Mon avis sur… Darwin’s Incident T.2 de Shun Umezawa

Darwin's Incident 2

Le premier tome de Darwin’s Incident m’avait énormément intrigué, en particulier du fait de thématiques complexes et dures. Mais, surtout, il y avait le potentiel à des développements passionnants autant que des risques de se casser la gueule du fait du côté « touchy » de ce qui apparait comme la thématique centrale du récit : le terrorisme. De ce fait, en voir un peu plus me semblait indispensable pour savoir davantage sur quel pied danser, et en l’occurrence, ce second tome particulièrement riche mérite qu’on s’y attarde longuement. Quoi qu’il en soit et avant d’en parler en détails (et en spoilant quelques éléments, car ce serait difficile de faire autrement), je vous encourage à donner sa chance à cette série, car elle a déjà le mérite d’être plutôt audacieuse, cherchant à aborder des sujets de fond.


Un grand merci à Kana pour l’envoi de ce volume.


Mon avis sur le tome 1


Comme je l’ai dit en introduction, ce tome explore quelques unes des pistes mises en avant dans le premier volume introductif, nous permettant de saisir un peu mieux ce qui est au cœur du récit. Si le fait d’être centré sur Charlie l' »Humanzee » laisse à penser que l’eugénisme et les liens entre animaux et humains est le cœur du récit, on verra au fil du tome que c’est en réalité un des aspects qui permettent d’amener vers une thématique plus lourde et plus centrale pour le moment, celle du terrorisme.

Avant d’aller plus loin, j’insiste à nouveau sur le fait qu’il va y avoir des spoils concernant ce second tome. Je ne peux pas faire autrement pour aborder les points qui me semblent important d’évoquer. Mais j’estime que ces révélations ne sont pas franchement gênantes. À vous de voir donc si vous souhaitez vous aventurer plus avant dans cet article.

Car ce tome, passé les réflexions sur le statut de Charlie, considéré comme un objet et non comme un être vivant d’un point de vue légal (occasionnant des réflexions et scènes un peu balourdes par ailleurs), est surtout tourné vers un personnage secondaire. On suit en effet un camarade de classe de Charlie et Lucy, jeune militant vegan moqué par ses camarades, quand ils ne l’agressent pas carrément du fait de sa façon de mettre en avant ses convictions. Ses actes sont finalement sans effet, et il passe ses soirées à discuter sur Internet avec des gens partageant ses convictions, s’épanchant sur son impuissance à faire bouger les choses.

C’est comme cela que le groupe terroriste ALA va mettre le grappin sur lui, afin de l’utiliser dès la suite du tome, où il va perpétrer un attentat terroriste au sein de son lycée. On a là, en gros, l’essentiel de ce qui se passe dans le volume, et qui part déjà dans une direction assez radicale et surtout vraiment fertile d’un point de vue discursif.

Avant d’aborder tous les points tristement réels que l’auteur référence dans le tome, parlons de l’élément qui pourrait être un écueil selon la façon dont il est traité. S’il est évident que le militantisme pour la cause animale est surtout un moyen de parler du terrorisme, le fait est que, volontairement ou non, cela crée un rapprochement entre le véganisme et le combat pour la cause animale en générale et le terrorisme. J’imagine qu’une des raisons est que cela permet de corréler cette thématique aux autres de l’histoire de façon naturelle, mais aussi que cela permet d’aborder la question du terrorisme en la déconnectant de la question religieuse (qu’on met bien plus souvent en perspective par rapport à cette question, à tort ou à raison), afin d’éviter une forme de stigmatisation. Si je pense que le but de l’auteur n’est pas de pointer du doigt les vegans ou les militants de la cause animale, et qu’il reste sur le fil sur cet aspect pour le moment, il y a malgré tout ce sentiment de rapprochement gênant qui persiste.

Cet aspect mis à part, tout le reste est particulièrement réussi, l’auteur insistant pour mettre en exergue certains mécanismes qui amènent à l’endoctrinement. Encore une fois, le sentiment d’impuissance et la solitude du lycéen l’amèneront à être ciblé par l’organisation terroriste qui va le recruter. Notons qu’il prend en ligne le pseudo « Red Pill », évoquant directement Matrix et la pilule rouge que les personnages prennent pour se libérer de la Matrice. L’utilisation de ce symbole est très intéressant puisqu’il a été récupéré dans la réalité et est finalement utilisé pour tout et son contraire, devenant un symbole pour la droite ou le complotisme notamment. Des réappropriations qui ont d’ailleurs parfois énervé Lily Wachowski, une des sœurs à l’origine de la saga, qui a invité il y a deux ans Elon Musk et Ivanka Trump à « aller se faire foutre » lorsqu’ils ont utilisé l’expression en évoquant la gestion de la pandémie.

Dans Darwin’s Incident, le fait d’appeler le jeune militant qui sombre dans le terrorisme Red Pill est plutôt bien vu, d’une part car Matrix a été assimilé en son temps à une apologie du terrorisme, mais aussi parce que la saga évoque un modèle oppressif duquel les personnages pensent s’extraire, mais dont ils restent toujours prisonniers (on l’apprend dans Matrix Reloaded), et qui remet en cause la question de la révolte et de ses modalités (notamment dans Matrix Revolutions).

Une autre évocation pop culturelle intéressante et connexe, lorsque le jeune terroriste attaque le lycée en portant un masque de Guy Fawkes, qui évoque évidemment l’événement réel, mais qui renvoie directement dans l’imaginaire collectif à V pour Vendetta, aussi bien le comics d’Alan Moore et David Lloyd que le film de James McTeigue, adaptation très intéressante, écrite par les même Wachowski à qui on doit la saga Matrix. Et V pour Vendetta par encore une fois de révolution et de terrorisme, avec un fort degré de réflexion quant aux modalités de cette révolution et sa légitimité (puisqu’elle sert aussi et surtout la vengeance d’un personnage). Et le masque de Guy Fawkes devient dans ce cadre un symbole de révolte contre le système oppressif.

Avec ces deux évocations, il est clairement mis en avant le fait que le jeune lycéen endoctriné est manipulé pour servir une idéologie. Mais surtout, en convoquant ces deux références riches de sens, le mangaka s’approprie un peu de la réflexion des œuvres convoquées pour servir son propos, et mettre en exergue la réappropriation et le dévoiement de la fiction (peut-être pour lui-même prendre ses précautions quant à la façon d’interpréter son manga ?).

Un autre élément frappant de ce tome survient dans la façon dont est traité l’acte terroriste en lui-même, évoquant des événements dramatiques réels. En effet, le jeune homme se filme et diffuse en direct son massacre, et les images retransmises évoquent de façon évidente l’attentat de Christchurch, alors que le cadre scolaire fait penser à celui de Colombine, qui est marquant notamment pour sa réappropriation par la culture populaire, avec le film Elephant de Gus Van Sant et le documentaire Bowling for Colombine de Michael Moore.

Ainsi, l’auteur tisse ici des connexions qui nourrissent son titre, bien qu’il soit pour le moment davantage dans l’exposition que dans le discours et la réflexion. Mais comme un personnage l’indique en fin de tome, le deuxième acte peut commencer, et en ayant abordé aussi frontalement son sujet, il est difficile de ne pas être extrêmement intrigué par les développements à venir. Si le risque de se louper reste, la volonté affichée ici fait vraiment plaisir à voir, et le sujet est tellement porteur qu’on aurait du mal à ne pas recommander de pousser la curiosité, car le titre a vraiment quelque chose à jouer.

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10 commentaires

  1. Je partage ton sentiment de belle réussite et décryptage des mécanismes du terrorisme dans ce tome, le tout dans un cadre américain bien maîtrisé du point de vue d’un lecteur étrangers.
    J’étais vraiment immergée dans ce désastre annoncé et j’ai trouvé que l’auteur n’en faisait pas trop non, notamment au moment de la tuerie, montrant juste ce qu’il faut. Pas de trash, pas de racolage, juste un coup de poing !
    Je trouve que l’auteur continue vraiment bien à éviter les écueils du genre. Et je croise les doigts pour que ça continue 🤞

    Aimé par 2 personnes

      • En fait c’était surtout une question de lourdeur dans l’écriture qui fait que l’échange avec le policier sonnait très faux je trouve.
        Je pense que l’objectif de l’auteur est passé avant la qualité d’écriture, dans le sens où les réflexions sur la condition des animaux, notamment aux yeux de la loi, étaient tellement appuyées que toute la scène me semblait vraiment très grossière dans son écriture.

        Après, il y a aussi la question du traitement des vegan, qui sont quand même des terroristes dans l’histoire, qui pose question. C’est un peu nuancé, mais il faudra voir par la suite ce qu’il en est.

        Aimé par 1 personne

      • Ah, je vois ce que tu veux dire, je comprends mieux. Après, je trouve que c’est un procédé narratif, certes lourd, mais qu’on retrouve très souvent dans les mangas / BD et que c’est vraiment pas facile d’y couper quand on veut faire passer plein d’info comme ici. J’ai lu tellement pire que ça ne m’a pas gênée.

        Je n’ai pas ce regard là sur les vegan dans la série. Pour moi, j’ai pris ces terroristes pour juste une frange infime et extrême d’entre eux. C’est tombé sur eux, mais j’ai l’impression qu’il aurait fait pareil sur un autre groupe. Je n’ai pas eu le sentiment qu’ils étaient particulièrement visés. Mais ça doit dépendre de nos sensibilités au mouvement (faute de terme plus approprié ><).

        Aimé par 1 personne

      • Je pense pour les vegan que c’est en effet pas un discours volontaire, mais je trouve qu’on manque de contrepoint (en gros il y a Lucy et les parents de Charlie) du coup ça donne le sentiment d’un groupe qui représente l’ensemble. Après, je pense que c’est à la fois un moyen logique de connecter les différents niveaux de récit, et un moyen de parler de terrorisme en évacuant la sempiternelle question religieuse, ce qui est pas plus mal sur ce point.

        Concernant le souci d’écriture du début du tome, on trouve en effet facilement pire comme situation faite pour donner des informations, je pense notamment à une scène dans le dernier épisode de Rings of Power qui m’a fait halluciner par sa nullité sur ce point (je ne sais pas si tu as tout vu donc j’ose pas en parler).

        Aimé par 1 personne

      • Du coup je peux le dire, je pensais à la scène entre les Nazgul et Gandalf qui m’a fair halluciner sur le côté « on fait cette scène juste pour donner des informations aux spectateurs », tant ça sonnait faux en plus d’être totalement débile, en mode les Nazguls vérifient pas qu’ils ont bien affaire à Sauron…

        Aimé par 1 personne

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