Le Hobbit – du livre au film : Analyse comparée – partie 3

Après avoir échappé à Azog, la compagnie de Thorin se retrouve à Fondcombe, chez le seigneur Elrond. Tout ceci a très certainement été planifié par le facétieux Gandalf, mais en même temps, ça tombe très bien puisqu’il fallait passer par ici le jour de Durin afin que la lune marque sur la carte l’emplacement de l’entrée secrète de la Montagne Solitaire. Tout ceci tombe particulièrement bien pour la compagnie me direz-vous, ce à quoi je répondrai que Gandalf calcule toujours les choses très bien (même si, il est vrai, ça arrange bien le scénario, comme l’ont relevé de nombreux spectateurs à l’époque). Quoi qu’il en soit, voyons en quoi la séquence à Fondcombe apporte pas mal de choses dans le film par rapport au roman.


Les Différentes parties de l’analyse :
Partie 1
Partie 2


Que se passe-t-il dans le roman ?

Tout d’abord, resituons un peu ce qui se déroule dans le roman à ce stade. C’est finalement tout simple, puisque cette petite halte est l’occasion de se reposer et surtout de marquer la carte, comme indiqué précédemment. Rien de vraiment important en dehors d’une forme de course au MacGuffin, chaque élément de récit amenant simplement vers le suivant. Ici, il n’y a aucune forme d’inimitié entre les nains et les elfes, et l’échange est donc tout à fait courtois. Il n’y a littéralement rien de spécial à signaler, si ce n’est que c’est la première fois qu’Elrond sera évoqué dans la bibliographie de Tolkien (ce qui est déjà pas mal me direz-vous).

Or, nous allons le voir, ce passage dans le film est significativement différent. D’une part dans un objectif de cohérence vis-à-vis des éléments mis en place depuis le début du film (la défiance des nains pour les elfes), du fait du goût de Peter Jackson pour la petite blague rigolote, et enfin, car le cinéaste profite de cette escale pour étoffer l’intrigue autour de Gandalf, tissant encore du lien avec la trilogie du Seigneur des Anneaux, en choisissant de mettre en scène ici le fameux Conseil Blanc.

Le Conseil Blanc, c’est quoi ?

Dans l’histoire telle que racontée par Tolkien, le Conseil Blanc est un groupe d’êtres d’une grande puissance se réunissant à trois reprises afin de discuter de la marche à suivre pour contrer le retour de Sauron, qui s’était établi à Dol Guldur. Ce conseil, monté à la demande de Galadriel et présidé par Saroumane, comptait également Gandalf, Elrond, ainsi que d’autres elfes et possiblement les autres Istari. En l’occurrence, une des réunions du Conseil Blanc a bien lieu l’année de la quête d’Erebor, en 2941 T.A., bien qu’elle n’ait pas lieu à ce moment précis.

Jackson fait le choix de l’intégrer à l’intrigue globale de son récit, et en particulier à la sous-intrigue de Gandalf, la filant jusque dans le dernier des trois films (La Bataille des Cinq Armées), où le conseil blanc ira attaquer Dol Guldur, provoquant la fuite de Sauron vers l’Est. Ainsi, si la chronologie des événements diffère, Jackson reste plutôt fidèle à l’idée même s’il concentre tout dans une même période afin de s’intégrer à son intrigue.

Encore une fois, tout ceci est absent du roman, mais permet au cinéaste de vraiment créer le lien avec la trilogie du Seigneur des Anneaux, apportant des précisions sur le retour de Sauron en Terre du Milieu, en s’appropriant des éléments bien présents dans les écrits de Tolkien. Et, surtout, Jackson a l’idée de mettre en avant le fait que les péripéties vécues jusqu’ici par la compagnie sont des signes de bouleversements en Terre du Milieu.

La version longue ajoute par ailleurs une scène de conversation qui contribue à étoffer l’intrigue de Gandalf, notamment lorsque le magicien aborde avec Elrond les anneaux des nains et le septième anneau perdu, qui sera encore abordé par la suite puisqu’il s’agit de celui de Thrain, que Gandalf retrouvera dans une scène ajoutée dans la version longue de La Désolation de Smaug. Cela permet de prendre de la hauteur et de comprendre que cette aventure ne concerne pas uniquement le trésor des nains, mais est aussi un plan de Gandalf pour renforcer ce peuple en vue de futurs conflits qu’il anticipe. Un point que j’aime tout particulièrement, car il renforme l’idée d’un grand plan du magicien, qui serait en quelque sorte le marionettiste de toute cette histoire dans la lutte contre Sauron.

Dernier point concernant le Conseil Blanc, afin d’évoquer un détail lors d’une séquence très belle entre Gandalf et Galadriel. Elle demande au magicien pourquoi il est allé chercher Bilbon, et ce dernier lui explique en gros que les petits gestes des personnes quotidiennes peuvent changer les choses selon lui, rappelant ce qui est selon moi une des thématiques fortes aussi bien des romans de Tolkien que des films de Jackson. Or, on entend en fond sonore dans cette scène le thème The Breaking of the Fellowship de La Communauté de l’Anneau, retouchée pour coller au rythme de cette scène en particulier. Je pense que si on ne connait pas très bien la trilogie du Seigneur des Anneaux, ça passe sans souci, mais me concernant, la façon d’intégrer le morceau n’est pas très heureuse. Et si j’insiste sur ce point, c’est parce qu’un autre choix musical en fin de film témoignera d’un éventuel souci de temps, lié au remontage des films. Je l’ai précisé, il a été décidé en dernière minute qu’il y aurait trois films plutôt que deux, et on sent au fil des films une certaine urgence dans la production. En témoigne deux soucis musicaux dans ce premier film, car j’imagine que Howard Shore n’a pas eu le temps de composer certains thèmes. Mais je reviendrai sur tout ceci lorsqu’on abordera la fin de ce premier film et la confrontation entre Thorin et Azog.

Une pause humoristique avec les nains

Un autre changement important déjà évoqué de ce passage vient de l’inimitié des nains pour les elfes, qui va rapidement être tempéré par le fait qu’Elrond se montre particulièrement accueillant envers la compagnie. Ils partagerons donc le couvert, l’occasion pour Peter Jackson de faire de l’humour au sujet du végétarisme et de la surcharge pondérale de Bombur. Et dans la version longue, plusieurs autres traits d’esprit s’ajoutent, de plus ou moins bon goût, avec notamment les nains se baignant à poil dans une fontaine (et se fouettant le cul avec leurs serviettes !), ou encore un petit gag où un des nains trouve une elfe tout à fait à son goût, avant qu’on lui fasse remarquer qu’il s’agit d’un mec. Une grande subtilité propre à Jackson, qui contribue en tout cas à renforcer les liens dans le groupe de nains, définitivement un aspect bien plus étoffé dans les films que dans le livre.

On ressent également le côté pièce rapportée de Bilbon, encore plus mis en avant dans la version longue où Elrond lui propose de rester à Fondcombe, constatant qu’il n’est pas vraiment à sa place dans la compagnie.

Enfin, un dernier élément qui peut sembler anecdotique mais qui est à mes yeux très important : Elrond va regarder les armes elfiques trouvées précédemment, précisant qu’il s’agit de Glamdring et Orcrist, forgées à Gondolin au premier âge. En plus de donner un peu de corps à l’univers, le fait qu’Elrond laisse le Fendoir à Gobelins à Thorin alors qu’il pourrait lui réclamer est un signe de paix pour le seigneur elfe. Mais c’est surtout un élément qui sera filé dans les films suivants et qui apportera le signe d’une possibilité de réconciliation entre elfes et nains via le passage de l’épée de main en main entre Thorin et Legolas (on reviendra dessus en temps voulu).

Retour à l’aventure

Il est finalement temps pour la compagnie de repartir, une fois les informations recueillies concernant l’emplacement de l’entrée secrète. Ils passent par les Monts Brumeux, où un combat entre géants de pierre aura lieu. Il est intéressant de s’arrêter dessus sur plusieurs points. D’une part, beaucoup de lecteurs de Tolkien voient les géants de Pierre comme quelque chose d’ambigu, notamment car ils n’apparaissent nulle part ailleurs dans l’imaginaire de l’auteur. Leur description est dans le roman tellement évasive qu’on peut même douter de leur existence, puisqu’il est souvent discuté de la possibilité qu’ils soient une représentation des orages exagérée par le point de vue de Bilbon.

Dans le film, Jackson choisit de les représenter sans la moindre ambiguïté, faisant d’eux des géants intégrés à la roche des montagnes. Leur affrontement occasionnant une scène d’action misant sur le gigantisme, ce qui fait que beaucoup y ont vu l’héritage de Del Toro (chose qui n’est pas nécessairement évidente à mes yeux, mais peut-être). La scène, en plus de l’enjeu spectaculaire évident, permet de faire encore avancer la relation entre Bilbon et les nains. En effet, il sera sauvé par Thorin alors qu’il est sur le point de tomber dans le vide, occasionnant railleries de la part du seigneur nain qui considère qu’il n’a rien à faire avec eux.

Ainsi, une fois la compagnie à l’abri, Bilbon profitera du sommeil des nains pour s’esquiver, souhaitant retourner à Fondcombe comme Elrond lui a proposé dans la version longue. Bofur le prend sur le fait, et le hobbit lui explique sa motivation pour les quitter, que le nain comprend et lui souhaite le meilleur. Sauf que tout ce petit monde se retrouve piégé par les gobelins des montagnes, avec qui ils auront fort à faire. Mais ce sera pour la partie suivante !


Pour résumer, Jackson s’est ici permit de réagencer certains éléments de la grande œuvre de Tolkien, absents du roman du Hobbit, afin de renforcer le lien avec Le Seigneur des Anneaux, continuant à faire de cette petite aventure pour l’aventure un élément important du grand conflit qui s’annonce. De même, il opère quelque modifications indispensables dans un souci de cohérence avec ses choix narratifs (l’inimitié des nains envers les elfes en particulier), tout en proposant une structure en miroir par rapport à La Communauté de l’Anneau, convoquant en prime des figures connues de la saga. Enfin, Jackson renforce encore la complexité de la relation entre Bilbon et les autres personnages, rendant le développement du hobbit plus dense selon moi.

Publicité

5 commentaires

  1. On en est encore dans les passages que j’aime bien et j’avoue que j’ai apprécié les ajouts de Jackson ici par rapport au livre. En fait j’aime le premier film, c’est surtout la suite qui me parle moins mais on en reparlera en temps voulu. Je suis contente que tu aies repris ces articles, j’ai encore appris des trucs comme cette histoire de musique ou le fait qu’il y aurait normalement du n’y avoir que deux films… Ce que j’aurais trouvé plus que suffisant mais bon bref /pan/

    Aimé par 1 personne

    • Ouais, comme je l’ai dit, étant un peu obsessionnel avec toute cette saga, ça m’a sauté aux oreilles dès ma première séance le coup de la musique, et ça m’a un peu perturbé.

      Il me semble que le fair de décider tardivement de découper en 3 films était aussi du à des retards pour la bataille finale, et du coup faire un film de plus permettait d’avoir davantage de temps pour ça. On le ressent de toute façon dans le dernier film que ça a été fait dans la précipitation tant la version ciné manque de choses. La version longue corrige la plupart des soucis.

      Enfin bref, j’essaie de ne pas trop parler mais quand on me lance sur ce sujet, cest dur de me retenir 🤣

      Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.