
Pour quelqu’un qui a eu la chance de pouvoir lire toutes les séries d’Urasawa d’une traite à chaque fois, découvrir son dernier manga en direct, au rythme pas toujours régulier de sa publication chez Kana, est une expérience en soi. Car si l’étalement des sorties dans le temps est vraiment compliqué pour moi quel que soit la série, avec Urasawa, cette problématique est encore plus importante tant l’auteur aime développer des structures complexes. J’ai d’ailleurs tendance à dire qu’une série d’Urasawa doit se lire d’une traite pour être pleinement appréciée. Sauf qu’avec Asadora, je découvre donc chaque nouvelle étape du récit au fil de la publication, rongeant ensuite mon frein en attendant la prochaine sortie. Tout cela pour dire que si l’expérience de lecture reste excellente, ce sera bel et bien après une lecture intégrale d’une traite que je pourrais avoir un avis définitif sur cette série, ambitieuse et brillante. Mais que cela ne m’empêche de continuer à aborder chaque tome au fil des sorties, car après tout, on ne parle jamais assez d’Urasawa !
Ce sixième volume met un peu l’action en sourdine, après un tome où Asa était confrontée au fameux monstre. L’occasion pour chaque personnage de reprendre un peu sa vie, donnant lieu à des moments de battement bienvenus dans l’histoire. Urasawa ayant la volonté affichée de développer une fresque sur plusieurs années, cette façon de mettre l’intrigue au second plan pour étoffer le cadre du récit et les personnages secondaires fonctionne fort bien, et est clairement en phase avec la science du storytelling de l’auteur.
Ainsi, chacune des amies de Asa est développée et porteuse de ses propres objectifs à long terme, très terre à terre (faire du catch, devenir chanteuse), en opposition à la jeune héroïne dont son statut de pilote face au monstre semble être un boulet qu’elle traine au pied, en témoigne l’obligation qu’elle à de toujours écouter sa radio, afin de savoir quand elle sera appelée pour reprendre la lutte.

Mais surtout, le tome se focalise beaucoup sur Shota, son ami d’enfance, qui s’entraîne d’arrache pied pour participer aux prochains jeux olympiques. Son rêve fait que sa petite histoire s’intègre harmonieusement dans la grande, en même temps que son chemin croise de nouveau celui de Asa. Et surtout, de la même façon que les JO de 1964 qui ont cours dans ce tome rappellent la scène d’ouverture de la série, où un monstre attaque ceux de 2020, le personnage de short contribue à mettre en exergue le rapport au temps de la série, qui semble s’organiser autour des différents jeux olympiques.
Et surtout, une vraie dramaturgie s’organise autour de Shota, avec l’arrivée d’un personnage qui lui fait une proposition faustienne, ainsi que la mise en avant de sa famille, qui croit beaucoup en ses capacités et le pousse au maximum pour peut être rivaliser avec les athlètes olympiques. Tous ces éléments mis bout à bout justifient d’une part l’appellation de « feuilleton » de l’œuvre, jouant clairement sur le temps du récit et le temps de la narration pour développer son cadre et ses personnages (ce n’est pas quelque chose de neuf chez l’auteur), mais surtout, me semblent être à cœur du récit finalement.
En faisant du monstre une menace sourde qui pèse comme une épée de Damoclès, Urasawa lui confère une aura mystérieuse, mais arrive surtout à toucher du doigt quelque chose de très intéressant. Malgré cette menace réelle, chacun tient avant tout à vivre sa vie, qu’il soit un personnage conscient de ce qui se joue ou non. De là découle cette obsession des hautes instances concernant bonne tenue des JO. Sur ce point, j’ai le sentiment de voir une parabole de la situation actuelle et de la menace du dérèglement climatique, où on sait qu’il y a un vrai danger devant nous, mais où continuer à mener nos vies tranquillement reste une priorité. C’est peut être de la surinterpretation, mais le récit me semble en phase avec cette ambiance actuelle anxiogène et pesante, et trouve un fort écho dans le personnage de Asa.
Ainsi, on retrouve une fois de plus tout ce qui fait la sève des fresques à la Urasawa, rappelant 20th Century Boys et Billy Bat dans sa façon de mêler l’intime à la grande histoire, de donner de la voix à chaque personnage, sans jamais laisser totalement de côté son récit. Et, surtout, Asa reste une figure d’héroïne singulière, qui se démarque comme chaque personnage principal que créé son auteur, tout en conservant des similitudes avec d’autres. Difficile de ne pas penser notamment au rapport à l’enfance dont la plupart des personnages principaux d’Urasawa sont porteurs, avec cette jeune fille dont la vie est contrainte par l’histoire. Elle est véritablement le cœur d’un récit déjà très riche et porteur de grandes réflexions, comme l’affectionne l’auteur. Le seul inconvénient de la lecture est donc bel et bien qu’on doive attendre pour avoir la suite.
Asadora fait partie de mes récits à rythme lent de parution dont je savoure chaque tome ! La lecture par tome me bloque pas trop (après ça dépend de tout à chacun) et je trouve qu’Urasawa gère toujours aussi bien le découpage. J’ai vraiment la sensation de suivre une sorte de feuilleton en les voyant évoluer à travers le temps. Et je suis faible avec Urasawa : il pourrait laisser tomber l’intrigue principale et se focaliser sur les personnages secondaires que je me régale toujours autant. J’aime beaucoup l’évolution des amies de Asa qui poursuivent leurs propres rêves. Je ne sais pas si c’est volontaire ou non de la part de l’auteur de montrer que Asa n’est pas le seul personnage féminin qui a un but dans la vie, afin de faire écho aux fameux feuilletons Asadora japonais.
Et je te rejoins sur l’écho à l’actualité, à ce sentiment que l’humanité se raccroche au quotidien pour mieux tourner le dos aux cataclysmes. Comme des enfants fermant les yeux pour chasser le monstre du placard.
Bon après autant j’apprécie beaucoup Shota que j’ai un mal fou avec son père et ses frères. Certes ils croient en lui, en ses capacités, mais j’ai le sentiment qu’ils veulent l’utiliser pour que sa victoire rejaillisse sur sa famille. Une pression qui pourrait l’amener à craquer et céder au dopage.
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