Mon avis sur… Darwin’s Incident T.3 de Shun Umezawa

Darwin's Incident

Alors que dans les deux premiers tomes, les questions qui semblaient le cœur du récit (le specisme, le veganisme, les manipulations génétiques sur les animaux) se déplaçaient vers celle du terrorisme, elles finissent par devenir dans ce troisième volume le centre des réflexions de l’auteur. En convoquant toujours des œuvres de fiction pour nourrir ses thématiques, jusque dans son illustration de jaquette qui cite explicitement Franckenstein et Barbe Bleue, Shun Umezawa joue encore la carte du récit meta-discursif, traitant non seulement des thématiques de son histoire, mais aussi des façons dont ces thématiques infusent les fictions qui la précédent. Se pose ainsi la question de la véritable nature du Darwinisme évoqué dans le titre de la série, qui serait peut-être un Darwinisme de la fiction…


Un grand merci à Kana pour l’envoi de ce volume.


Mon avis sur les tomes précédents : Tome 1Tome 2


Ainsi, il est toujours compliqué de me positionner quant à cette série. Si elle est évidemment passionnante à mes yeux, elle l’est surtout dans sa façon de finalement traiter d’éléments qui ne vont pas de soi compte tenu de son postulat de départ. Si les questions éthiques liées aux manipulations génétiques sur les animaux sont évidentes, si le rapport que nous entretenons aux animaux est également ce qu’on attend d’un récit pareil compte tenu de son personnage central, questionnant également ce qui différencie l’homme de l’animal (ou le rapproche), le titre semble surtout inviter à prendre de la hauteur par rapport à un prêt à penser qu’on retrouve malheureusement dans le discours critique autour de la série, où certains saluent les nuances apportées concernant le discours sur le véganisme qui ne serait ni tout noir ni tout blanc.

Un élément dont, en réalité, on se contrefout au vu de ce que le titre raconte, et qui est clairement le passage obligé qu’on peut laisser de côté tant il n’apporte pas grand chose. Mais certains s’arrêtent à ça, donnant la démonstration qu’au fond, on arrête facilement notre réflexion à la seule chose saillante que l’on semble percevoir, quand bien même elle est un poncif d’une banalité affligeante (a-t-on besoin d’un manga pour nous dire que c’est mieux de pas manger de viande mais qu’en même temps on ne peut pas forcer les gens ?).

De ce fait, Umezawa semble nous inviter à prendre de la hauteur, pour évoquer des choses qu’on n’aurait pas forcément vu venir. Si les développements narratifs sont assez convenus, et pas forcement valorisés par une mise en scène juste fonctionnelle, c’est bien le questionnement sur les questionnements (répétition volontaire, pas d’inquiétude) éthiques qui est pertinent ici. Notamment dans le fait de mettre enfin des mots vraiment percutants dans la bouche d’un personnage, lorsqu’un terroriste explique à Charlie en quoi l’élevage intensif est nocif pour la planète, et que ce dernier lui répond en gros « je m’en branle, je n’ai pas demandé à venir au monde donc je n’ai aucune responsabilité sur cette question. ».

Charlie, présenté comme un potentiel nouveau stade de l’évolution, faisant la jonction entre l’homme et l’animal, s’en fout du monde. Mince, comment faire dans ce cas ? L’auteur choisit de l’assimiler à la créature de Franckeinstein, jusque dans le fameux trope de la demeure qui s’enflamme, après une évocation de Barbe Bleue également, tissant encore une fois un lien entre ces fictions, mettant en scène non sans une certaine prétention l’idée de continuité entre des références écrasantes et son manga (rappelons qu’il a aussi convoqué Alan Moore le bougre).

Ainsi, bien plus que les considérations éthiques somme toutes banales mises en exergue dans le manga, c’est surtout la façon de rappeler qu’elles n’ont rien de nouvelles, mais qu’au fond on s’en fout, qui est vraiment percutant ici. Je suis peut-être dans un délire interprétatif (même si la constance dans les évocations d’autres fictions me semble un indice important), mais il me semble que c’est vraiment dans le pas de côté opéré par rapport aux thématiques attendues que se cache vraiment la profondeur de Darwin’s Incident. Parce que encore une fois, quel intérêt sinon de nous rappeler pour la 1000e fois qu’on ne joue pas à Dieu comme ça, et que les animaux ressentent des choses et que ce serait mieux de ne pas les manger. On est tous au courant semble nous dire le manga, et il serait bon de prendre désormais un peu de hauteur pour aller plus loin que ces idées. Ce que la série semble bien partie pour faire.

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3 commentaires

  1. Normalement, je ne lis pas tes articles sur les suites de manga que je n’ai pas lu mais je fais une exception pour celle-là. J’ai lu le 1er tome et je suis partagée : c’était intéressant mais je suis encore méfiante. Je verrai si je lui donne sa chance avec tes articles vu que tu suis la série !

    Aimé par 1 personne

    • J’étais méfiant sur les deux premiers, mais je suis un peu rassuré avec ce troisième tome.

      Je pense que l’auteur est assez malin dans sa façon d’aborder ses thématiques, et j’ai l’impression que ce qui m’intéresse surtout c’est de tisser du lien avec d’autres œuvres qui abordent les mêmes thématiques.

      Aimé par 1 personne

      • Sur ce dernier point, j’ai trouvé pas mal de sujets mis en scène par Pixar et traités par Disney longtemps avant *.
        Voici quelques exemples :
        • jouets vivants : « Joujoux brisés » (1935) et « Toy Story » (1995)
        • voitures vivantes : « Susie, le petit coupé bleu » (1952) et « Cars » (2006)
        • personnification des émotions : « Raison et Émotion » (1943) et « Vice-versa » (2015)
        • cohabitation entre différents types d’individus : « Zootopie » (2016) et « Élémentaire » (2023)
        • découverte du monde humain par une créature sous-marine : « La Petite Sirène » (1989) et « Luca » (2021)
        • un jeune personnage recevant une aide inattendue : « Pinocchio » (1940) et « WALL-E » (2008)
        • conflit impliquant un changement d’apparence : « Frère des ours » (2003) et « Rebelle » (2012)
        • histoire mise en scène dans un monde fictif : « Robin des Bois » (1973) et « Buzz l’Éclair » (2022)
        • aventure se déroulant à Paris : « Les Aristochats » (1970) et « Ratatouille » (2007)
        Les intrigues sont très différentes, mais on sent que cela s’appuie malgré tout sur une même base.

        * Cela concerne uniquement le point de départ et non les différences scénaristiques.

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