Mon avis sur… Du Mouvement de la Terre T.1 de Uoto

Du mouvement de la terre tome 1

Il est impossible d’évaluer la qualité d’une série dans sa globalité sur la foi de son seul premier tome, c’est évident. Mais, en général, un premier tome suffit à savoir à peu près à quelle sauce on sera mangé, nous dévoilant un programme de où l’auteur ou l’autrice veut nous amener. Mais parfois, des titres sont plus compliqués à appréhender dans leurs ambitions narratives et discursives, si bien qu’on est dérouté à la lecture du seul premier tome. C’est pour moi le cas avec ce premier volume de la série Du Mouvement de la Terre, qui semble dérouler un certain programme, avant de déjouer certaines attentes, laissant dans une forme d’inconnu qui sied finalement assez bien à ce qui semble être le sujet principal du titre. Ce qui est certain, c’est que même sans être totalement certain de la direction que la série va prendre, j’ai été assez soufflé par la qualité d’écriture et les pistes de réflexion proposées par ce premier volume, aussi enthousiasmant que déroutant.


Un grand merci à Ki-oon pour l’envoi de ce premier tome. Vous trouverez un extrait d’une cinquantaine de page (soit quasiment un tiers du volume) via CE LIEN.


Avant toute chose, resituons cette série qui était attendue chez nous, et ce pour plusieurs raisons. Second manga du très jeune auteur Uoto (seulement 25 ans le bougre !), Du Mouvement de la Terre est un seinen très remarqué, conclu en 8 tomes, dont la prépublication avant commencé en 2020 dans le Big Comic Spirit de Shogakukan. La série a été plébiscitée au Japon, remportant le Prix Culturel Osamu Tezuka, et arrivant 2e au Manga Taisho Award et au prix des libraires Kono Manga ga Sukoi. Enfin, une adaptation animée est d’ores et déjà annoncé, suite au retentissement critique dont le titre a bénéficié, et qui se traduit par ailleurs par des ventes plutôt élevées si on en croit son classement au top oricon. De ce fait, il n’y a pas grand chose d’étonnant à voir la série débarquer chez nous, et pour ma part, le fait de la voir chez Ki-oon me semble tomber sous le sens par rapport à leur coloration éditoriale. Dernière précision, la traduction française est assurée par Alex Ponthaut.

Tout ceci étant précisé, voyons de quoi parle ce premier tome ! Comme je l’ai dit, il est déroutant sur un certain nombre de points, créant une forme d’incertitude vis-à-vis du sujet réel de la série. Car si la question de la science face à la religion au Moyen-Âge, notamment sur la question de l’héliocentrisme, semble être un élément au cœur du récit, plusieurs éléments thématiques questionnent, faisant que je ne pourrai pas affirmer à ce stade si c’est le seul cœur discursif de l’œuvre, ou si l’auteur n’utilise pas simplement cet aspect pour tisser un discours plus profond. C’est comme toujours la sempiternelle question de ce que le titre raconte VS ce que le titre dit. Ou, pour le dire plus simplement, la fameuse question des différents niveaux de lecture d’une œuvre. Pour ma part, j’aime à penser qu’une œuvre quelle qu’elle soit a forcément plusieurs « niveaux de lecture », et de ce fait, il me semble inutile de préciser cet état de fait. Ce qui m’intéresse davantage, c’est surtout d’identifier ces fameux niveaux de lecture et comment ils sont traités. Et si le risque de partir dans un délire interprétatif est là, ma foi, ce n’est pas bien grave, je n’ai aucun souci avec l’idée de nourrir ma lecture de mes propres obsessions.

Je n’avais pas lu le résumé avant de me lancer dans la lecture, petit privilégié que je suis qui n’a pas forcément besoin de sélectionner. Or, je trouve après avoir lu le tome que ce dernier aiguille un peu sur ce qu’on va y trouver :

Au-delà du savoir, la beauté de l’univers.

Dans l’Europe de la fin du Moyen Âge, la religion régit la société et le moindre faux pas mène à la torture et au bûcher. Les sciences, au service du dogme, servent à prouver la centralité de la Terre et des Hommes, créations ultimes de Dieu. Gare à qui remettrait cette idée en cause…

Le jeune Rafal, fils adoptif du maître de son école, prépare des études de théologie, la matière de l’élite. Brillant et bourré d’ambition, il compte bien réussir dans la vie… Pourtant, les certitudes du petit prodige s’écroulent au contact d’un homme, Hubert, tout juste sorti de prison. Son crime a un nom : l’héliocentrisme. Sous ses airs de repenti, Hubert continue son étude des astres, et sa ferveur déteint sur l’étudiant… À ses côtés, le monde de Rafal bascule. Tout concorde, c’est bien la Terre qui tourne autour du Soleil, et non l’inverse ! Pour la première fois de sa vie, il entrevoit la vérité sur l’univers… et par là même, sa beauté ! Il n’y a plus de retour en arrière possible : l’astronomie sera sa voie, quitte à mettre sa vie dans la balance…

L’émotion de la découverte n’a pas de prix. Des générations d’hommes et de femmes ont sacrifié leur vie pour donner un sens à l’univers, en dépit du dogme religieux ! Primé de nombreuses fois au Japon, Du Mouvement de la Terre nous entraîne dans le flot tumultueux de destinées liées par la quête de la vérité…

Si le titre semble assumer pleinement son image d’Épinal du Moyen-âge, mettant énormément l’accent sur la torture par exemple (c’est littéralement par ça que le titre commence), cela me semble être pour mettre en exergue l’importance de la « révélation » des personnages concernant l’héliocentrisme. J’ai déjà pu lire des commentaires critiquant cette vision du Moyen-Âge qui ne serait pas en phase avec la réalité, mais étant assez peu au courant de tout ça, je m’intéresse surtout à ce que cela permet de dire. Ici, la tension entre religion et science me semble surtout un moyen de créer une corrélation entre deux systèmes de croyance, puisque le cœur de ce premier tome est, selon moi, la façon dont un jeune garçon élevé dans un modèle de croyance totalement religieux va avoir une « révélation » scientifique et esthétique (ce second point est vraiment important, et mis en scène dès le début via la figure de la spirale de Fibonacci) quant à la nature héliocentrique de la Terre et de son mouvement.

Mouvement du corps et de la Terre

Une révélation par ailleurs très intelligemment mise en scène, mettant l’accent sur la question du point de vue par un découpage très codifié qui fait pourtant des merveilles (voir image ci-dessus). C’est d’ailleurs l’occasion idéale pour un petit mot concernant le style visuel global du titre. Car si j’ai mis en avant un très beau moment de mise en scène, force est de constater que globalement, on est plus sur quelque chose de fonctionnel avant tout en terme de mise en scène et de découpage. Mais, surtout, le trait de l’auteur en lui-même est loin d’être des plus flatteurs, les visages des personnages étant franchement rudimentaires, avec pas mal de grossièretés dans la façon dont ils sont dessinés bien souvent. On sent vraiment que le dessin en lui-même n’est pas la plus grande des qualités de l’auteur et de son titre, et pourrait tirer vers le bas la série si elle n’était pas si bien écrite. Car c’est vraiment ce dernier point qui drive tout et qui nous fait rester, faisant oublier les errances visuelles. Cependant, j’insiste quand même sur le fait qu’il y a parfois quelques très belles idées de mise en scène au sein de ce premier tome, qui se démarquent d’autant plus du fait que le reste du temps, on est dans quelque chose de très moyen sur ce point.

Ceci étant dit, ce qui m’a particulièrement soufflé dans ce premier tome, c’est la façon dont est décrit ce choc et cette remise en question globale chez le jeune Rafal quant à l’héliocentrisme. Si l’aspect scientifique est abordé par le mangaka, il ne s’appesantit pas trop dessus, ce qui n’est pas plus mal. Cela me semble au contraire être le passage obligé rapidement abordé, pour davantage se focaliser sur le questionnement qu’il implique chez Rafal, et sur la naissance d’une quête au caractère obsessionnel chez le jeune garçon.

Et il me semble que cet aspect devient le cœur discursif du récit, quand bien même il est compliqué de réellement se figurer comment ceci va être traité par la suite, surtout au regard de ce qui se passe à la fin de ce premier volume. Mais c’est déjà un programme extrêmement enthousiasmant en lui-même que de suivre une quête obsessionnelle sur une temporalité plus ou moins longue. Car la question de la valeur qu’on donne à cette quête est constamment posée dans ce premier volume, puisque chacun des personnages qu’on y croise se demande si elle vaut le coup de mettre sa vie dans la balance.

Et tout ceci devient passionnant et grisant, l’auteur abordant de façon frontale cet aspect, évitant certains poncifs dans le développement de son récit qui lui auraient fait perdre en force. D’où le fait d’aller dans une direction relativement inattendue, mais qui est pour le mieux selon moi.

Ainsi, s’il est encore difficile de vraiment savoir comment le récit va se développer, et quels atours prendront cette quête de savoir sur l’héliocentrisme, ce premier tome donne déjà des indications claires quant au talent d’écriture de l’auteur, et sa capacité à proposer quelque chose de dense et d’édifiant. De ce fait, si on attend d’un premier tome qu’il nous déroule un programme narratif concernant l’ensemble de la série (qui plus est assez courte ici, seulement 8 tomes), on pourrait être déçu. Mais si on demande à un premier tome de nous tendre une main vers une expérience de lecture riche, même sans bien percevoir encore vers où elle nous mènera, ce premier volume de Du Mouvement de la Terre est une réussite totale.

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12 commentaires

    • Moi aussi, et j’ai déjà été assez étonné par la direction prise sur la fin du premier tome, et l’insistance sur la question de la beauté et de l’esthétique qui me laissent à penser qu’il y a une forme de métaphore qui se cache là-dessous.

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