Berserk – L’Ère des Châtiments – Le Cycle des Enchaînés

Le Cycle est Enchaînés est clairement le plus court de Berserk, et un des moins chargés narrativement. Il fait presque davantage office de transition entre celui des Enfants perdus et celui de La Naissance, beaucoup plus ample. Sa position bâtarde a fait que j’ai hésité à lui dédier un article complet, du fait de sa faible densité, se déroulant sur moins d’un volume, entre les tomes 16 et 17. Mais il propose malgré tout des choses intéressantes, notamment par rapport au personnage de Farnese, que j’aime tout particulièrement, et qui est régulièrement décriée par les fans de Berserk. De ce fait, rien que pour évoquer le personnage, je me suis dit que ça valait le coup d’aborder ce court cycle.


Mes articles sur les autres arcs et cycles de Berserk :
L’arc du Guerrier Noir
L’arc de l’Âge d’Or
L’Ère des Châtiments – Le cycle des Enfants Perdus


Résumé du cycle

Ce court cycle se situe directement dans la continuité du précédent, celui des Enfants Perdus. Guts est donc poursuivi par les chevaliers de la Sainte Chaine d’Argent, menés par Farnese Vandimion. Si ce groupe avait été introduit dans le cycle précédent, c’est vraiment ici qu’ils seront confrontés au Guerrier Noir, qui est précédé d’une forte réputation. Il finira par être vaincu et capturé, mais s’évadera, prenant Farnese en otage. C’est alors que Serpico, l’écuyer de la jeune femme, les retrouve et fait face à Guts, qui les laissera repartir tous les deux.

Une intrigue relativement simple, mais rendue plus intéressante par l’introduction de la question religieuse, mêlée à celle du désir sexuel, par le biais de Farnese et son rapport à Guts. J’insiste sur ce point, car c’est vraiment le cœur de cette courte partie, et ce sera un élément important concernant la caractérisation de la jeune femme, pour laquelle Miura dresse quelques parallèles avec le héros.

Le point de vue de Farnese sur Guts

Si le cycle précédent prenait un peu de recul sur le personnage de Guts en nous le faisant voir du point de vue de Jill, une jeune fille, sous la forme d’une figure rappelant le Croquemitaine, ce nouveau cycle travaille encore cette question, en épousant cette fois le point de vue de Farnese par moments. Farnese étant adulte, elle a une vision très différente du personnage, et par ailleurs très sexuée.

Miura dresse un parallèle entre les deux personnages, afin notamment de nourrir encore la caractérisation de Guts. Farnese se distingue dans un premier temps par sa foi et sa dévotion, mais aussi par une forme de sadisme. Elle va torturer Guts car il remet en cause à la fois la notion de Dieu et le rapport de la jeune femme à celui-ci. C’est un élément important concernant Farnese, car les motifs de sa dévotion ne semblent pas légitimes. De plus, durant cette scène de torture, Miura insiste sur le corps musclé et meurtri de Guts, ainsi que sur le regard de la jeune femme sur lui, créant une tension sexuelle évidente. Tension sexuelle qui semble liée à la violence dont Farnese fait preuve, et dont le corps de Guts est témoin.

Farnese fouettéeEt si j’insiste sur ce point, c’est parce qu’il me semble que la question des pulsions sexuelles est centrale dans Berserk dans son ensemble, mais aussi concernant le personnage de Guts en particulier. À la fois car il a des traumatismes liés au sexe (plus particulièrement au viol), mais aussi car il est régulièrement rappelé qu’il est lui-même un personnage très sexualisé. Ici, il est un objet de désir pour Farnese, chose qui contribue à fragiliser sa foi.

D’où le fait qu’elle se flagelle suite à cette entrevue, la mise en scène de Miura créant un parallèle visuel entre les blessures qu’elle s’inflige à elle-même et celles que Guts a subi. Ce parallèle me semble important, car je l’interprète comme l’illustration du fait que les deux personnages sont prisonniers de pulsions violentes, et cherchent un moyen de les canaliser (Guts en dirigeant sa colère contre les démons, Farnese en se renfermant dans sa dévotion, qui l’amène aussi à faire des choses extrêmes).

Ce cycle a d’ailleurs débuté avec Guts voyant une figure fantomatique ressemblant à une bête, représentant de façon évidente ses pulsions violentes auxquelles il a peur de céder (et dont la forme annonce quelque chose qui sera introduit bien plus tard).

La foi vacillante de Farnese

Un élément intéressant vient également de l’opposition que Miura met en scène entre l’Église et le monde merveilleux, puisque Farnese ne peut pas voir Puck. L’elfe explique qu’il a déjà constaté que les croyants ne le voyaient pas, pouvant notamment passer dans une église sans que personne ne le remarque. Cette tension entre la foi religieuse et l’aspect merveilleux me semble également fondamentale dans Berserk, et l’évolution de Farnese sera un des catalyseurs de cet aspect, puisqu’elle finira par embrasser la voie de la magie bien plus tardivement.

Pour en revenir à ce cycle en particulier, la nuit va réveiller les démons qui prendront Guts en chasse, faisant voir à Farnese pour la première fois des créatures possédées. Le Guerrier Noir ironise en disant que ce sont des « miracles », ou que si elles les avait vu dans une église, elle les qualifierait d’anges, afin de remettre en cause encore une fois la notion de foi.

Regard de FarneseMiura insiste énormément sur le regard de Farnese durant toute cette séquence, car il s’agit d’un moment où ce en quoi elle croyait vacille en faisant l’expérience d’une réalité de ce monde qu’elle ignorait jusque là. Et elle fait l’implacable constat qu’elle ne peut pas se réfugier dans sa foi en ce moment de danger extrême, et que seul Guts peut lui venir en aide, notamment dans une vision très perturbante où un cheval possédé est à deux doigts de la violer, rappelant au héros le traumatisme du viol de Casca.

En cet instant, Miura a la bonne idée de nous partager le point de vue de Puck, qui constate que Guts a rouvert ses blessures tant sa colère et intense. Alors que l’elfe se demande d’où vient une telle fureur, il a une vision du viol de Casca par Griffith/Femto. C’est encore une fois très intéressant pour prendre de la distance vis-à-vis de Guts et mieux comprendre ce qui drive le personnage.

Mais surtout, en voyant Guts se battre pour la protéger, il semble prendre la place de la figure de Dieu à ses yeux (mais est aussi clairement une figure de martyre pour le lectorat). La mise en scène (voir planche ci-dessous) est on ne peut plus explicite, avec la posture iconique du héros, mis en valeur par une lumière qui lui confère cette aura divine.

Farnese regarde Guts

C’est alors qu’elle se retrouve possédée par un démon qui met en exergue ses pulsions sexuelles et de violence enfouies, qu’elle semble réfréner via sa dévotion. La possession démoniaque brisant certaines barrières psychologiques, elle se masturbe et se déshabille pour s’offrir à Guts. Elle s’installe sur son épée (plus phallique que jamais), et l’implore de la déchirer en deux avec celle-ci, mêlant encore une fois les pulsions sexuelles et violentes.

Mais, le soleil se levant, la possession prend fin, et Serpico arrive dans le même temps. De là découlera une haine de Farnese envers Guts, car il a vu les pulsions enfouies de la jeune femme, qui ressent une attirance sexuelle très forte pour le héros (encore une fois, le rapport à la sexualisation de Guts est très ambigu, vu régulièrement comme quelque chose de négatif). Tout ceci est fondamental concernant le personnage de Farnese, puisqu’on en apprendra davantage par la suite sur ses troubles psychologiques et ses traumatismes, ainsi que son rapport à la foi. Et son évolution n’en sera que plus impactante.

Qu’est-ce que ce cycle nous dit de Guts et Farnese ?

Au final, cette partie de l’intrigue, si courte soit-elle et relevant presque de la simple péripétie, nous en dit finalement beaucoup de Guts et de Farnese. En mettant les deux personnages en miroir, on voit que chacun a une façon de se confronter au monde qui lui est propre, afin d’assurer sa survie. Alors que le Guerrier Noir assume sa colère et sa violence et en fait un moteur, Farnese est au contraire dans une position hypocrite vis-à-vis d’elle-même et de ses pulsions, s’enfermant dans sa foi qui lui offre un cadre pour contrôler tout cela.

Évidemment, difficile de ne pas y voir une critique des dogmes à ce moment-là, chose qui sera davantage développée dans le cycle suivant, celui de la Naissance, où le père Mozguz sera le principal antagoniste.

Ainsi, Miura utilise ce cycle de transition pour malgré tout étoffer son personnage principal, tout en introduisant un autre élément qui sera fondamental dans le récit en la personne de Farnese. Encore une fois, ce personnage est très critiqué par les fans de Berserk, mais elle est selon moi un des tout meilleurs personnages de la série (oserais-je dire le meilleur après Guts ?) à mes yeux. De ce fait, en abordant plus en détails ce cycle fondateur pour elle, j’espère contribuer à sa réhabilitation. Et, il me semblait dans tous les cas indispensable de développer ce passage court mais essentiel dans la construction de ces deux personnages.

5 commentaires

  1. C’est drôle parce que je ne lis par Berserk, je n’ai pas réussi à accrocher, mais je lis tous tes articles sur le sujet et je trouve chaque fois ton analyse très intéressante ! Va comprendre 🤷

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    • C’est peut être (c’est juste une interprétation de ma part) le fait qu’on puisse ne pas accrocher au manga pour des raisons x ou y, tout en appréciant la singularité qui s’en dégage. C’est un titre extrêmement riche et profond, donc je pense qu’on peut en faire ressortir beaucoup de choses, même auprès de gens qui ne le lisent pas.
      En en discutant avec quelqu’un, il avait évoqué un côté résolument cathartique de ce manga, et je pense aussi que ça joue à la fois dans l’appréciation qu’on en a, consciemment ou non, et j’essaie de faire ressortir cet aspect.
      Du coup ca aide peut être aussi.

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