Mon avis sur… Jun Mayuzuki – Anthologie 2007-2017

Autrice publiée par Kana avec soin, Jun Mayuzuki s’est faite remarquer dès sa première série parue chez nous, Après la Pluie, et a depuis confirmé son talent avec Kowloon Generic Romance, actuellement en cours. C’est donc tout naturellement que Kana s’est penché sur les histoires courtes de la mangaka, nous proposant aujourd’hui cette anthologie de près de 300 pages, proposant des œuvres courtes qui tissent une ligne directrice dans le travail de Mayuzuki, interrogeant la féminité, les rapports hommes/femmes, avec un soin tout particulier accordé à l’esthétique, à l’ambiance, mais aussi à l’écriture de personnages profonds, malgré la faible durée des histoires. Loin d’être une simple curiosité réservée aux fans de l’autrice, voyons en quoi ce volume est un magnifique moment de lecture qui vaut pour lui-même.

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Un grand merci à Kana pour l’envoi de ce volume. Vous pouvez trouver un extrait (en réalité l’intégralité de la première histoire du recueil) via CE LIEN.

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Si une anthologie d’histoires courtes d’un ou une mangaka représente une forme de validation de l’importance de l’auteur, c’est aussi une bonne chose si l’ouvrage vaut pour lui-même et n’est pas seulement une curiosité pour les collectionneurs ou les gens adeptes de la politique des auteurs. Car il y a parfois des recueils d’histoires courtes qui valent plus par leur côté « découverte d’un talent en éclosion », quand d’autres recueils sont au contraire des indispensables, ou tout du moins des ouvrages vraiment passionnants, pour eux-mêmes (je pense spontanément à l’ouvrage Fossiles de rêves de Satoshi Kon, qui est pour moi son meilleur manga). Cette anthologie est clairement dans la seconde catégorie, présentant des histoires passionnantes bien que courtes, édifiantes et riches, qui arrivent à dresser des portraits profonds de personnages en peu de pages.

Des histoires centrées sur des femmes, où il est question de rapport aux hommes et au sexe. Le ton varie, même s’il est régulièrement teinté d’humour (quand on est pas dans la comédie pure), mais aborde toujours malgré tout des thématiques très sérieuses. La première histoire, centrée sur la rencontre entre une femme transgenre et un homme hétéro qui a du mal avec l’idée d’une femme qui a un pénis, est de toute beauté et arrive en une trentaine de pages seulement à développer une très belle relation, qui évolue naturellement vers de l’amour et vers la prise de conscience pour l’homme que cette femme est bien une femme, et qu’il l’aime comme elle est.

La seconde, sûrement ma préférée du recueil, est centrée sur une femme qui fait des conférences et écrit des livres en mode « empowerment » où elle invite notamment les femmes à donner un nom à leur sexe comme le font les hommes, et à prendre le contrôle. Problème, cette femme n’a jamais eu d’orgasme et a bien du mal à être aussi à l’aise avec sa sexualité qu’elle le laisse paraître. Au détour d’une rencontre avec un homme qui n’est pourtant pas dans ce qu’il l’attire de prime abord, les choses pourraient changer de façon inattendue. Cette histoire, développée sur une soixantaine de pages, est une vraie merveille à mes yeux. L’autrice dresse un très beau portrait de femme, qui charrie des thématiques profondes sur le rapport au sexe et à la féminité, en les abordant frontalement. Ainsi, ce récit se veut assez érotique, avec scènes de masturbation et d’amour montrées de façon relativement explicite. Une très bonne chose dans le sens où c’est en phase avec le ton de l’histoire et ce qu’elle cherche à nous dire, et c’est en plus mis en scène avec énormément de talent et de goût. Enfin, la tonalité sait se faire émotionnelle sur certains points, contribuant encore à donner du corps et de la vie à cette jeune femme et à l’autre personnage qui intervient dans l’histoire. Une vraie belle réussite, qui témoigne de la capacité du manga à proposer des histoires marquantes en peu de pages. Rien que cela suffit à rendre la lecture de cette anthologie hautement recommandable pour moi.

Une autre histoire, en trois chapitres qui s’intercalent entre les autres histoires, dépeint une jeune fille étrange, amoureuse d’un collègue de travail, et dont le comportement est un peu limite. Cette histoire fait partie de celles plus résolument orientées comédie, et est surtout sympa dans la façon dont elle est publiée, de façon fragmentée, pour offrir des battements entre des histoires plus sérieuses et denses. Elle est à mes yeux un peu anecdotique, quand bien même elle reste franchement sympathique.

Nous découvrons également deux histoires qui ont des similitudes thématiques, ou deux jeunes femmes peu épanouies dans leurs relations sentimentales, feront une rencontre qui les amèneront à faire le point sur ce qu’elles sont, ce à quoi elles aspirent, pour finalement s’émanciper à leur façon. Il y a plusieurs parallèles, que ce soit narratifs ou esthétiques, à faire entre ces histoires. Je pense notamment à la façon de représenter l’éjaculation, qui renvoie d’ailleurs à la question de l’orgasme qui est traitée dans la seconde histoire, et qui tisse encore une fois un lien thématique évident entre ces histoires, via la question du rapport au sexe. Il y a une vraie délicatesse dans ces deux histoires et dans la façon dont Mayuzuki met ses personnages en scène, allant encore une fois dans le sens de ce que je disais concernant le recueil dans sa globalité, à savoir un tour de force narratif dans la façon dont la mangaka arrive à donner énormément d’épaisseur à des personnages que l’on suit seulement sur quelques dizaines de pages.

Enfin, la dernière histoire du recueil, qui est en réalité la première que la mangaka a publiée. Une histoire très légère, centrée sur une jeune fille qui a des pouvoirs de sorcière, qui s’amourache d’un camarade de classe. On sent bien que cette histoire est plus ancienne que les autres par son esthétique, beaucoup moins affirmée et moins agréable à l’œil. Et la légèreté globale de cette histoire la rend aussi moins impactante que les autres selon moi. Elle vaut surtout pour son aspect « découverte de la mangaka », car même si elle reste agréable à lire, elle est à mes yeux bien plus anecdotique au sein d’un recueil où les histoires ont toutes une grande force esthétique et une résonance thématique aussi importante.

Vous l’aurez donc compris, ce recueil d’histoires courtes, loin d’être un simple moyen de découvrir davantage une mangaka de talent (même si c’est aussi un élément à mettre au crédit de l’ouvrage) est avant tout l’occasion de lire de vraies bonnes et belles histoires, dont certaines peuvent même être qualifiées de marquantes. Avec un vrai talent narratif, Jun Mayuzuki donne énormément de chair aux femmes qu’elle dépeint, les rendant porteuses de thématiques riches et profondes. Loin d’être anecdotique dans la carrière de son autrice, ces histoires courtes sont à mes yeux un vrai gros morceau important de son œuvre, mais, et c’est le principal, c’est surtout un ouvrage autonome qui arrive à se hisser au rang de coup de cœur pour moi, par toutes les qualités que j’ai évoqué dans mon article.