
Le premier tome de la série primée au Japon Du Mouvement de la Terre me semblait assez attendu dans la sphère manga, et j’ai eu le sentiment au vu des réactions sur les réseaux que son accueil fut plutôt mitigé. J’ai notamment constaté de grosses critiques sur l’aspect purement visuel du titre, aussi bien dans le trait général de l’auteur que dans ses compositions et découpages. Un comble pour un manga qui met son questionnement sur l’heliocentrisme en parallèle avec des réflexions sur le domaine de l’esthétique. De mon côté, le trait particulièrement grossier de l’auteur et sa mise en scène tout juste fonctionnelle ne m’ont pas empêché de prendre un réel plaisir à la lecture, et c’est toujours le cas ici.
Un grand merci à Ki-oon pour l’envoi de ce volume.
Petit rappel des faits, Du Mouvement de la Terre est une série qui décrit un moment intellectuel, historique et théologique, où certains hommes ont remis en question leurs croyances pour tenter de comprendre comment fonctionne la Terre par rapport aux autres astres, venant à la conclusion du fameux heliocentrisme admis de nos jours (quoique avec les platistes, on est plus sur de rien…). Un sujet en soi intéressant, mais quu pourrait donner lieu à un récit un peu scolaire, sous forme de simple retranscription historique.
Or, le mangaka Uoto a la bonne idée de faire un petit pas de côté, mettant cette histoire en parallèle avec un questionnement sur l’esthétique en général. À la fois telle que décrite par Baumgarten, mais aussi dans son acception d’origine qui remonte à Kant, qui serait en gros la science du sensible. Dès le premier tome, plusieurs indices vont dans ce sens, notamment, la convocation de la suite de Fibonacci, qui en plus de raviver les souvenirs de Nymphomaniac de Lars Von Trier (film formidable, mais hardcore !) renvoie à mes yeux à cette question, puisque cette suite mathématique a ensuite une composante géométrique et esthétique qui est rapidement évoquée dans le tome.
Ainsi, c’est à la suite d’un bouleversement esthétique, c’est à dire un bouleversement des sens et de la perception, qu’un individu en vient à se convaincre que les théories sur le mouvement de la Terre sont fausses. Rien qui ne lui fasse remettre en question l’existence de Dieu cependant, puisque au contraire, une telle expérience esthétique semble avoir forcément été ordonnée par quelqu’un. C’est en gros ce qui se passe dans le premier volume, qui s’achevait sur l’exécution du jeune garçon que l’on suivant depuis le début.
Arrive donc avec ce second tome la question de la transmission du savoir, afin que quelqu’un reprenne la suite des travaux déjà établis, pour faire avancer la science. On entre donc dans des considérations plus terre à terre (sans mauvais jeu de mots), qui n’évacuent pas la question esthétique pour autant, puisque le bouleversement esthétique semble toujours le pré-requis à la remise en question d’une vision du monde.
Et c’est vraiment le point qui me passionne ici, dans le sens où il me semble questionner l’impact de certaines fictions, quand elles arrivent à procurer ce bouleversement esthétique. Cela me parle tout particulièrement, puisque j’ai déjà vécu ce genre d’expérience, où une œuvre arrive à communiquer un discours avec une acuité telle qu’elle en est venue à impacter ma vision profonde du monde (sur cette question, je crois que la trilogie Matrix conserve le statut d’œuvre qui a eu le plus grand impact sur ma vision du monde, me rendant assez Baudrillardien).
Ainsi, si je peux entendre les réserves sur l’aspect visuel pas forcément engageant du titre et ses errances dans les compositions, il me semble cependant bien plus compliqué d’attaquer le titre sur la question de l’écriture et de la densité discursive. La question principale qui se pose de mon côté étant surtout comment l’auteur va encore densifier les considérations sur la question esthétique. Car c’est, il me semble, le vrai sujet de son histoire, et en tout cas le véritable point qui suscite des réflexions qui rendent le récit vraiment passionnant et remarquable.