Hitman de Kouji Seo vient d’achever sa parution en France avec son treizième tome, l’occasion de revenir sur la série dans sa globalité, sans gros spoiler (le seul qu’il y aura se situe vers le tome 7, et n’est pas franchement une révélation compte tenu de la nature de la série). On abordera les ficelles classique de Kouji Seo, sa façon de mêler romance et monde du manga, et les qualités et limites de l’auteur.
Un grand merci à Pika pour l’envoi de ces volumes.
La « formule Seo »
Après Suzuka et ses 18 tomes, A Town Where you Live qui en faisait 27 et les 20 volumes de Fuka, Kouji Seo a bouclé sa quatrième série longue se déroulant dans le même univers avec Hitman, en 13 volumes. Si l’on excepte Half & Half et ses 2 tomes et Princess Lucia dans un autre genre, nous sommes face à la romance fleuve la plus courte de l’auteur. Après deux ans et demie de commercialisation et un succès en demi-teinte, le manga s’est conclu dans le Weekly Shonen Magazine début 2021, et Seo a très vite rebondi en lançant dans la foulée une nouvelle romcom dans le même magazine intitulée Megami no Cafe Terrace, rappelant qu’il est avant tout un auteur à formule bien rodée, parfaitement adapté au rythme industriel des magazines de prépublication, ce qui est autant un atout qu’un défaut dans son cas.
En effet, ses titres souffrent selon moi d’un aspect doublement formaté, d’une part de par les codes du shonen de romance qui sont scrupuleusement respectés dans chacun de ses titres, mais aussi de par les ficelles assez grosses qu’utilise l’auteur. Si il est normal d’avoir un style propre et marqué, le fait est que les mangas de Seo ont tendance à se suivre et se ressembler énormément. Et avec en plus les connexions établies entre les séries, on a d’autant plus le sentiment de lire toujours plus ou moins la même chose, avec surtout un cadre global qui change.
Si il y a l’avantage d’une certaine efficacité, la « formule Seo » risque malgré tout de lasser au fil des volumes, d’autant plus que ses séries sont quand même assez longues. Déjà que le shonen de romance a tendance à étirer ses intrigues lorsqu’un série fonctionne, faisant se tourner autour les différents personnages du cast jusqu’à plus soif, mais avec Seo, la répétition des structures d’une série à l’autre accentue le problème.
Ainsi, si Hitman est une série qui s’est montrée efficace de bout en bout, et qui a bénéficié en plus de l’intérêt que suscite le cadre du récit (le monde de l’édition de manga), il est clair que la longueur se fait sentir selon moi, d’autant plus qu’on y trouve un souci de manque de montée en puissance du récit. C’est vers la moitié de la série que les deux personnages principaux s’avouent enfin leurs sentiments et deviennent un couple, et s’il y a un certain nombre de nœuds de tension dramatiques (notamment le fait qu’il ne faut pas que les gens sachent qu’un éditeur et son autrice sortent ensemble), le fait d’être déjà arrivé au moment qu’on attend dans le genre fait que la seconde moitié de la série manque parfois de panache.
Le monde du manga comme cadre du récit
Seo arrive cependant à renouveler les enjeux, en proposant même régulièrement des idées très intéressantes, en particulier dans les questionnements en lien avec le monde du manga. Évidemment, la comparaison avec Bakuman est inévitable sur ce point, et le manga du duo Ohba/Obata est d’ailleurs cité explicitement dans Hitman. Et sur ce point, il est clair que Seo n’arrive pas à faire monter l’intensité dramatique aussi efficacement que ses confrères, quand bien même il va clairement marcher sur leurs plate-bande à la fin de la série.
Mais il arrive malgré tout à proposer des choses intéressantes, notamment en mettant en abyme son travail d’auteur et quelques thématiques qui semblent lui tenir à cœur, notamment le deuil, en renvoyant à une autre de ses séries. Ainsi, on trouve une sorte de « mode d’emploi » du shonen de romance à la Seo, en même temps qu’une réflexion sur les ficelles qu’il utilise et sur la façon dont il s’investit dans ses récits. Sur ce point, c’est vraiment très intéressant et il arrive finalement régulièrement à toucher juste, à la fois en terme de réflexion et d’émotion.
Il y a également un aspect plus surprenant et très bienvenu, qui lui permet de se démarquer de Bakuman, dans sa façon d’aborder le rapport du public français aux mangas. En faisant intervenir une personne importante de chez Pika, en mettant en scène une rencontre avec des autrices à la Japan Expo, Seo propose des choses qui ne peuvent qu’amuser et intéresser le lectorat français de son manga, tout en se questionnant sur les évolutions du médium et de son public au niveau mondial. Si on aurait aimé qu’il pousse un peu plus la réflexion, il a le mérite d’aborder certaines thématiques fertiles dans le domaine.
Du coup qu’en est-il de cette romance sur la durée ?
Ce que je trouve intéressant dans Hitman au final, au-delà de la romance malgré tout charmante et efficace proposée, c’est la façon dont le titre invite à la réflexion sur le genre. Si cet aspect n’est peut-être pas aussi profond sur le papier qu’il l’est dans ma tête, le fait est qu’il a suscité tout le long une mise à distance chez moi, propice à la réflexion sur la façon d’écrire de Seo, et sur certains codes du genre.
Étant plutôt friand de romances en manga, et en lisant pour les différentes cibles éditoriales, je trouve que lorsqu’elles s’adressent à un lectorat adolescent (donc en shojo ou shonen essentiellement), elles sont très souvent stéréotypées et aiment jongler avec des codes et structures récurrentes. Évidemment, certaines séries arrivent à s’en extirper, où les exploitent mieux que d’autres, mais le fait est que l’on retrouve souvent des récurrences.
Comme je l’ai dit précédemment, Seo est un exemple particulièrement éclatant sur ce point, cumulant à la fois les stéréotypes du shonen de romance, et les stéréotypes du manga à la Seo. Ce faisant, et parce que Hitman se déroule dans le milieu du manga et parle beaucoup de cela, il invite au questionnement, d’autant plus que le Weekly Shonen Magazine produit beaucoup de romances (il doit y en avoir une dizaine en cours actuellement), et que la série est publiée chez un éditeur qui a un fort passif avec la romance shonen, ayant notamment publié toutes celles de l’auteur (ce qui représente quand même plus de 70 volumes à l’heure actuelle).
Cela pose d’ailleurs implicitement la question de la place de Kouji Seo dans l’histoire de la romance shonen, puisqu’il officie dans le domaine depuis plus de 20 ans avec un certain succès, et semble ne pas chercher à renouveler sa formule. C’est à mes yeux un point intéressant dans sa façon de travailler, même si cela peut parfois lasser, surtout quand ses titres sont publiés aux côtés de séries qui arrivent mieux à jongler avec les codes et les impératifs du genre (je pense notamment à A Couple of Cuckoos, que je trouve plus frais et plus percutant actuellement, alors même que l’on reste dans des codes vus et revus).
Et du coup, la fin en elle même ?
Pour ce qui est de la fin, sans rien en dévoiler, comme je l’ai dit dans le développement de l’article, on se retrouve avec un souci de climax qui ne sent pas spécialement le climax. La relation amoureuse est établie depuis déjà pas mal de tomes et il n’y a aucun élément qui vient la remettre en question, de ce fait, Seo a la bonne idée de déporter les enjeux vers la publication de mangas spécifiquement.
Et sur ce point, en cherchant à reproduire un des climax de Bakuman, on sent quand même un manque d’intensité en comparaison du manga de Ohba/Obata. S’il y a bien une idée sympa (et légèrement over the top, mais on est habitué au fond) pour ramener les gros enjeux à quelque chose d’intime, qui vient vraiment boucler une boucle d’un point de vue narratif, ce n’est pas assez habité d’un point de vue émotionnel à mes yeux. Il n’empêche que la série se finit proprement, avec une fin ouverte mais qui conclut comme il se doit le récit. Je n’arrive d’ailleurs même pas à savoir si la fin a été précipitée (la série étant plus courte que d’habitude pour du Seo), ou si c’était voulu ainsi. Le signe d’un récit maitrisé dans sa charpente globale.
En conclusion
Ainsi, Hitman arrive malgré la frustration à proposer une romance ultra codifiée efficace et mignonne, et surtout, la série arrive grâce à son concept à poser des questions en lien avec son genre, lui conférant un surplus d’identité et d’âme, tout en restant du pur Kouji Seo. En l’état, je trouve que le meilleur titre de l’auteur reste Half & Half, car son format court permet d’éviter ce sentiment de série étirée artificiellement, et propose en plus une ambiance et des thématiques plus profondes à mes yeux.
Reste à voir ce qu’on attend du genre, et de Kouji Seo, qui fait finalement partie de ces mangakas qui n’ont aucun souci à se répéter au fil des séries, au risque de lasser. Hitman, comme tous les autres titres de Seo, propose finalement exactement ce qu’on en attend, avec les qualités et les défauts habituels de l’auteur. Et si on ne trouve pas une montée en intensité et un climax qu’on aurait aimé avoir, et que la série aurait peut-être gagnée à être soit plus tassée, soit plus riche pour justifier sa longueur, elle reste efficace et attachante, ce qui est déjà une belle qualité, car ce n’est pas toutes les romances qui arrivent à m’accrocher jusqu’à la fin.
Super article.
Ayant fini la série hier, je remarque qu’il y a plusieurs points ou on à le même ressentit. Je n’ai pas lu Bakuman, mais je n’ai pas non plus ressentit de Tension dans Hitman pour les auteurs et le travail de l’éditeur ou je me serais dit « whouaw mais qu’est ce qu’il va se passer après ça ». A la limite juste sur l’intrigue final ou je me demander qui de la nouvelle ou l’ancienne génération aller gagner.
Mais Hitman aura quand même été une bonne découverte, il permet d’en apprendre plus sur le métier d’éditeur et à même développer une partie sur les auteurs et le marché étranger (japan expo tout ça tout ça).
Je ne sais pas si le fait de faire une série courte est du à un manque de popularité ou bien s’il voulais juste terminer la série au bon moment tant qu’elle plait encore et qu’il à encore des idées (il le dit d’ailleurs dans le manga. Et on se rappelle de Fûka qui trainer en longueur sur sa fin), mais clairement ça m’aurais pas choqué de le voir continuer pendant encore 10 tomes xD.
Par contre faut qu’on en parle, je crois que Kouji SEO à un vrai problème avec les camions dans ses manga.
Maintenant j’espère qu’on aura aussi son prochain manga en France.
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Clairement, Seo a du se faire renverser un jour pour avoir une telle obsession sur les camions !
Je n’ai aucune crainte concernant son prochain titre, je suis convaincu que Pika va le sortir aussi.
Je te recommande de te pencher sur Bakuman (toute la série est sur mangas.io d’ailleurs), c’est bien plus « nekketsu » dans l’esprit, et donc la tension est bien plus maitrisée. Par contre t’as la romance la plus naze et puceau friendly de toute l’histoire de l’humanité je pense.
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Super ton analyse ! C’est un titre qui aurait pu m’intéresser pour son contexte de fond avec tout cet aspect manga et industrie du manga mais pas trop pour ses personnages ni la romance. Toutefois si j’ai l’occasion de le trouver en bibliothèque, pourquoi pas ? 🤷
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Du coup, je pense que sur ce point, il vaut mieux clairement aller vers Bakuman, qui a aussi une romance mais très en retrait (et heureusement honnêtement car elle est assez embarrassante), et qui approfondit bien plus la question de l’industrie du manga.
Sinon, il y a beaucoup de titres qui abordent cette question, Hitman propose une nouvelle vision de la chose, pas inintéressante, notamment sur la fin quand Pika prend de l’importance (ça donne vraiment quelque chose d’assez inédit pour moi), même si ça aurait mérité d’être plus travaillé justement.
Bref, sur le sujet je te conseille Bakuman, Un Zoo en Hiver (one shot en plus !) ou encore RiN (même si là, il y a un côté fantastique qui prend un peu le dessus sur le sujet du manga, mais c’est top !)
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Je prends bonne note de tes recommandations :3 merci !
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