Mon avis sur…New Normal T.1 de Aihara Akito

Ce que j’aime avec un concept comme celui de ce manga (créer un récit d’anticipation lié à un événement majeur, ici le port du masque lié au Covid), c’est que si l’auteur réussit son coup, cela donne quelque chose de forcément passionnant. Mais à contratio, si il se loupe, il est difficile d’être vraiment bienveillant avec un titre qui aura vu trop gros. Fort heureusement, ce premier tome est vraiment très intéressant, utilisant certains codes narratifs (notamment de la romance lycéenne) au service d’un récit qui met déjà en place des éléments d’univers intéressants, parfois assez finement écrits, tout en proposant déjà des pistes de réflexion fertiles. Une bien belle réussite donc, qu’on va un peu décortiquer ici.

Un grand merci à Kana pour l’envoi de ce premier volume. Vous trouverez un extrait via CE LIEN.

New Normal est donc une série récente, prepubliée depuis 2020 en ligne sur le site Comic Owl de l’éditeur Funguild. Il est ici d’autant plus important de préciser sa date de publication que c’est un titre écrit en réaction à l’actualité du moment, à savoir la pandémie du Covid-19, et l’obligation du port du masque dans de nombreux pays. Le titre se sert donc de ce prétexte pour dépeindre un futur proche où une pandémie aurait dévasté une grande partie de l’humanité, et où on vivrait constamment masqués.

Dès les premières pages, l’accent est donc mis sur les Bouches, cette partie du visage qu’on ne voit jamais, et qui devient très érotisée. De jeunes lycéens regardent d’ailleurs un magazine de charme où une femme est en sous vêtements, et plutôt que s’attarder sur son corps, les adolescents aux hormones en ébullition sont tout chose devant la bouche visible de la jeune femme. Il faut dire que même dans le cadre privé et familial, beaucoup de gens continuent de porter un masque, et il en existe même prévus exprès pour manger.

Dans une telle situation, on ne connaît finalement pas le bas du visage de ses camarades et collègues. De ce fait, certains lycéens fantasment sur la bouche d’untel ou d’une telle, et utilisent même des applications permettant de créer une bouche via une IA sur des photos. D’emblée, l’auteur joue d’ailleurs intelligemment de clichés du shonen de romance, en remplaçant les parties habituellement érotisées par la bouche. Ainsi, le jeune héros de l’histoire, Hata ne va pas apercevoir par hasard la culotte ou la poitrine d’une camarade, mais bien sa bouche.

C’est après avoir vu Natsuki boire alors qu’elle se pensait seule que les deux adolescents vont se rapprocher, cette dernière étant assez obsédée par l’idée de voir, mais aussi de montrer sa bouche. C’est alors que les deux vont se rapprocher, sortant notamment ensemble dans un parc afin de se montrer leurs bouches à l’abri des regards. Et au milieu de ceci, une seconde adolescente viendra se greffer, puisque Hata verra aussi sa bouche par inadvertance (il en a de la chance le coquin !).

Un concept de romcom shonen qui détourne donc des codes classiques pour notamment questionner les nouveaux rapports humains que peuvent induire le port du masque, à une période où cet aspect était énormément discuté. Je sais notamment en tant que parent que l’habitude pour les jeunes enfants de ne voir que des gens masqués questionnait pas mal sur le développement de capacités motrices du visage des enfants, ou sur leur capacité à décrypter les expressions des interlocuteur, ou même simplement la communication. De même, la question de la distanciation sociale me semble avoir légèrement modifié les rapports entre individus, notamment en créant une distance plus grande dans la façon de se saluer dans des cadres professionnels.

Le manga réfléchit donc à tous ces aspects, les radicalisant parfois pour le bien de son récit, dépeignant son univers avec une certaine finesse. Par exemple, ce n’est jamais précisé mais on devine que les individus sortent moins qu’avant, notamment en constatant qu’il y a des cours de pilotage de drones dans le cadre des activités scolaires, afin de pouvoir voir davantage du monde dans un contexte de « telepresence » via des casques de réalité virtuelle qui mettent le pilote à la place de la machine. De la même façon, les masques sont plus performants puisqu’il en existe des versions adaptées à la pratique sportive ou encore pour manger, de quoi éventuellement rester masqué 24h sur 24.

Tous ces petits détails mis bout à bout crédibilisent l’univers et enrichissent une réflexion globale sur la possibilité d’une vie si distanciée, et ses conséquences sociales. En ça, ce premier tome introduit vraiment très intelligemment son récit, en mettant déjà en avant des possibilités complotistes, avec notamment des anti-masques persuadés que le virus n’est plus là, et qu’on force les populations à s’astreindre à certaines règles sans raisons, voire pour cacher quelque chose. Hata et ses camarades vont être pris au milieu de tout ceci, et le cliffhanger de ce tome promet de nous en apprendre davantage sur le fonctionnement de ce monde, en même temps qu’il lance pour de bon le récit.

Ainsi, c’est une entrée en matière vraiment réussie pour cette nouvelle série, qui soigné vraiment son cadre pour le rendre credible et riche d’un point de vue réflexif. En postulant un univers où la pandémie aurait bouleversé de façon bien plus radicale les rapports entre individus, le mangaka questionne sur notre actualité et notre vie quotidienne, tout en proposant un récit enlevé, mélangeant des éléments de romance, d’anticipation voire de thriller avec les questionnements complotistes en scène, le tout dans un cadre qui permet à tout ceci de se marier harmonieusement. Une excellente découverte, qui aurait facilement pu décevoir. On est d’autant plus ravi d’en constater la réussite sur ce premier tome.

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12 commentaires

  1. Quand j’ai vu l’annonce de ce titre j’avoue avoir été intriguée par le concept justement parce que l’auteur exploite notre actualité en se la réappropriant mais j’avais peur que ce soit raté ou pas assez fin. Tu me prouves le contraire par ton billet, je vais donc me procurer ce titre à mon prochain passage en librairie 💪 (tu peux sortir le champagne 🤣)

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    • Je vais quand même attendre de voir ce que tu en pense d’abord, surtout qu’il y a une composante romance qui me donne des craintes quant à ton appréciation !

      Mais sur ce premier tome, je trouve qu’il y a des choses très intéressantes esquissées. Même si bien sur, tout ça sera à développer !

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      • Non mais parfois je lis de la romance hein 😆 et même j’aime bien par moment, je suis juste super difficile, faut que ça soit intéressant, original, bien amené et c’est que en manga que ça passe. Genre je lis Sasaki et Miyano, Horimiya, Pseudo Harem… Donc pourquoi pas New Normal 🤷 il me faut juste le déclic et m’attacher aux perso et ça, y’a pas vraiment une règle qui fait que. C’est du feeling.

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  2. C’est donc « nouveau normal » de porter des masques, moi qui pensais en avoir fini avec eux

    Ta bien fait la remarque, mais le vissage est un point important pour mieux cerner et comprendre le sentiment des gens. Je me demande comment ça sera abordé dans le manga car mine de rien, c’est souvent dans les romances qu’on a des réactions du vissage assez exagérer. En plus si je ne dis pas de bêtise, dans le manga ça fait déjà de nombreuses année que le masque est obligatoire, certain enfant n’auront donc connu que ça depuis leur naissance. Le fait de du jour au lendemain vouloir bravé l’interdit de ce qu’on nous à appris depuis petit pourrais être un point intéressant à développer par la suite du manga.

    Sinon mise à part quand tu dis « De même, la question de la distanciation sociale me semble avoir légèrement modifié les rapports entre individus, notamment en créant une distance plus grande dans la façon de se saluer dans des cadres professionnels. » je pense que ça dépend aussi des secteurs d’activité, mais c’est aussi quelque chose que je ressens aux quotidiens, les gens sont plus distant qu’avant la pandémie

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    • Oui, je le ressens aussi dans le travail, plus de bise ou autre, retour du masque ponctuellement quand on est malade ou autre, chose qui se faisait déjà au Japon d’ailleurs, mais qu’on ne voyait pas chez nous.

      Cela évoque des choses très intéressantes, explicitement ou implicitement je trouve. je pense aussi, je le vois au travail, à certains ados qui continuent de porter le masque au quotidien pour cacher leur visage, et non pour des questions de maladie.

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  3. Ton article suscite grandement mon intérêt ! Encore une fois, merci aux bloggeurs et Twitter, parce que je serai sans doute passé à côté ! L’avantage des réseaux et de suivre des bloggeurs passionnés et talentueux (comme toi) me permet de découvrir pas mal de titre qui seraient passés sous mon nez !

    Voilà une façon originale d’aborder une romance, surtout que tout le monde a été concerné par la pandémie et que c’est encore actuel, même si moindre aujourd’hui. Surtout qu’il peut y avoir un fond plus dramatique et ça me tente bien 🙂

    Merci à toi pour la découverte 🙂 Et le très bon article 😀

    Aimé par 1 personne

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