
À force de lire des romances, notamment en shonen, je finis par voir des codes récurrents et des écueils plus ou moins réguliers, qui peuvent passer ou non en fonction des séries. Je pense notamment à la façon d’intégrer un cast féminin autour du personnage principal pour créer plusieurs nœuds de tension amoureuse, ou encore la façon de mettre en valeur ces personnages féminins pour le lectorat masculin adolescent qui est la cible ici. Enfin, et c’est sûrement un des points qui m’intéressent le plus, le goût parfois douteux de certaines situations mises en scènes, qui peuvent même devenir le concept de la série. A Couple of Cuckoos est justement une série qui permet de réfléchir sur tous ces points, notamment parce qu’elle arrive vraiment bien pour le moment à éviter certains écueils, tout en restant une série classique du genre, dans laquelle l’efficacité prime.
Un grand merci à Pika pour l’envoi de ces volumes.
Petit rappel du concept de la série, car c’est un élément important de mon développement, d’autant plus que certains shonen de romcom aiment se baser sur un « concept fort » qui donne une identité à la série malgré une écriture très classique. Récemment, on a eu The Quintessential Quintuplets qui se basait sur une sorte de jeu d’enquête à la Columbo pour savoir laquelle des cinq sœurs le héros allait épouser par exemple. A Couple of Cuckoos, qui paraît dans le même magazine au Japon, a trouvé de son côté un concept aussi peu crédible mais aussi fort selon moi, avec son inversion de deux bébés à la naissance, un garçon et une fille, qui se retrouveront fiancés par leur parents afin que les parents puissent voir leur enfant biologique et l’enfant qu’ils ont élevé en même temps.
Des concepts pas credible pour un sou, mais qui sont riches d’un point de vue narratif et en terme de développement de personnage. Dans The Quintessential Quintuplets, c’était utilisé dans un but ludique passé le mauvais goût de la compétition entre les sœurs pour le cœur du même mec (fade). Ici, cela permet de faire une version shonen romcom de La Vie est un long fleuve tranquille, où le jeune homme desargenté va se rendre compte des privilèges de certains en vivant enfin dans un cadre favorable au travail scolaire notamment.
Et si dès le début l’idée est trop grosse pour être credible (comment peut-on encore de nos jours inverser comme ça deux bébés de sexe différent ?), plusieurs indices au fil des tomes laissent clairement à penser qu’il y a anguille sous roche, et que tout ceci pourrait avoir sens par la suite. Des petits détails distillés ci et là qui nous aiguillent vers l’idée qu’il y a quelque chose que l’on ne sait pas. C’est encore mis en avant discrètement (encore que) dans le tome 5, ce qui donne une carotte vraiment efficace en terme de lecture.
Carotte qui est accompagnée de plusieurs autres, concernant les personnages féminins. Car un autre poncif du genre est que le héros adolescent, alors qu’il n’a absolument rien de spécial, se retrouvera au centre de l’attention des différentes jeunes filles. Parce qu’il faut bien faire un peu rêver les lecteurs, en leur faisant croire que oui, eux aussi, même s’ils sont de gros nerds de base, auront un jour l’embarras du choix !
Ici, Nagi le personnage principal est amoureux de sa camarade Hiro, mais est fiancé à Erica, la jeune fille star des réseaux sociaux avec qui il a été échangé à la naissance. Et pour ajouter encore à tout cela, la petite sœur de Nagi, Sachi, ne sait plus se situer dans sa relation avec son frère qui n’est finalement pas son frère, et souhaite connaître davantage Erica, sa sœur biologique.
C’est la nature de la relation avec Sachi qui a posé question à beaucoup de lecteurs (qui ont lu la série avant sa sortie par les moyens que vous imaginez). Or à ce stade, elle me semble traitée avec une certaine intelligence, car c’est surtout les questionnements qui prédominent. Sachi ne sait plus comment se positionner par rapport à Nagi qui, de son côté, a toujours un comportement de grand frère. Mais surtout, l’évolution possible de cette relation se heurte à la question de la morale, qui me semble systématiquement centrale dans le genre de la romance, et ce quel que soit le public cible.
Pourquoi donc ? Parce que la romance est selon moi un genre qui, quel que soit le ton adopté, invite à se projeter dans les relations humaines présentées, et se questionner sur son propre rapport moral à celles-ci. On voit notamment très souvent des lectrices et lecteurs de shojos se plaindre de la normalisation de certains comportements problématiques dans les romances, comme le fait de ne pas trop faire cas du consentement ou autre.
Ici, la question que la relation Nagi/Sachi pose est : si celle qui était ta sœur n’est finalement pas ta sœur biologique, est-ce envisageable qu’il se passe quelque chose avec ? Selon moi, il n’y a pas grande chance qu’au final il y ait rapprochement entre Nagi et Sachi, mais pour une partie du lectorat, il semblerait que le simple fait que cela puisse être un ressort narratif est déjà trop. Me concernant, j’essaie surtout de voir en quoi cela peut être credible et intéressant en terme de développement de personnage, et il ne me semble pas abracadabrant d’imaginer un questionnement sur la possibilité d’une relation d’ordre amoureuse poindre dans l’esprit d’un/e adolescent/e dans ce genre de situation (même si d’un point de vue strictement personnel d’adulte, je trouverai ça un peu de mauvais goût).
On tombe ici dans la fameuse distinction compliquée entre ce qui relève du descriptif et ce qui relève du prescriptif. Cette idée ne vient pas de moi, mais du très bon ouvrage Qu’est-ce qu’un bon film ? de Laurent Jullier, qui donne de précieux outils pour penser la question du jugement de goût. Cela veut dire qu’il peut être compliqué de distinguer le fait de montrer des comportements dans une fiction, du fait de valoriser ces mêmes comportements. Pour le dire simplement ici, si Sachi finit éventuellement par tomber amoureuse de Nagi, avec qui elle a grandit (car c’est une possibilité envisagée), cela ne veut pas dire que ce sera forcément présente comme bien, voire même normal ou souhaitable. Et cette question est plus généralement très intéressante car elle est un vrai nœud de tension lorsqu’il s’agit de parler des œuvres et de ce qu’elles véhiculent (exemple tout bête : est-ce acceptable de trouver que Endeavor est le meilleur personnage de My Hero Academia car écrit avec le plus de profondeur, alors qu’il est quand même un mec hardcore qui a fait des choses inacceptables ?).
Dernier point qui concerne cette série même si pas tant que ça, la question du fanservice dans le shonen de romcom. Cela a été évoqué récemment sur Twitter, en montrant quelques images où Miki Yoshikawa mettait en avant quelques poitrines (couvertes) ou culottes, A Couple of Cuckoos répond de temps en temps à cet « impératif » du genre, qui cherche quand même à émoustiller un peu le lectorat adolescent. Pour ma part, j’estime qu’en terme de fanservice, cette série reste plutôt soft et dans la moyenne basse, mais il est vrai que, de temps en temps, la mangaka s’y astreint. Or, il y a eu récemment un petit débat qui a agité Twitter, se demandant comment se positionner en tant qu’adulte face à ce genre de chose, en citant un cas bien plus hard, Video Girl Ai de Katsura.
Me concernant, je m’étais justement posé la question quand j’ai découvert cette série l’année dernière, tant la nudité d’adolescentes est banalisée. De ce fait, l’argument qui revient pour justifier cela est que le manga se destinant à un lectorat adolescent, ça ne pose pas de souci puisque les jeunes gens qui vont le lire ont l’âge des personnages. Ce qui s’entend, mais pose quand même la question des mangakas adultes qui dessinent à longueur de journée des gamines à poil (à un moment où Kenshin a un nouvel anime, la question est d’autant plus d’actualité).
Ce qui est certain, c’est que quand on se retrouve face à un manga de cet ordre en tant qu’adulte, la lecture se teinte d’un certain malaise selon moi, car comme je l’ai dit, dans Video Girl Ai, on aura droit à de la lycéenne à poil à intervalle très régulier. Et si on peut trouver de vraies qualités dans la façon dont Katsura met en exergue le rapport adolescent à tout ça, c’est quand même très malaisant quand on le lit en tant qu’adulte.
Fort heureusement, dans le cas de A Couple of Cuckoos, on reste dans quelque chose de soft, avec comme je l’ai dit quelques rares gros plans poitrine ou culotte, dans la moyenne basse de ce qu’on trouve dans le genre. Cela mérite quand même d’être signalé, car on peut tout à fait y être allergique, mais ce n’est selon moi pas le cœur du titre et ne va pas gâcher la lecture. C’est comme souvent traité soit sur le mode comique, soit dans une perspective de travailler le point de vue masculin sur la fille qu’il aime, avec toujours un petit mélange entre coquinerie (le gros plan insistant sur la poitrine qu’il regarde) t pudibonderie (les réactions du genre « oh là là, je suis désolé d’avoir regardé ta poitrine ! »).
Ainsi, je trouve que A Couple of Cuckoos, au bout de cinq tomes, arrive à déjouer certains écueils potentiels du genre, tout en capitalisant sur des codes qui ont fait leurs preuves. C’est cette alchimie qui permet selon moi à la série d’être au-dessus de ses concurrents du genre actuellement.
Ce sont des réflexions très intéressantes que tu proposes même si je ne lis pas la série. Je dirais que ce n’est pas tellement la possibilité de quelque chose qui est un souci que son traitement. Il y a eu un gros drama twitter sur la dark romance récemment et en fait je me suis rendue compte qu’on peut très bien aborder des choses comme les abus sexuels etc mais ce qui est un vrai problème c’est de le faire en associant au mot romance comme si c’était normal. Alors que si on parlait d’un thriller psychologique bah on n’en parlerait même pas en fait, ce serait juste admis pour public averti 🤷 du coup c’est la même chose ici quand tu parles des questions que se posent la petite sœur, je pense que c’est normal d’ailleurs que ça lui passe par la tête et comme tu dis ça peut juste rester des questions, ca peut évoluer sur autre chose, tant que ce n’est pas banalisé. Je pense très sincèrement qu’il ne faut pas cacher des sujets ou en faire des tabous, il faut les traiter avec intelligence et bon sens, voilà tout. Même si ces deux mots varient drastiquement en fonction des individus… 🙄
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Je crois que la fin de ton commentaire résume bien la problématique, les notions de bon sens et de l’intelligence sont très variables (j’ai d’ailleurs remarqué que, souvent, la balance morale penche dans le sens qui nous arrange selon si on apprécie ou non le titre en question, comme par hasard).
Ici, il faudra voir au fil du récit, mais je ne pense vraiment pas qu’on ira en direction d’une romance avec la sœur. Je pense que ce sera plutôt un moyen de densifier la narration avec une sous-intrigue de plus, qui, si elle est bien traitée, pourrait être intéressante. En l’état, la mangaka fait pour le moment les choses très correctement sur ce point, mais s’il faut s’en alarmer par la suite, je saurai le signaler !
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Super article, je suis d’accord avec toi sur certains points. Malgré ce que j’ai pu dire sur la seconde partie de l’animé (qui d’ailleurs a pas mal rectifié le tir sur les derniers épisodes) la série a réussi à sortir son épingle du jeu et se différencier des autres romances classiques qui sont arriver chez nous ces dernières années (hors exception comme kaguya-sama par exemple). Tu fais la comparaison avec The Quintessential Quintuplets, et plus j’y pense, plus je trouve qu’À couple of cuckoos suis les traces de ce dernier tout en allant plus loin. Je pense par exemple aux différentes interactions avec les parents qui sont rapidement exploités et mettent en place un mystère de fond, là où on a dû attendre les derniers tomes de The Quintessential Quintuplets pour vraiment avoir une implication de ces derniers dans le récit. Je trouve aussi que le temps semble s’y passer plus vite. On n’a pas de vrai indication sur combien de temps c’est passé depuis le début de la série, mais on comprend bien avec les différents événements + examen qui s’enchaîne que le temps passe plus vite qu’on ne l’imagine (je ne serais d’ailleurs pas étonné qu’on suive les personnages durant encore plusieurs années de leurs scolarités).
Concernant Sachi, ce qui me gène c’est qu’au début elle était présenter comme une petite sœur attaché à son grand frère, et non comme amoureuse de lui comme dans certaines séries. La question de savoir si on peut vraiment considérer ça comme de l’amour entre un frère et sa soeurs et finalement aussi une question que l’on pourrais se poser. Parce qu’en vrai, bien qu’elle ne le soit pas biologiquement, et elle a été élever comme étant sa sœur durant ses 15-16 ans (je sais plus l’âge qu’elle à). La question est d’ailleurs également présente dans le récit lui-même (tome 3/4), un peu comme si l’auteur (petit filou) nous disait que même les personnages ne savent pas comment interpréter ça.
Enfin je m’égare un peu. Tout ça pour dire que je trouve un peu dommage d’avoir la sœur de Nagi comme troisième personne amoureuse du lui, et qu’elle à pour l’instant juste l’air d’être là pour suivre ses traces comme d’autre personnages de manga de romance.
Mais qui sais peut-être que la série me donnera tort, je l’espère en tout cas.
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