Semaine du shojo 2023 : Le shôjo abordant la condition féminine que vous préférez

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Pour la troisième année consécutive, le site Club Shojo m’a proposé de participer à la Semaine du Shojo. Je l’en remercie bien bas, car c’est un exercice collectif que je trouve très intéressant, puisque le principe est tout simplement de proposer une semaine d’articles thématiques sur le shojo sur le site concerné (voir CE LIEN), avec en prime une thématique traitée de façon collective, par plusieurs sites/blogs/vidéastes/etc… Cette année, la thématique est « Le shojo abordant la condition féminine que vous préférez », un sujet riche, passionnant, mais aussi compliqué… Surtout pour un escroc tel que moi, qui finalement ne connait pas très bien le shojo (ni la condition féminine, n’étant qu’un homme). Mais on va faire au mieux pour trouver quelque chose d’intéressant à proposer, afin de faire honneur aux autres participants (que vous trouverez en lien à la fin de l’article).

Lorsque la thématique m’a été communiquée, je dois dire que plusieurs mangas écrits par des autrices me sont tout de suite venus à l’esprit. Problème, certains sont en réalité des seinen, d’autres ont été lus seulement partiellement, ou, pour d’autres encore, ma mémoire défaillante fait que j’avais peur de m’embrouiller et d’embrouiller également les gens qui liraient l’article. De ce fait, j’ai fini par me retrancher sur le titre qui m’était venu en premier à l’esprit, et qui ne l’a jamais quitté durant toute la phase de réflexion, d’autant plus qu’il permettra d’aborder une mangaka pour laquelle j’ai une certaine affection. Je pense en effet à Moi Aussi, josei en deux tomes sur la question du harcèlement sexuel au travail, de Reiko Momochi, mangaka passionnante un peu trop rare chez nous. Ainsi, c’est ici l’occasion d’aborder un sujet particulièrement important, un titre court et percutant, et une mangaka très talentueuse. Au fond, cela me semble un choix pertinent.

Qui est Reiko Momochi ?

Reiko Momochi est une mangaka pour laquelle j’ai une certaine affection, et un respect certain. Elle a derrière elle 25 ans de carrière et une quinzaine de titres, toujours assez courts, dont trois ont été édités en France par Akata : Double Je (2008), Daisy – Lycéennes à Fukushima (2012) et Moi Aussi (2018), dont il sera question ici. Cette mangaka se caractérise par son choix constants de sujets forts, pour des titres engagés qui abordent des points sensibles de la société japonaise, voire des problématiques finalement universelles. Les trois titres disponibles chez nous sont tous assez différents dans ce qu’ils racontent mais partagent le fait d’être passionnants, écrits avec talent et un vrai souci de réflexivité. Ainsi, elles sont toutes extrêmement recommandables mais mon choix s’est ici porté sur Moi Aussi, car c’est selon moi le seul des trois titres à vraiment cadrer avec la thématique. Quoi qu’il en soit, Reiko Momochi est une mangaka qui mérite vraiment qu’on s’y intéresse, en espérant que Akata nous propose d’autres de ses titres à l’avenir.

Moi Aussi, ou la question du harcèlement sexuel au travail

Venons-en donc au sujet du jour. Comme précisé précédemment Moi Aussi est une série en deux tomes traitant de la question du harcèlement sexuel au travail, par le biais du récit de Satsuki, jeune intérimaire qui va être victime d’un de ses collègues. Si le harcèlement sexuel peut toucher n’importe quel individu, il est évident que cela concerne très majoritairement les femmes. Ceci s’explique par des raisons systémiques, liées à des rapports de force et de pouvoir favorisant l’impunité des hommes. Une thématique qui me semble personnellement fondamentale dans nos sociétés, et qui, par rebond, est à mettre en lien avec tous les éléments de domination dont les femmes sont victimes. De ce fait, le simple fait d’aborder ce sujet est à mettre au crédit de Reiko Momochi. Précisons également que, manga oblige, la série est ancrée dans un point de vue japonais, qui n’est pas exactement le même que le notre, d’autant plus que la question du travail des femmes n’est pas tout à fait la même qu’ici. Il n’empêche que le traitement thématique de l’histoire me semble tout à fait transposable chez nous, contribuant également à sa valeur.

La crainteCar c’est une chose de proposer un récit engagé et cherchant à faire avancer les choses, mais en faire une œuvre de qualité est une autre paire de manche. Fort heureusement, Reiko Momochi s’en sort brillamment, arrivant en plus à éviter les écueils d’une série courte. En gardant la focale sur son personnage principal et sa thématique, elle arrive à traiter son sujet en détails, sans jamais donner le sentiment d’aller trop vite. On pourrait assez grossièrement découper l’histoire en deux parties, qui correspondent finalement aux deux tomes. La première partie raconte la découverte de ce nouveau travail par le personnage de Satsuki, et une relation ambiguë et malsaine qui se noue avec un collègue, avec une escalade constante dans les gestes déplacés et le mal-être que cela engendre chez la jeune femme, jusqu’à dénoncer les agissements du collègue en question, qui se retrouvera protégé.

Le premier tome analyse ainsi les rouages hiérarchiques et la complaisance masculine qui permettent au harcèlement de s’épanouir, en même temps qu’il développe l’impact psychologique que ces harcèlements ont sur les femmes qui en sont victimes. Dans un second temps, Reiko Momochi donne des perspectives d’évolution et une lueur d’espoir, notamment à partir du moment où Satsuki, en arrêt de travail, trouvera du soutien et une forme de sororité avec un groupe de femmes qui l’aideront à aller de l’avant.

La dimension psychologique reste le moteur du récit dans cette seconde partie, résolument militante, qui invite à se rebeller contre ce système afin, à terme, de renverser le rapport de force et mettre fin à l’impunité. Ainsi, le second tome montre les possibilités légales qui s’offrent aux femmes victimes de harcèlement, comment elles peuvent être accompagnées dans leurs démarches, qui sont lourdes et psychologiquement éprouvantes, mais nécessaires pour que les choses avancent.

Et c’est selon moi grâce à la façon dont Momochi arrive à mêler narrativement la profondeur psychologique (rendant le récit assez dur, il faut le dire) et un côté didactique (qui passe comme une lettre à la poste) que le titre parvient à questionner en même temps qu’il suscite l’identification et l’émotion. En cela, il offre d’ailleurs un support pédagogique intéressant pour aborder les problématiques liées au harcèlement, et pas que dans le cadre du travail. Il permet de prendre de la hauteur et offre une vraie ouverture à la réflexion et au débat. En cela, il est un ouvrage résolument militant, questionnant les rouages d’un système qui protège trop souvent les prédateurs, sans que cela soit au détriment du plaisir et de la qualité de la lecture. Il pousse à se questionner sur comment contribuer à mettre fin à ces comportements, que l’on soit une femme ou un homme, et en fait selon moi un titre de choix pour cette thématique de la condition féminine dans le shojo/josei.


Vous trouverez en lien les articles des autres participants à la Semaine du Shojo :

18 commentaires

    • J’avoue que d’emblée, c’est le premier qui m’est venu à l’esprit, déjà parce que j’en ai pas eu des dizaines en tête, et aussi parce qu’il est vraiment marquant à mes yeux.

      D’ailleurs j’en profites pour te dire que j’ai lu ton article ce matin, cassant ma retraite spirituelle (je plaisante, mais je déserte un peu les réseaux et les blogs des autres en ce moment), et je suis extrêmement jaloux de la densité et de la qualité de ton article, sache-le !

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      • Parfois nos premières intuitions sont les bonnes et il faut les écouter, tu le démontre.
        Merci effectivement pour le compliment, j’en suis d’autant plus flattée que souvent j’admire aussi tes focus thématiques sur mes œuvres que tu partages.

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  1. Moi Aussi est en effet un manga percutant, dénonçant avec force le harcèlement au travail, mais aussi la difficulté pour le prouver et faire valoir ses droits, on suit le combat de l’héroïne, d’autres tomes n’aurait pas nuit à l’histoire.
    Il y a de plus en plus de séries qui dénoncent des choses : les tabous sociaux, le célibat, les valeurs, les rapports dans les couples, etc…, et c’est très bien, de plus, ça peut ouvrir les yeux à certains, ça peut aussi faire avancer les choses si le public s’en empare, et ça peut aussi aider des gens qui se retrouvent dans cette difficulté.

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  2. Oh en lisant ton article, ça m’a fait penser que je voulais le lire ce manga. Forcément qui nous parle à toutes et tous.
    Je veux juste une petite remarque sur ton introduction. Tu sais que tu peux être un homme tout en t’intéressant à la cause féminine (ce qui est positif) 😉

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  3. Moi aussi est tellement cruel et difficile psychologiquement parlant à lire mais cette sororité dont tu parles fait vraiment chaud au cœur. En tout cas, c’est très courageux à l’autrice de parler de ce sujet autant de front. Et comme toi, j’espère qu’on aura plus d’oeuvres d’elle à l’avenir car 3 c’est vraiment pas assez.

    Encore une fois c’est un très bel article que tu as écrit ici ! (le sujet était assez corsé cette année en plus x))

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