Mon avis sur… Nos Temps Contraires T.1 de Gin Toriko

Nos temps contraires

Nos Temps Contraires est un titre qui m’a intrigué dès son annonce. Une série en huit tomes dans le cadre d’un projet éditorial d’Akata, centré sur la diversité du shojo, voilà qui avait de quoi m’intriguer. Ici, il s’agit d’un récit de science-fiction, à la croisée des chemins entre la romance, le récit philosophique et la tranche de vie dans un cadre original. Je me suis donc jeté dessus, et le coup de cœur fut au rendez-vous.


Vous pouvez lire un extrait du titre via ce lien.

Vous pouvez également voir les avis des camarades blogueuses (oui, je n’ai vu que des femmes en parler, comme quoi il y a encore du chemin à parcourir pour décloisonner le genre) : Les Blablas de TachanLes Voyages de LyLes Instants volés à la vieLa Pomme qui rougit


Avant de rentrer dans le vif du sujet, revenons rapidement sur le projet éditorial en lui-même, car je trouve qu’il mérite d’être évoqué. Akata est un éditeur qui n’a jamais caché son intérêt pour le shojo, mais pour une certaine vision du shojo, dépassant le cliché du shojo = romance lycéenne. Récemment, ils ont lancé un projet éditorial visant à mettre en avant la diversité de cette catégorie éditoriale, avec trois séries dans des genres différents et très marqués, à savoir la fantasy avec Les Chroniques d’Azfaréo (en 9 tomes), la science-fiction avec Nos Temps Contraires (en 8 tomes), et le manga historique avec À nos fleurs éternelles (en deux tomes, le premier sortant le 19 novembre).

Si je n’ai pas lu la première de ces séries, n’étant pas ultra friand de fantasy en manga, les deux autres m’intéressaient tout particulièrement, et il est clair qu’après lecture du premier tome de Nos Temps Contraires, je suis convaincu du potentiel du titre et de la pertinence du choix de l’éditeur. Évidemment, vous pouvez compter sur moi pour vous parler également de À nos fleurs éternelles quand le premier tome sortira, d’autant plus qu’avec une série en seulement deux volumes, on ne prend pas de gros risque.

Tout ceci étant dit, passons enfin à ce qui nous intéresse particulièrement ici, c’est à dire ce premier tome. Et clairement, ce n’est pas le titre le plus facile à aborder, car si ses qualités sont évidentes, que ce soit son esthétique magnifique, son univers fascinant et sa richesse dans l’écriture, c’est aussi et surtout une histoire assez complexe qui font qu’il est difficile de l’aborder sans en révéler certains éléments. De plus, n’étant pas franchement à l’aise dans l’exercice de résumer les choses de façon claire, j’ai peur de vous embrouiller. Je vous propose donc le résumé éditeur qui est bien plus clair que je ne pourrai l’être.

Nos temps contraires

L’humanité, ne pouvant plus vivre sur Terre, s’est réfugiée dans l’espace, cloîtrée dans des « Cocoons ». Arata, Tara, Caesar et Louis sont des enfants précieux : des « néotènes », ces êtres qui, malgré leur apparence prépubère, possèdent la maturité d’adultes. Leurs corps se sont adaptés à la vie dans l’espace et, à ce titre, ils incarnent l’espoir et l’avenir de la race humaine. Quand un jour, ces quatre-là rencontrent une mystérieuse femme aux longs cheveux verts, atteinte de la « maladie de Daphné », leurs destins basculent à jamais…

Le cadre particulier de ce titre, les fameux « Cocoons » (en fait des sortes de grandes stations spatiales) est déjà très intéressant en lui-même, en plus de conférer au titre une esthétique des plus réussies. On comprend que ces Cocoons reproduisent assez fidèlement des lieux qui existaient sur Terre, et si on ne sait pas exactement quelle est l’étendue de celui dans lequel vivent nos personnages, on comprend que c’est au moins une partie du Japon qui a servi d’inspiration, alors qu’il en existe d’autres qui se basent sur d’autres lieux terrestres (Arata est d’ailleurs le seul japonais, ses autres amis ont tous d’autres nationalités). Comme si l’humanité ne pouvait pas couper tout lien avec sa planète d’origine, et qu’il y avait une forme de continuité culturelle et civilisationnelle.

Mais plus intéressant encore, les personnages principaux, les fameux Néotènes, charrient avec eux toute une richesse thématique. Ils vieillissent lentement, leur permettant de vivre plusieurs siècles, et ont l’air de jeunes enfants alors qu’ils ont déjà la vingtaine. Ils savent qu’ils verront leurs parents et leurs proches mourir, et grandissent avec cette perspective particulière. Ils semblent admirés des gens qui les entourent, mais vivent un peu en cercle restreint, avec comme perspective de s’unir à une personne comme eux. Il y a un côté eugéniste à tout ça, puisqu’ils ne peuvent pas choisir leur avenir eux-mêmes, devant perpétuer leurs gènes.

Et à côté de ça, il y a cette fameuse jeune fille que l’on voit sur la jaquette, atteinte de la « maladie de Daphné ». Je ne développerai pas ce point car je ne veux pas trop vous en révéler. Mais elle aura un rôle important dans ce premier tome et transporte avec elle une grosse forme de mélancolie, peut-être liée à sa condition, ou peut-être pour une autre raison. De très belles scènes auront d’ailleurs lieu avec elles.

Un autre point qui m’a particulièrement plu vient de la façon dont la mangaka a réfléchi le rapport des personnages à certains points qui sont au cœur de nos sociétés et qui semblent avoir évolué. Je pense notamment à la question du harcèlement des femmes. Les dialogues entre les personnages, et en particulier chez Arata, laissent à penser que la question centrale du harcèlement a évolué pendant toutes ces années, et est intégrée comme quelque chose de naturel. On le ressent notamment quand le garçon s’excuse si des choses qu’il a dit peuvent être assimilables à une forme de harcèlement. Je ne saurai l’expliquer plus en détails, mais à la lecture du titre, le travail sur l’évolution de certaines problématiques sociales est vraiment frappant et m’a semblé tout à fait pertinent.

Enfin, il y a un réel aspect romance au titre. Un couple se forme déjà dans ce premier volume, mais surtout, on se rend rapidement compte que la jeune Tara ressent des sentiments forts pour Arata, le personnage principal. Nul doute que cet aspect sera central pour le reste du récit. Ce qui est d’autant plus intéressant que le travail sur les sentiments des différents personnages est des plus réussis. Parler de cet aspect est une bonne occasion pour aborder la notion de « contrat » dans cette société.

Les rapports sociaux passent par ces fameux contrats, et une partie de l’histoire se focalise sur la notion des partenariats de couple, qui semble un peu déconnecté des notions de sentiments. Mais les contrats sont surtout là pour formaliser les liens sociaux entre les gens et les contrôler. Car au-delà de caméras de surveillance qui permettent d’avoir un œil sur les allés et venues de tous les individus, ces contrats permettent de contrôler la façon dont les liens entre chacun évoluent, et permettent notamment de contrôler les naissances. Cet aspect est important puisque les Cocoons sont des lieux fermés, et il faut donc contrôler l’évolution de la population et des rapports humains, en particulière pour les néotènes.

Vous l’aurez compris je l’espère en me lisant, dès le premier tome, on comprend que l’on est face à une oeuvre très très riche, et je n’ai finalement abordé qu’une partie de la profondeur du titre. C’est bien simple, j’ai même déjà envie de le relire tant j’ai le sentiment qu’il faut plusieurs lectures pour en saisir la portée. Et ce n’est pas la seule force de ce récit, car ce qui m’a le plus transporté, c’est l’ambiance magnifique que Gin Toriko a réussi à poser. Une ambiance pleine d’émotions alors même que cet univers semble assez aseptisé, et qui évolue jusqu’à une fin mélancolique et très amère, qui ouvre vers une suite qu’on imagine encore plus forte en émotions.

Ainsi, ce premier tome de Nos Temps Contraires, que j’attendais énormément, fut un énorme coup de cœur pour moi. On est totalement dans la science fiction que j’aime, porteuse d’une ambiance vraiment propre que seule la SF peut avoir, avec une richesse thématique qui fonctionne en parallèle de nos sociétés. Gin Toriko a pris à bras le corps le genre et l’a traité avec le soin et la précision indispensable à la réussite d’une bonne histoire de science fiction. Ainsi, ce premier volume, d’une grande richesse, appelle déjà à une relecture pour moi, et appelle, évidemment, à être suivie durant les huit tomes qu’elle comptera. Un premier tome à lire absolument selon moi, au moins pour vous faire une idée de la profondeur et de la qualité du titre, car mes mots sont insuffisants je pense.


En bonus, je vous mets la vidéo de Bruno Phan, le responsable éditorial d’Akata, consacré au titre. Il développe le cadre du récit sans trop en révéler et développe davantage l’édition japonaise et l’origine de la série.

30 commentaires

  1. Ce manga semble vraiment faire l’unanimité autour de lui !
    Le fait que tu aies eu ce sentiment qu’il te faudrait plusieurs lectures pour en saisir toute la richesse est, à mon sens, une preuve de sa qualité et me conforte de plus en plus dans mon envie de le découvrir. Je serais également curieuse de voir cette question du harcèlement qui semble être incluse dans les différentes thématiques sociétales soulevées…

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    • Sur ce point, je pense que c’est surtout pour montrer que c’est une notion intégrée dans cet univers futuriste, ce n’est pas traité comme ça le serait dans une vision actuelle. Je ne sais pas si je suis très clair.

      Mais en effet, le titre semble très apprécié, et à juste titre selon moi car ce premier tome réussit vraiment tour ce qu’il entreprend et c’est un vrai plaisir de voir un début de série si prometteur.

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  2. Ravie que tu aies été séduit toi aussi même si je n’en doutais pas vu la qualité du titre qui est tout bonnement génial. Comme tu le dis, on est avec de la très bonne SF que l’autrice prend le temps d’installer et ça sans nous prendre pour des idiots. J’attends aussi beaucoup du développement des différentes relations dans les prochains tomes, je pense aussi que c’est central, il suffit de voir les couvertures.

    Et merci pour le lien !

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