Mon avis sur… Souvenir d’Emanon de Kenji Tsuruta et Shinji Kajio

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C’est en décidant de passer la porte de la médiathèque de mon petit village que je suis tombé sur Souvenirs d’Emanon, un manga dont la réputation était parvenue jusqu’à moi, mais pour lequel je n’avais jamais sauté le pas. Il faut savoir qu’il s’agit d’une adaptation de nouvelle et que le manga est un One shot, bien que deux autres volumes mettant en scène le personnage d’Emanon existent. Ce premier volume date de 2008 au Japon, et les suivants de 2010 et 2013. Voici donc le résumé très dense que nous propose l’éditeur sur cette version française :

1967, dans le sud du Japon. Loin des événements qui agitent le monde, un étudiant prend le chemin du retour après un voyage d’errance. Une longue nuit en ferry s’annonce. Alors qu’il cherche à oublier une énième déception amoureuse en se plongeant dans ses romans de SF, une intrigante jeune femme s’installe à ses côtés.
Fumant cigarette sur cigarette, elle a pour unique bagage un sac à dos marqué des initiales “E. N.” Son nom ? Emanon, ou “no name” lu à l’envers… Elle aussi voyage seule et sans but apparent. D’abord peu bavarde, les yeux dans le vague, elle se rapproche du jeune homme, car il lui rappelle un ancien amour… datant de plusieurs siècles !
Au fil de la conversation, elle lui dévoile son secret : sous ses airs d’étudiante, elle cache une âme vieille de trois milliards d’années ! Ses souvenirs remontent au plus profond des âges, avant même l’apparition de l’humanité. Son récit dépasse toutes les histoires de SF. Cette nuit en compagnie d’Emanon va bouleverser à jamais la vision du monde du jeune voyageur…

Si je dis que le résumé est dense, c’est surtout parce qu’au final, il raconte quasiment l’intégralité de l’histoire du manga. Et pour cause, ce n’est pas réellement la trame narrative à proprement parler qui fait la valeur de Souvenirs d’Emanon, mais l’ambiance mise en place et surtout, tout ce que l’oeuvre a d’implicite et l’invitation à l’interprétation et à la réflexion qu’elle propose. Et tout cela passe par le personnage d’Emanon, vieille de trois milliards d’années et portant en elle la mémoire de l’humanité. Ainsi, sa rencontre avec le personnage principal (le fameux étudiant) sera l’occasion de questionner l’importance des souvenirs, à la fois d’un point de vue individuel aussi bien que collectif.

Et c’est de là que découle la richesse thématique de l’oeuvre. D’un côté, des pistes de réflexion sont amenées sans apporter une réponse précise (l’importance de la mémoire collective d’un point de vue historique est abordée par exemple), et sont l’occasion  pour le personnage et le lecteur avec lui de remettre en question ses présupposés. Au cours de sa longue conversation avec Emanon, elle se demande s’il ne s’agit pas d’une malédiction car elle ne peut rien oublier, y compris les événements et les choses les plus dramatiques. De là naît également une seconde réflexion qui reste ouverte, concernant la violence inhérente à toute forme de civilisation. Une réflexion que je trouve pour ma part passionnante, et le fait de ne pas apporter réellement de réponse permet à chacun et chacune de voir comment se positionner par rapport à ça. De ce point de vue, j’aime beaucoup l’idée que les questions posées par l’oeuvre sont plus importantes que les réponses, que l’on est libre à chacun de rechercher, sans qu’une vérité nous soit imposée.

De la même façon, la dernière partie de l’histoire, focalisée sur le personnage principal plusieurs années après, m’a beaucoup plu du fait qu’elle mette en exergue sa mémoire à lui. De là, on arrive à une idée bien plus universelle que cette histoire d’esprit millénaire, puisque l’auteur met en avant l’idée que certaines rencontres et expériences peuvent nous marquer à vie. Ainsi, tout en restant dans la thématique principale de la mémoire, on termine sur quelque chose de plus intime qui permet à chacun d’y poser sa propre expérience de vie, et accompagne le lecteur ou la lectrice dans son retour au réel.

Au-delà de ces pistes de réflexion posées par le manga, on trouve également une esthétique de grande qualité, qui met parfaitement en valeur cette ambiance douce et introspective. Le tout sublimé par l’édition en grand format de Ki-oon, d’où transparaît un vrai soucis du détail, notamment au niveau des volets sur la première et quatrième de couverture. Un très beau travail dans la lignée des mangas de la collection Latitudes donc !

En résumé, j’avais entendu beaucoup de bien de cette histoire, et je me joins aux louanges générales. J’ai beaucoup aimé la façon dont ce manga arrive à poser des questions universelles sans imposer de réponse préfabriquée, mais au contraire, propose des pistes pour nous laisser interpréter librement l’oeuvre et les thématiques qu’elle charrie. De ce fait, ce n’est pas pour son histoire très simple que je vous recommande ce manga, mais pour toute sa richesse thématique et la façon dont ils nous amène à questionner notre vision de la mémoire et comment les souvenirs peuvent nous impacter.

19 commentaires

      • Ah toi aussi tu bosses en médiathèque ?
        Moi pareil, je transfère souvent les livres d’une médiathèque à l’autre entre les villages, mais c’est vrai, que les manga, c’est pas les produits pour lesquels on a la plus grosse demande. Les comics marchent mieux par exemple.

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      • Oui, ça fait plus de 3 ans et demi maintenant que j’ai la chance de travailler en médiathèque.
        À l’origine j’ai été embauché en tant que monsieur jeux vidéo/tablettes/ordis, mais au final, je suis aussi monsieur Cinéma et BD de la médiathèque. Ce qui me plait bien, comme ça je peux varier les plaisirs !
        Chez nous les mangas marchent vraiment bien, mais en terme de BD en général, le soucis c’est que c’est tout ce qui est jeunesse/ado qui fonctionne bien, et ce qui est adulte ne sort quasi pas (par exemple, on a pris les rééditions de Akira, personne n’y a touché à part moi…)

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      • Oui, on a un peu le même soucis. Pour lire Dragon Ball et One piece ça va, surtout qu’on travaille beaucoup avec les écoles, mais dès que tu tape dans quelque chose de plus adulte, c’est difficile.
        pareil pour la BD, Titeuf, Tamara et cie sont très demandés, par contre Alix Sénator, ou Blacksad, c’est moins emprunté ^^

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      • Nelson c’est un peu dans la veine de Garfield. Et pour Game Over, c’est le même auteur que Kid Paddle. En gros, c’est le jeu du petit barbare auquel les trois potes de Kid Paddle jouent 😀
        Super Mario ? J’ai jamais testé celui -là ^^

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      • Moi j’ai lu le premier tome, c’est pas mal mais c’est un manga à sketchs vraiment très très orienté jeunesse. Ici ça cartonne, comme toutes les BD du genre. C’est pas trop mon truc personnellement, mais dans le style, c’est pas désagréable.

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