Veil de Kotteri – Premier titre des éditions Noeve Grafx

Veil

L’arrivée d’un nouvel éditeur sur le marché du manga est toujours un petit événement en soi. Car si ce secteur très concurrentiel en voit de nouveaux se lancer assez régulièrement, il reste normal d’avoir un œil dessus, afin de voir comment le nouveau venu va se positionner, les licences qu’il aura réussi à avoir pour se lancer, et comment tout ça peut déjà donner un début d’identité à l’éditeur. Le cas qui nous intéresse aujourd’hui est celui de Noeve Grafx, qui rejoint donc le milieu des éditeurs de manga (mais pas que) avec les titres Veil et Spe Ope, qu’ils m’ont gentiment envoyé, j’en profites pour les remercier ici. Avant de revenir sur le premier, je vous propose de voir tout d’abord rapidement qui est cet éditeur et ce que ces deux premiers titres nous disent de son positionnement éditorial.

D’où vient Noeve Grafx ?

LogoComme je l’ai dit, Noeve Grafx ne sort pas de nulle part, il s’agit du versant manga/arbook de l’éditeur Noeve, créé par Bertrand Brillois 2018, et spécialisé dans les ouvrages d’arts visuels (photographie et illustration notamment) de très belle facture, apportant un soin particulier à l’objet livre en lui-même. Noeve travaillait déjà avec les maisons parisiennes de haute couture notamment, ce qui explique son attrait pour les « beaux » ouvrages avec un certain degré de prestige (vous pouvez voir sur leur site les différents livres d’art qu’ils proposent pour vous faire une idée). Tout ceci donne une coloration particulière à leur travail, qui se reflète aujourd’hui dans leurs premiers choix en tant qu’éditeur de manga.

Car le passage au manga et à l’arbook d’illustrateurs japonais semble logique, compte tenu du fait que Noeve est versé dans les arts visuels et graphiques. Et on constate avec l’arrivée de Veil et Spe Ope que l’exigence en terme de qualité d’édition est tout autant de rigueur ici. À ce titre, je ne peux pas ne pas voir ce choix de premiers titres comme une forme de note d’intention de la part de l’éditeur, en particulier concernant Veil, un titre qui nécessitait une édition à la hauteur du travail esthétique de Kotteri (nous allons revenir dessus par la suite).

Les autres mangas annoncés par Noeve Grafx

Si Veil et Spe Ope sont désormais disponibles, Noeve Grafx a souhaité battre le fer tant qu’il était chaud et a déjà annoncé quelques sorties prévues pour fin février 2021. Et s’il a précisé vouloir publier des mangas « coup de cœur », il est aussi attentif aux attentes des lecteurs ce qui se traduit selon moi par l’acquisition de Rent-A-Girlfriend, dont les deux premiers tomes paraîtront conjointement le 26 février au prix de 7€95. De la même façon, Miss Nagatoro verra son premier volume commercialisé la même date au même prix. Cela permet à l’éditeur d’avoir deux shonen de comédie romantique adolescente à succès dans son catalogue.

Enfin, le dernier titre annoncé pour le 26 février est A Brief History of Robo Sapiens, série terminée en deux tomes qui sortiront en même temps, toujours pour 7€95. Et celui-ci représente davantage les mangas « coup de cœur » de l’éditeur, à l’esthétique très particulière qui le rend moins « mainstream » (mais potentiellement intéressant pour un public plus restreint néanmoins).

Veil : Une édition entre le manga et l’artbook

J’ai décidé de traiter séparément du travail d’édition sur Veil de l’aspect purement artistique et narratif du titre, mais on pourrait tout aussi bien en parler conjointement tant la qualité du manga en tant qu’objet est en phase avec l’approche esthétique de Kotteri.

Pour information, Noeve Grafx a posté de nombreuses photos et vidéos sur ses réseaux sociaux de ce titre afin de montrer le travail éditorial très spécifique qui a été opéré. Je me permets de mettre en dessous leur vidéo d’unboxing afin que vous puissiez constater par vous-même le travail effectué (sachant qu’une fois livre en mains, c’est encore plus impressionnant).

Petite précision avant de passer au descriptif plus complet, Veil est une série en cours, même si son mode de production est différent de celui habituel avec les magazines de pré-publication, et un troisième volume est en préparation (Noeve Grafx avait l’air confiant concernant son arrivée en France, et c’est tant mieux). Chaque volume est disponible à l’unité pour 12€90, et il existe aussi un coffret des deux à 25€. Sachant que chaque tome fait environ 120 pages. Ce prix plus élevé que la moyenne s’explique, vous l’aurez compris, par la qualité de l’édition.

En effet, chaque volume est proposé dans un grand format de 21 centimètres, l’intégralité des pages sont en couleur, avec un papier vraiment épais très agréable au toucher. De même, la couverture est légèrement plus rigide que pour les mangas au format classique. Le titre a un effet or sur la jaquette, et le tout est fourni avec quelques petits bonus bienvenus (qu’on trouvera sur tous les titres de Noeve Grafx) : un insert ainsi qu’une petite carte à collectionner. Les inserts sont des petits papiers que l’on trouve dans les livres japonais, contenant les informations techniques sur l’ouvrage, et l’éditeur a déjà indiqué qu’ils permettraient de gagner des cadeaux (à ne surtout pas jeter donc !).

Ainsi, le travail sur les couleurs, sur la texture des pages et de la jaquette ainsi que sur le format donnent un aspect très particulier au titre, avant même qu’on le lise. Je pense qu’élégance est le terme qui lui convient le mieux, et qui semble tracer une forme de continuité avec le travail de Noeve avant de se lancer dans le manga. De ce fait, on ressent déjà ce qu’on imagine être l’identité de l’éditeur avec ce premier choix, proposant un titre entre le manga et le livre d’art, dont l’ambiance et l’élégance dégagent un charme vraiment particulier, comme nous allons le voir.

Qu’est-ce que j’en ai pensé ?

Nous voici enfin arrivés à mon avis sur les deux tomes de Veil. Tout d’abord, de quoi est-il question ? Impossible de résumer ce titre sans en évoquer la structure narrative particulière. Veil est un titre qui nous propose de découvrir la relation entre un homme et une femme, en général juste nommés « elle » et « lui », mais qui ont bien un nom qu’on nous indiquera. Elle est aveugle, et le rencontre alors qu’elle lui met un coup de canne pendant une promenade. Il est policier, et va lui proposer un travail de standardiste téléphonique, qu’elle accepte. On ne connait pas bien la nature de leur relation, entre amitié et amour. La cécité de cette jeune femme semble faire que ses gestes ne sont pas codifiés comme les notre, de ce fait elle peut avoir des mouvements qui semblent romantiques, sans forcément l’être.

On assistera donc à des petites scènes entre les deux, en général de quelques pages, qui développeront un moment, une idée, un geste… et si le tout est peu narratif, force est de constater que Kotteri a très bien réussi à développer ainsi les rapports entre les deux. Encore une fois, bien que la nature de leur relation ne soit pas des plus claires, on prend plaisir à voir ces gestes qu’ils ont l’un pour l’autre, leurs conversations, et les moments partagés.

Et si j’ai insisté sur le fait qu’il était compliqué de séparer le fond de la forme, c’est parce qu’en plus de ces scènes très courtes, on a ci et là des illustrations pleines pages détachées du reste, mais qui participent à l’ambiance globale, parfois des pages de texte uniquement, avec des monologues d’elle ou lui. Tout ceci contribue à donner au titre une forme hybride, entre le manga et l’artbook, qui colle très bien à l’identité de l’éditeur, mais surtout, qui donne une tonalité particulière au titre. De la même façon, nous n’avons aucune indication de lieu ou de temps. On peut bien se faire une petite idée grâce aux vêtements, ou à certains éléments comme la présence des Montres molles de Dali, mais c’est tout. Et ça n’a finalement pas de réelle importance, car l’essence du titre vient dans sa capacité à capter des gestes, des sensations et des instants comme coupés du temps ou du reste de la vie, et à les resituer de la plus belle façon au sein d’un ouvrage original.

Ainsi, Veil est surtout une question de ressenti et d’immersion. Sur ce point, je l’ai déjà dit et je le répète une dernière fois, la qualité de l’édition qui nous est proposée ici contribue grandement à cette immersion, venant renforcer le parti-pris esthétique de Kotteri. Il est évidemment possible d’être décontenancé et de rester de marbre devant cette oeuvre particulière, mais pour peu que l’on soit sensible à l’approche du titre, il y a fort à parier qu’on en ressorte comblé tant l’expérience proposée est unique et forte. Personnellement, j’ai été enchanté par ma lecture et nul doute qu’on en reparlera lorsqu’il s’agira d’évoquer les titres marquants de 2020.

20 commentaires

  1. Je suis curieuse. Si ce n’est pas trop mon genre, de ce que tu en dis, j’irais quand même jeter un œil voir si ça peut me plaire. Toutefois, je trouve l’initiative de ce nouvel éditeur assez intéressante. Les inserts ne sont pas quelque chose que nous connaissons en France, c’est osé de faire ça ici, mais pourquoi pas.

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  2. Rien que pour la beauté de l’objet et pour aider ce nouvel éditeur, je le je suis commandé. Hâte de l’avoir en main pour constater tous les bons points que tu as soulevés. J’ai juste peur que l’histoire soit un peu anecdotique ^^!

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    • Anecdotique n’est pas tout à fait le mot. Disons que c’est peu narratif, c’est plus la forme qui conditionne le fond. C’est pour ça que j’ai parlé des illustrations dans les interchapitres qui parfois s’enchaînent sur plusieurs pages. Ca fait vraiment partie de l’expérience. D’ailleurs pour moi ce manga est vraiment une expérience en soi, qui du coup peut ne pas plaire mais personnellement, j’ai été totalement emporté et je trouve qu’une certaine force émotionnelle s’en dégage si on adhère au parti pris.

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  3. Si je suis intriguée par ce nouvel éditeur je ne pense pas me pencher sur ce titre qui ne semble pas correspondre à mes goûts autant sur un plan graphique qu’au niveau du contenu. Je tenais toutefois à souligner l’intérêt et la solidité de ton article 🙂

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  4. Bonjour !

    Cela fait un petit moment que je n’ai pas pris le temps de venir ici !
    Je voulais avoir des avis (bien que le titre soit déjà commandé auprès de mon libraire).
    Étant graphiste, j’ai été agréablement surprise par les moyens mis en place pour cette sublime édition, allant de la dorure à la texture de la couverture ! Les choix graphiques sont tellement harmonieux, que les éditions Noeve Grafx présente à son lectorat un manga / artbook de qualité. Honnêtement le prix et plus qu’abordable !

    Je n’ai pas encore eu l’occasion de le feuilleter, mais je sais déjà que l’expérience sera unique, de par sa qualité graphique, mais aussi -suites aux nombreuses citations que j’ai pu voir-, très poétique et subtil 🙂

    Très bon article,
    Euphoxine

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    • Merci beaucoup pour ton commentaire.

      En effet, cet ouvrage est vraiment original et propose une belle synergie entre le fond et la forme, chacun nourrissant l’autre (ce que j’ai essayé de mettre en avant dans mon article).

      Personnellement j’ai été très sensible à la démarche et comme tu es graphiste, je n’ai aucun doute sur le fait sur ça puisse te parler tant l’esthétique est au service de l’ambiance et du projet global). Et Noeve à fait un magnifique travail d’édition afin de mettre parfaitement en valeur tout ça.

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