Bokko – Stratège T.1 de Sentaro Kubota et Hideki Mori

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Il est parfois difficile de mettre des mots sur une expérience de lecture qui nous aura conquis bien plus que ce qu’on imaginait au départ, mais on va essayer ici de retranscrire pourquoi ce premier tome de Bokko – Stratège est une surprise de taille, une introduction à la qualité inattendue et plus simplement, une des séries de 2023 que je vais suivre avec le plus d’assiduité, tant ce que j’ai lu là était brillant en tout point. Une vraie belle claque narrative et esthétique, que je n’avais absolument pas vu venir.


Un grand merci à Vega Dupuis pour l’envoi de ce volume.


Commençons par le commencement. Bokko – Stratège est un manga écrit par Sentaro Kubota et dessiné par Hideki Mori, adapté d’un roman de Senichi Takemi, que des noms qui me sont parfaitement inconnus. La série avait par ailleurs déjà été publiée chez nous il y a une vingtaine d’années chez Tonkam, mais était indisponible depuis longtemps. Il faut dire qu’elle ne date pas d’hier, puisqu’elle avait été prépubliée de 1992 à 1996 dans le Big Comic de Shogakukan. Or, elle nous revient aujourd’hui chez Vega Dupuis, dans une très belle édition en 8 volumes contre les 11 d’origine, à un prix de 11 euros par tome tout à fait raisonnable compte tenu de son format en 21 par 15cm, sa pagination (290 pages par tome) et le soin global apporté à la fabrication qui en fait un bel objet sans fioriture, que certains éditeurs n’auraient certainement pas hésité à vendre plus cher.

Tous ces éléments conjugués, mais surtout l’âge de cette réédition, ont attiré mon attention. Le raisonnement est un peu simpliste, mais je me suis simplement dit que si un éditeur fait le pari de ressortir une série qui a cet âge dans une édition qui se démarque de la collection classique, c’est sûrement qu’il y a quelque chose derrière, et pas uniquement le prix Shogakukan que le titre a gagné à l’époque. En feuilletant quelques pages, on y voit un style visuel qui a quelques années derrière lui, mais c’est vraiment à la lecture qu’on constatera à quel point il est percutant et intemporel. Ainsi, le titre qui semble avoir quelques atours du manga patrimonial, est surtout une proposition narrative pertinente et intemporelle dans sa mise en images et son sujet.

Car il est temps de voir de quoi il est question dans cette série :

En Chine antique, au temps des « Royaumes des combattants », la guerre entre les différents royaumes fait rage. C’est l’époque du clan Mo’Tseu dans lequel un seul homme a la faculté d’arrêter plus de 10 000 combattants. Le secret de la puissance de ses disciples est leur connaissance de la stratégie militaire et leur capacité à défendre n’importe quelle ville ou village dès lors qu’on les laisse prendre le commandement des opérations. Parmi les plus grands disciples de cette école, Ke-ri, expert en combat et en stratégie militaire, est envoyé en mission. Son rôle : organiser la défense d’une ville ayant demandé de l’aide aux hommes de Mo. Ke-ri devra faire face à l’ennemi le plus redoutable qu’il ait jamais connu : son propre clan dirigé par Pei-Ping, dont la conduite semble aller à l’encontre de la philosophie originelle des hommes de Mo.

Le synopsis met bien en avant ce dont il est question avec ce récit militaire historique mettant très en avant la stratégie (vous me direz, vu le titre, on s’en doutait un peu). D’emblée, le titre impose sa figure héroïque avec talent, mettant en avant la singularité de cet homme dans ce cadre particulier, qui s’illustre notamment en franchissant une rivière en nageant « debout », tout en restant silencieux et stoïque, jusqu’à arriver dans la petit cité qu’il est chargé de défendre.

Ke-Ri 2

À partir de là, le personnage se révèle dans toute son autorité simple, gagnant au fil des péripéties la confiance de chacun, lui permettant de préparer la cité avant le siège. Car ce premier volume se déroule en deux temps, le premier se focalisant sur la présentation des personnages et belligérants dans le conflit, avec une grande emphase sur la préparation en vue du siège à venir. Dans un second temps, la première bataille se déroule, permettant de constater l’efficacité stratégique de Ke-Ri, ainsi que ses aptitudes au combat.

Ainsi, ce premier tome commence déjà à reproduire une structure de récit épique déjà éprouvée, où tel un David affrontant Goliath, un petit camp va réussir à tenir tête à un envahisseur bien plus nombreux, de 300 au Seigneur des Anneaux, c’est le genre de chose qu’on a vu à plusieurs reprises. Mais en mettant ici l’accent sur la stratégie de Ke-Ri, le récit arrive à trouver une singularité bienvenue, d’autant plus que tout ceci est mis en image de façon particulièrement brillante. Et surtout, le tout s’accompagne d’une vraie richesse thématique.

Armée

Ke-Ri étant le personnage qui est porteur de ces thématiques, et l’opposition entre lui et certains personnages nourrissant ce rapport politique au monde. De l’idée la plus simpliste (que chacun doive faire sa part, y compris le seigneur) à des oppositions plus riches, il est le véhicule des réflexions des auteurs. Je pense notamment à sa rencontre avec un personnage obsédé par L’Art de la Guerre de Sun Tzu, que Ke-Ri ne porte pas en très haute estime visiblement. Cela dénote d’un rapport à la guerre et à la stratégie militaire bien différent. Car le but de notre héros est de limiter au maximum les victimes dans tous les camps, d’où le fait qu’il cherche à éviter la bataille dans un premier temps en acceptant d’affronter le général ennemi lors d’un jeu de stratégie.

Chose qui, vous l’aurez bien compris, n’arrivera pas. L’heure de prendre les armes arrive donc dans ce premier tome, nous permettant de constater l’efficacité stratégique de Ke-Ri. Et si l’action ne me semble pas le cœur du récit, en tout cas à ce stade, force est de constater qu’on a quand même de quoi se faire plaisir en terme de violence et d’action, avec en prime le côté « ludique » lié à la stratégie militaire et à la façon de renverser le rapport de force.

Mais, c’est encore et surtout l’occasion de travailler la figure héroïque de Ke-Ri, porteuse de puissance, de valeurs fortes mais aussi d’un certain mystère, puisqu’on apprend que ce n’est peut-être pas un hasard s’il est le seul membre du clan Mo-zi envoyé. Et tout ceci mis bout à bout donne une entrée en matière riche et puissante, au souffle épique évident et dans lequel chaque personnage important a déjà une caractérisation dense et affirmée. Le tout sans jamais nous perdre dans la complexité de son récit, qui brille au contraire par sa clarté. Ainsi, les auteurs arrivent à mettre la philosophie complexe de leur titre en exergue dans toutes les interactions et les péripéties présentées ici, et c’est surement une des plus grandes réussites de ce premier tome.

De ce fait, cette entrée en matière m’impose de ne pas modérer mon enthousiasme, tant j’ai trouvé absolument tout ce qui était proposé ici brillant. On est face à une introduction virtuose dans son écriture et sa mise en scène, proposant une figure héroïque imposante et porteuse de thématiques riches et passionnantes. L’année manga ne fait que commencer, mais avec ce premier tome, Bokko – Stratège s’impose comme LA nouveauté la plus impressionnante sur ces trois premiers mois à mes yeux, et devient de par le fait le titre à suivre pour cette année. À voir si un autre arrivera à faire aussi fort en 2023.

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5 commentaires

  1. Étant attiré par les récits de guerre, d’histoire et de stratégie en ce moment, ce titre semblait fait pour moi. Et tu confirmes cela avec ton avis très enthousiaste. Ça part direct en haut de ma liste d’achat !

    Aimé par 1 personne

    • Je suis ravi si mon enthousiasme t’as contaminé, même si je trouve que je ne rends pas honneur à ce premier tome vraiment vraiment brillant. J’ai été soufflé !
      Comme j’ai dit sur Twitter, j’étais juste curieux à l’origine mais là, c’est vraiment une révélation. Il y a intérêt que la suite soit à la hauteur !

      Aimé par 1 personne

      • D’autant plus que nous sommes face à l’un des premiers mangas dont l’intrigue se déroule en Chine, bien avant l’arrivée de « Kingdom ».

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  2. Très bonne série déjà lu pour moi lors de sa première édition! (Le coup de vieux^^)

    A l’époque assez rare de voir un manga dont l’intrigue se déroulait en Chine, le personnage principal charismatique et original ainsi que la patte graphique (j’ai plus en tête quelque chose de très impactant que de « beau ») m’en on laissé de très bons souvenirs

    Aimé par 1 personne

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