Le Hobbit – du livre au film : Analyse comparée – partie 5

Dans cette partie, on termine le premier film, via son climax encore une fois particulièrement intéressant vis-à-vis des choix d’adaptation de Jackson, transformant ce qui n’est qu’une péripétie dans le roman en séquence d’affrontement plus marquante, mettant à jour les antagonismes qui seront au cœur des films suivants, et proposant surtout un gros cap dans l’évolution de son personnage principal.

L’idée est simple, en divisant l’histoire en trois films, il fallait que la fin de chacun propose quelque chose d’important pour conclure la partie qu’elle adapte. Si dans le roman, l’affrontement entre la bande de Thorin et les Wargs est liée à ce qui s’est passé chez les gobelins (en gros, les Wargs avaient rendez-vous avec les gobelins des montagnes, et la troupe se retrouve donc face à eux), le film donne une justification qui passe mieux, puisqu’on sait depuis un moment que Azog traque Thorin.

Le climax du premier film

Mais je vais un peu vite en besogne, resituons davantage la scène dans le film. Les nains et Gandalf sont sortis de la caverne des gobelins, et constatent que Bilbon n’est pas avec eux. Thorin, très sévère envers le hobbit depuis le début, dit que selon lui, ce dernier en a profité pour s’en aller, puisqu’il ne pense qu’à sa maison depuis le début du voyage. Un élément plusieurs fois mis en avant, tout comme dans le roman. Mais dans le film, cet aspect passe davantage par les rapports entre Bilbon et les nains (Thorin s’en est plaint plusieurs fois, Bofur a eu une conversation avec Bilbon à ce sujet) alors que dans le roman, c’est davantage le narrateur qui rappelle que Bilbon pense fort à son chez lui.

Or, Bilbon est bel et bien revenu aux côtés des nains, et va expliquer qu’en effet, sa maison et son confort lui manquent, mais qu’il tient à aider les nains à retrouver leur domicile, sachant à quel point il est difficile d’être déraciné. Cette scène apporte encore et toujours des nuances dans le réseau relationnel entre les personnages, chose beaucoup moins présente dans le roman. Quoi qu’il en soit, les wargs et Azog arrivent pour gâcher la fête. Petit aparté d’ailleurs, dans la première traduction du roman, ce chapitre s’intitule « De Charybde en Scylla », renvoyant à la mythologie grecque, ce qui n’a aucun sens dans un univers de fantasy où cette mythologie n’a aucune existence. Ce défaut a été corrigé par la traduction récente du roman, en remplaçant l’expression par « tomber de la poêle dans le feu ». Ce n’est qu’un détail, mais étant un élément bien connu des fans du roman, j’avais envie de le relever ici.

Revenons au film. La scène se déroule globalement comme dans le roman, avec les héros qui se réfugient dans des arbres pour échapper aux wargs, les jets de pommes de pin enflammés qui brulent la forêt, et l’arrivée des aigles pour sauver la bande. Tous ces éléments sont déjà dans le roman, permettant de respecter le déroulement de la péripétie, mais la présence d’Azog et la nécessité d’offrir un climax pour conclure le film sur un moment fort font que Jackson étoffe tout cela.

Alors que la bande est réfugiée dans un arbre à flanc de falaise, sur le point d’être déraciné, Thorin décide que ça commence à bien faire, et va se relever pour affronter Azog une nouvelle fois. Il va donc se jeter sur l’orc, qui va lui mettre une dérouillée sévère, bien aidé par son énorme warg. Il n’empêche que la scène, une fois de plus, joue dans l’iconisation à l’extrême du nain. Filmé en contre plongée, au ralenti, avec un regard déterminé dans une course enragée vers son ennemi alors que quelques plans insistent sur les regards des autres personnages (une astuce de mise en scène classique afin d’augmenter l’impact de ce qu’on est en train de regarder, le fait de renvoyer au regard des personnages qui assistent à la scène tout comme nous lui donnant plus d’importance). Le tout soutenu par une musique aux chœurs épiques (j’y reviendrai), l’effet fonctionne parfaitement, et renvoie en miroir à l’affrontement entre les deux lors de la bataille d’Azanulbizar. Sauf qu’ici, le nain est vaincu, et sera sauvé par Bilbon, élément fondamental dans le film, pourtant absent du roman.

Petit point musique. J’avais déjà abordé dans une précédente partie la réutilisation du thème The Breaking of the Fellowship qui semblait sorti un peu de nulle part lors d’un échange entre Gandalf et Galadriel, on retrouve ici une problématiques similaire, puisque Howard Shore réutilise le thème des Nazguls du Seigneur des Anneaux, ce qui n’a pas vraiment de sens au niveau narratif. Cela fonctionne très bien en terme d’ambiance, la musique étant retravaillée pour coller à la scène, et les chœurs appuient efficacement l’action, mais dès mon premier visionnage au cinéma, cela m’a fait tiquer (même si j’étais totalement investi émotionnellement). J’imagine que cette insertion au forceps est encore une fois due à des changements de dernière minute dans le tournage du film, et que la scène n’était peut-être pas prévue pour se dérouler ainsi dans le premier montage (puisque le film aurait du s’achever bien plus tard, après la scène des tonneaux). Quoi qu’il en soit, il est dommage de ne pas avoir le thème que Howard Shore a composé pour l’occasion, alors que celui-ci est présent sur la bande originale du film (vers 2 minutes ici).

Toujours est-il que la scène permet de terminer sur une défaite de Thorin, promesse d’un nouveau duel tôt ou tard avec Azog, faisant monter la sauce pour les suites. Mais surtout, comme je l’ai déjà précisé, le nain sera sauvé par Bilbon, le seul à venir s’interposer dans un premier temps, ce qui galvanisera les autres nains, défendant leur roi jusqu’à ce que les aigles arrivent enfin pour sauver tout le monde.

Une fois tirés d’affaire, Thorin se relève pour nous gratifier d’une magnifique feinte, en regardant Bilbon d’un air sévère, lui disant « Dis donc, j’avais pas dit que tu étais useless et chiant… Hé ben en fait j’ai eu tort, fais moi un câlin ! ». J’en parle avec humour, pour souligner le fait que dans la vraie vie, ce genre de scène ne se déroulerait pas ainsi, mais dans le contexte du film, je trouve que ça fonctionne admirablement, bien aidé par la musique d’Howard Shore qui accompagne nos émotions avec brio. Cela fait enfin redescendre la pression et terminer sur un climax émotionnel, lié au fait que Bilbon est enfin accepté par Thorin (et à fortiori par le reste du groupe si il y en avait qui doutaient encore de lui). Cela représente de ce fait un accomplissement majeur pour le hobbit, donnant un vrai sentiment de conclusion à ce premier film qui s’achève sur quelque chose d’important, alors que dans le livre, on est vraiment sur une péripétie parmi d’autres.

Un autre point appréciable par rapport à ceci vient du fait que Bilbon se fait accepter par lui-même, là où dans le roman, Tolkien insiste sur le fait qu’il est devenu indispensable durant des péripéties où c’est surtout l’anneau qui lui permet de s’illustrer. Ainsi, ce choix de Jackson me semble particulièrement judicieux, car il met davantage en exergue les qualités propres du hobbit. Et surtout, la relation entre Bilbon et Thorin est vraiment au coeur du récit de ce premier film, chose qui ira en s’intensifiant dans les suivants, là où le roman donne le sentiment que cet aspect est exploité beaucoup plus tardivement. Plus globalement, Thorin est d’ailleurs bien plus densément caractérisé dans les films que dans le livre, de même que Bilbon.

Enfin, le film se termine alors que le hobbit se dit que le pire est derrière eux (quel naïf !), la caméra finit par suivre une grive qui va jusqu’au flanc de la montagne solitaire, toque la roche avec un escargot alors que la caméra s’engouffre à l’intérieur des cavernes, pour conclure sur l’œil de Smaug qui s’ouvre, créant un rappel visuel de l’œil de Sauron, faisant un lien sympa avec Le Seigneur des Anneaux, et teasant surtout la grande menace et principale attraction du prochain film.

Conclusion sur le premier film

Difficile de synthétiser ces cinq premiers articles, mais il me semble que plusieurs éléments importants se dégagent concernant la distinction entre le roman du Hobbit et son adaptation par Peter Jackson. La division tardive en trois film a entrainé des problématiques de production qui se traduisent dans le film en lui-même, bien qu’on puisse facilement ne pas s’en rendre compte. Au contraire, impossible de ne pas constater en connaissant le roman d’origine que Jackson et ses co-scénaristes ont considérablement étoffé tous les aspects narratifs de l’histoire, en allant dans trois directions principales selon moi. D’une part, rendre plus copieux ce qui est bel et bien présent dans le roman, à commencer par les nains et leur relation à Bilbon. Ensuite, créer du lien avec la trilogie du Seigneur des Anneaux, ce qui passe essentiellement par l’intrigue de Gandalf. Enfin, donner un ton plus épique à l’histoire, notamment par le biais de l’antagonisme avec Azog.

Tous ces éléments font d’ailleurs partie des reproches souvent faits à la trilogie, et vont s’amplifier avec les deux films suivants, où Jackson va encore plus lâcher la bride sur tous les points. Les choix d’adaptations vont devenir encore plus marqués (et pertinents selon moi), le style du cinéaste prenant souvent le dessus sur le reste. On aura l’occasion d’y revenir dans les prochains articles, mais Un Voyage Inattendu me semble au final le film le plus proche du ton du roman d’origine, alors qu’il se permet déjà de nombreux ajouts et modifications. Des changements qui peuvent avoir de nombreuses raisons, et dont certains peuvent être critiquables, mais qui me semblent globalement obligatoires compte tenu du fait que cette trilogie arrive après celle du Seigneur des Anneaux, changeant de ce fait son statut par rapport au roman d’origine. Mais nous approfondirons tout cela quand il s’agira d’aborder La Désolation de Smaug.

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