Lorsque le manga Mon Fils semble avoir été réincarné dans un autre monde a été annoncé par Mana Books, ma curiosité a tout de suite été piquée. Le concept d’un manga traitant de la question du deuil en la mettant en perspective avec l’isekai me semblait séduisante et propice à un récit à la fois émouvant et réflexif. Je guettais donc cette sortie, et le premier tome désormais lu, je peux confirmer que c’est en effet un récit très intéressant, dont le ton est différent de ce à quoi je m’attendais, mais tout à fait pertinent cependant, comme nous allons le voir.
Un grand merci à Mana Books pour l’envoi de ce premier tome. Vous trouverez un extrait via CE LIEN.
Commençons par la fin (du volume), où l’autrice explique un peu plus en détails sa démarche et ce qui l’a amené à écrire cette histoire, sur plusieurs pages. Une idée que je trouve très bienvenue, qui montre un peu la réflexion qui peut donner lieu à un projet de fiction, comment l’autrice a cheminé pour arriver à une œuvre qui fait sens. Car le sens n’est pas quelque chose qui va de soi dans le cadre d’une fiction selon moi. Pour le dire simplement, si une histoire raconte forcément quelque chose, elle peut par contre ne rien dire, dans le sens ne pas être porteuse de sens ou d’idées. Ce qui n’est donc pas le cas ici.
La mangaka précise qu’elle a toujours été une grosse lectrice de manga et de fictions de tous genres, notamment des isekai, mais pas que. Et elle a remarqué, expérimentant beaucoup de fictions où il est question de héros adolescent (et pas que) qui quitte parents et famille pour partir à l’aventure, sauver le monde, etc… Ou, plus spécifiquement, des isekai où un individu meurt pour finalement se réincarner et vivre sa best life dans un univers merveilleux. Or, devenant elle-même mère de famille, la mangaka a vu son point de vue se détourner avec le temps et l’âge, pour se questionner sur les personnes qui restent, les membres de la famille de la personne décédée et ressuscitée, vivant cette fameuse best life. De cette réflexion est donc né le présent titre, d’abord auto-publié en ligne, avant qu’un éditeur ne le repère et demande à Hikari Shibata de reprendre le dessin, pour en faire un ouvrage papier (le genre de chose qui arrive de temps en temps, l’exemple le plus évident étant One Punch Man, où les dessins dégueulasses de la version en ligne de One sont repris par Murata et son trait de psychopathe, afin de donner une version vendable au plus grand nombre). Vous trouverez ci-dessous un comparatif des deux versions, il me semble évident qu’il y en a une vachement plus agréable à l’oeil.
Tout ceci pour dire que le concept même du titre me parlait déjà beaucoup, notamment du fait de la focale mise sur la question du deuil d’une mère et du lien établi avec la fiction. Fiction comme moyen de résilience ? Comme moyen de se détourner d’une réalité trop difficile ? C’est compliqué de vraiment le savoir sur la base de ce premier tome, même si la question du déni est évidente. Sur ce point d’ailleurs, l’idée de raconter l’histoire du point de vue d’un personnage masculin extérieure est très bien vue, permettant de garder du mystère concernant ce qui se passe dans la tête de cette femme, qui est d’une part efficace d’un point de vue narratif et dramaturgique, mais qui en plus permet de ne pas aborder frontalement (au moins dans un premier temps) la question de ce que ressent cette femme, qui est peut-être trop dur à vraiment mettre en scène.
J’entends par là qu’il doit quand même être extrêmement difficile de se mettre dans la peau d’une personne qui vit une telle tragédie, et qu’éviter de s’y confronter trop frontalement est peut-être préférable au fait de se louper en voulant se plonger totalement dans la psyché du personnage. Ainsi, la médiation du personnage masculin, qui se questionne beaucoup sur ce que cette femme peut ressentir, me semble un bon reflet du point de vue de l’autrice, qui se questionnerait en direct sur les sentiments de son personnage. Mais, fort heureusement, cela n’empêche pas un développement réel et pertinent de chacun des deux personnages principaux. D’autant plus que, la série étant finie en 5 tomes, cela nous laisse une vraie marge de développement.
Et donc, Mio, 35 ans, a perdu son fils de 17 ans, renversé par une voiture. Elle repense donc logiquement à son ancien camarade de classe Dobara, otaku de son état (encore aujourd’hui), avec qui elle reprend contact afin de l’aider à se réincarner dans un autre monde aux côtés de son fils, ou à défaut de le faire revenir dans notre monde à nous. En partageant le point de vue de Dobara, on se questionne sur l’état mental de cette jeune femme, pensant fort logiquement qu’elle a un peu perdu les pédales et se convainquant que la mort de son fils n’est pas définitive.
Ce simple concept est déjà porteur de sens et de réflexion sur la question du deuil, quand bien même on ne partage pas les pensées de Mio, point de vue qui, comme je l’ai dit, me semble intenable d’une part car il est compliqué de se projeter dans ce genre d’expérience (même si on pourrait arguer que c’est aussi le travail d’auteur que de réussir à se connecter émotionnellement à des expériences qu’on n’a pas vécu), et peut-être également qu’il serait trop lourd pour le lectorat de partager un tel point de vue.
De ce choix narratif découle un traitement qui ne manque pas d’humour, notamment vis-à-vis du fait que Mio cherche dans un premier temps à mourir pour rejoindre son fils. Si cette idée est liée au côté réflexion sur les codes de l’isekai, avec la question de la réincarnation, le fait de voir une mère chercher à mourir suite à la mort de son fils a quand même un côté frontal quant à la question de l’incapacité de faire son deuil. Je pense que tout parent se pose ce genre de question, en tout cas ma femme l’a déjà évoqué avec moi, disant clairement que si nos filles meurent, elle pense qu’elle se foutra forcément en l’air car elle ne pourra pas vivre sans elles. Oui, on aborde des questions joyeuses ici ! Mais le fait est que c’est le cœur du récit, quand bien même le renvoi à l’isekai détourne légèrement la question (même si, encore une fois, le fait de ne pas partager le point de vue de Mio fait qu’on peut légitimement se demander si sa façon de se comporter n’est pas un alibi pour simplement mettre fin à ses jours).
Et ce choix de focalisation permet également une certaine dose d’humour. En effet, le récit est loin d’être plombant, quand bien même il y a une certaine gravité, notamment car le spectre de la mort plane. Le décalage entre Dobara, qui a souvent des réflexions d’otaku un peu socialement inadapté, et Mio qui a une vision barrée des choses, crée des situations assez cocasses. Un petit exemple comme ça : les deux personnages sont chez Dobara, et Mio cherche un couteau de cuisine. Ce dernier s’imagine, dans un fantasme d’otaku, qu’elle souhaite lui préparer un bon plat pour le remercier de l’aider dans sa quête, et est tout fou. Or, elle lui tend le couteau en lui disant « vazy gros, plante moi, j’ai vu dans un isekai qu’une personne assassinée s’est réincarnée, et je me suis dit que si je me plante moi-même ça marchera pas ». C’est ce genre de décalage qui est cocasse et apporte une légèreté qui fonctionne vraiment bien au récit.
Récit qui, plus globalement, est structuré en petite scénettes avec comme fil conducteur la volonté de se réincarner dans l’autre monde où serait le fils mort. Dobara essaie dans un premier temps de la détourner de l’idée de mourir, en lui montrant qu’il est possible d’aller dans un autre monde via des moyens plus doux, comme des portails magiques. Ainsi, de fil en aiguille se dessine un récit où le jeune homme essaie de maintenir la jeune femme dans le réel et le monde des vivants, tandis qu’elle s’enferme dans ses fantasmes. Avec en fin de volume une ouverture vers ce réel, où la question du mari de Mio est évoquée notamment.
Ainsi, tout ce mêle de façon logique dans ce récit, où le questionnement de la mangaka pour aborder ses sujets est payant. Il n’y a pas de mystère pour moi, la réussite de ce premier tome (vraiment brillant) vient du fait qu’on se trouve devant une autrice investie dans son sujet, qui l’a pensé et a trouvé un concept lui permettant de le travailler et l’exploiter comme il se doit, en réussissant à projeter son expérience de mère de famille dedans. En résulte un premier tome chargé en terme de réflexion et d’émotion, quand bien même le ton est loin de ce que j’imaginais. Il y a un vrai travail sur le non dit lié au point de vue choisi, qui est ultra opérant sur la question des thématiques. De quoi rendre extrêmement enthousiaste quant à la tenue du récit sur sa globalité (la série étant finie en 5 tomes pour rappel). C’est fin, intelligent, habité, ça évite toute forme de facilité. Avec la quantité énorme de sorties constantes, le titre pourrait malheureusement passer inaperçu, et ce serait bien dommage, tant ce premier tome est brillant. Achetez-le, c’est un ordre !
Oh intéressant en effet de suivre le point de vue du meilleur ami.
J’espère quand même qu’on aura le point de vue de la principale concerné à un moment donnée pour changer notre vision des choses (et qui sais, ça nous réserve peut-être aussi quelques surprises).
Mais même en sois, se retrouver projeter dans un autre monde lors d’un accident est également une question qu’il est difficile de prouver. Et même si c’est vrai, trouvé la méthode adéquate pour y parvenir n’est pas mince à faire.
La symbolique avec le suicide suite à un faible état mental suite à ce traumatisme est toute trouvée, on peut même imaginer que pour ceux n’étant pas au fait des « isekai », prennent l’autre monde pour le paradis
Sinon ça va bien chez vous à la maison ? Tu veux en parler ?
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Oui, ça va très bien ten fais pas. Je peux pas promettre qu’un éventuel décès d’un de nos enfants ne sera pas difficile à gérer, mais c’est aussi pour ça qu’on a inventé les jeux video.
Genre là, si un événement fâcheux arriverait, je sais que Resident Evil 4 arrive bientôt, ce qui me permettra d’oublier la peine.
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Ton article confirme mon intuition. C’est un titre qui m’a tapé dans l’oeil par son sujet innovant ou du moins la façon d’aborder l’isekai. Je l’ai mis sur ma liste des titres à lire 🙂 .
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J’espère qu’il saura te parler dans ce cas. De mon côté tu l’auras compris, c’est une réussite !
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Le pitch m’intéressait beaucoup depuis que je l’avais lu sur un tweet de Manga Mogura. Comme tu le soulignes, le titre peut s’intéresser au processus du deuil avec le déni de la mère. Et c’est intéressant d’imaginer ce que vit la famille du héros alors que lui vit sa meilleure vie. Ce serait comme voir le quotidien de la famille du héros dans un heroic fantasy alors que ce dernier est en train d’accomplir sa grande destinée. Je sais que le titre est dans un coin de ma tête pour m’y essayer à l’occasion et ton article me confirme qu’il y a d’excellentes qualités. J’aimerais bien (mais l’autrice pourrait me surprendre !) que le titre restera sur une certaine ambiguïté, permettant d’imaginer que la théorie de la mère est plausible, mais aussi que c’est tout un processus de deuil qu’elle entame. (à l’image de la finalité du Labyrinthe de Pan qui, jusqu’au bout, te permet de croire qu’il y a une explication réaliste mais aussi une fantastique).
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Alors honnêtement, avec le premier tome, je trouve qu’on reste dans le flou dans le sens où pour le moment, on ne peut qu’être sur l’hypothèse réaliste (et donc pas de réincarnation), mais en même temps, l’écriture du personnage de la mère et le fait qu’elle soit à fond dans son truc donne vraiment envie de se dire « et si ? ».
Je sais pas si c’est volontaire de la part de l’autrice où juste ma vision des choses, et avec 4 tomes il y aurait tout à fait le temps d’aller dans cette direction, mais sur la base du premier tome, c’est compliqué de s’imaginer un récit qui irait par là.
Après, il y aurait d’autres façon tout en restant dans la veine réaliste d’utiliser cet élément pour adoucir la réalité et rendre l’hypothèse fantastique « realistement opérante ». J’espère que c’est clair, car ça l’est dans ma tête mais comme tu n’y es pas, c’est pas évident de se faire comprendre 🤣
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T’inquiète c’est très très clair ! A voir ce que va proposer l’autrice s’il y aura une explication ou est-ce qu’il restera un flou jusqu’au bout. L’arrivée du mari pourra aussi bouleverser pas mal de choses selon son positionnement par rapport à la mort de son fils.
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Ouais, cette arrivée annoncée devrait quand même considérablement impacter la dynamique du récit. J’ai très hâte de voir ce qui va en découler.
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Plusieurs choses !
D’abord il existe une bd qui s’appelle « ceux qui restent » et qui parle des familles de tous ces enfants qui ont des destins dans d’autres mondes et qui les laissent de côté. Ton article m’y a fait repenser et à mon avis tu devrais bien aimer ☺️
Ensuite, franchement je n’aime pas les titres à rallonge et je me tourne assez peu vers le catalogue de cet éditeur mais ton article m’a hyper emballée ! Faut que je teste. Merci 😁
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Hé bien la BD dont tu parles est dispo en mediatheque, donc je pense que je vais voir ça !
Sinon, je suis ravi de t’avoir hyper emballé car je le suis aussi ! Bien plus que pour Saisons Maudites qui traite aussi du deuil, comme je l’ai dit dans l’article.
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Ah bah super j’ai hâte de savoir ce que tu en auras pensé !
Pareil si je me base sur l’extrait que j’ai pu lire de saisons maudites 😁
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Lecture faite et comme toi j’ai été très touchée par l’impossible deuil de cette femme et la rencontre qui se fait avec cet ancien camarade de classe.
Ça en dit long sur notre fuite de la réalité, sur le mal être d’une femme peut-être mère et épouse trop tôt, ou sur un fan de littérature qui se sent mal dans la société qui l’entoure. Ça sonne très juste.
J’ai été agréablement surprise de retrouver un tel titre chez Mana. J’espère qu’ils continueront d’explorer cette voie car ici humour (car oui, j’ai bien ri des tentatives de Mio et réactions de Dobara ><) et émotion se marient très bien.
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Ouais, j’espère aussi que le titre trouvera son public et qu’il donnera envie à Mana de tenter d’autres séries du genre. C’est certain que j’irai au bout en tout cas !
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De même, c’est le premier qui me donne vraiment envie d’aller au bout !
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[…] N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : L’Apprenti Otaku, Floriane, Vous […]
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