conflit ne se résolve pas en partage de tronche, ça je fais souvent la grimace dans les mangas du genre quand le héros fait son petit discours en mode « c’est pas bien d’être méchant, malgré nos divergences nous pourrions être amis », avant de démonter copieusement la tronche de l’autre 🤣

      Donc à voir !

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      • C’est pas tant le fait qu’elle résolve le conflit par le dialogue, je trouve ça plutôt bien, c’est… Je sais pas, l’ambiance globale qui me parait un peu gnangnan, enfin à mon goût quoi. Je vais le feuilleter pour voir.
        Et dans Fairy Tail je dirais que le manga raconte quand même davantage l’histoire de la guilde, d’où le titre, et qu’il y a pas mal de personnages féminins même si oui Natsu est au centre de beaucoup de chose et qu’il y a des femmes très badass. Disons que Mashima est plutôt sur une forme de parité, c’est pas encore une héroïne quoi.

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      • Alors je ne vais pas te mentir, il y a en effet un côté légèrement gnangnan dans Shy, qui vient d’ailleurs en partie du personnage.
        Étant un mec un peu gnangnan sur les bords ça ne me dérange pas, mais du coup je préfère te le préciser.

        Pour le cas de Mashima, je suis d’accord et je pense d’ailleurs que la façon dont il met la guilde en avant est une des grosses forces de son titre. Mais en y réfléchissant il fait un peu pareil dans Edens Zero. Il y a un groupe de héros, Rebecca est mise en avant au début mais finalement elle est très en retrait par rapport à Shiki. Du coup oui, ses mangas ont vraiment cette parité que peu de shonen ont, mais j’ai l’impression que ça reste un mec le true héro.

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