Le tome 41 de Berserk et les adieux à Kentaro Miura

Berserk 41 collectorLa sortie du tome 41 de Berserk, dernier volume que l’on doit à Kentaro Miura, un peu plus d’un an après le décès de l’auteur, est une des sorties majeures de cette année 2022. En témoigne l’édition collector en grand format que Glénat propose pour l’occasion. Si la série a repris depuis, sous la supervision de Kouji Mori avec le Studio Gaga au dessin, Berserk de Kentaro Miura s’achève bel et bien ici, laissant place à autre chose, qui se veut dans la continuité de l’histoire cependant, l’auteur ayant souhaité que sa série lui survive. C’est donc un volume à la valeur symbolique importante que nous avons ici, qui mérite qu’on s’y attarde plus en détails.

Où en est Berserk ?

La mort brutale de Kentaro Miura le 6 mai 2021 d’une dissection aortique aigüe a suscité une vague émotion chez les lecteurs et lectrices de manga, et aussi j’imagine dans la profession. Le mangaka star était encore jeune, et son magnum opus toujours en cours. Précision importante, car lorsqu’il s’agit d’artistes, l’impact de leur décès est forcément lié à l’importance de leur œuvre pour le public, rien de plus normal. Berserk étant non seulement un manga majeur énormément apprécié, mais aussi une série toujours en cours, la crainte qu’il n’y ait jamais de fin à la série était bien présente, de la même façon que pour Hunter x Hunter de Togashi, Nana de Yazawa, ou Vagabond d’Inoue (à la différence près que Miura travaillait toujours sur sa série, contrairement aux trois autres citées, bien que Togashi ait repris le travail entre temps).

Ainsi, en plus de l’émotion liée à la mort d’un artiste très apprécié et respecté, s’ajoute celle de voir une œuvre de plus de 30 ans, extrêmement importante pour sa fanbase, fauchée alors qu’elle était en cours, posant une fois de plus la question de l’importance d’avoir ou non une histoire complète, en particulier dans un médium dont les séries s’inscrivent dans la durée, courant le risque de ne jamais se conclure.

Il semblerait que Miura avait envisagé l’éventualité qu’il meurt avant la fin de sa série, ne serait-ce pour une raison tout à fait prosaïque, qui est qu’il prenait beaucoup de temps pour peaufiner ses planches, et qu’il n’allait pas en rajeunissant. Ainsi, nous avons appris récemment que Kouji Mori, son collègue et ami mangaka (dont la relation lui a inspiré en partie celle entre Guts et Griffith), avait été informé par Miura de la conclusion qui était prévue pour Berserk, et c’est donc lui qui supervise les nouveaux chapitres du manga, dessinés par le studio Gaga. Depuis, trois nouveaux chapitres ont vu le jour, et l’accueil sur les réseaux sociaux semble être particulièrement respectueux.

Si certains trouvent le travail effectué en phase avec le style de Miura, d’autres notent des carences certaines, mais tout le monde semble s’accorder sur l’importance de saluer le travail effectué, et de faire preuve de compréhension et de bienveillance vis-à-vis d’artistes devant travailler sans le maitre d’œuvre de la série. Les planches ayant fuité de partout sur twitter, j’ai eu l’occasion de voir à peu près tout ce qui composait les chapitres déjà parus, et si certains éléments de composition et de découpages me semblent bien faibles par rapport à ce que Miura proposait, le trait global est très proche. Mais surtout, on sent dans la façon de mettre en scène ces chapitres une forme de crainte vis-à-vis de la possibilité de ne pas respecter la volonté de Miura, notamment dans le fait qu’ils soient particulièrement avares en dialogues, là où le tome 41 est au contraire très bavard.

Mori avait précisé qu’il avait bien en tête ce que Miura lui avait dit concernant la conclusion de l’histoire, mais que les éléments pour lesquels il avait un doute, ou tout simplement les points qu’ils n’avaient pas abordés, seront simplement coupés, afin de ne pas aller contre l’idée de l’auteur. J’imagine que l’économie de dialogue est liée à cela, et je pense surtout qu’au fil des chapitres à venir, on constatera surement des coupes franches et brutales dans certains éléments.

Mais je pense que l’ensemble du lectorat a conscience de la difficulté de l’entreprise, et ne s’attend pas à avoir la suite de Berserk telle que Miura l’avait pensée, mais plutôt une version condensée permettant de malgré tout connaitre le fin mot de cette histoire. C’est en cela que Berserk se conclut selon moi de façon extrêmement ouverte au tome 41, et que ce qui viendra ensuite sera une retranscription la plus respectueuse possible des idées de l’auteur, sans en être la réelle vision.

Ainsi, voyons en quoi ce 41e tome testamentaire est un jalon forcément majeur dans l’œuvre de Kentaro Miura, offrant la conclusion d’un voyage, sans pour autant donner une véritable fin à l’histoire. Mais, me concernant, j’estime que l’aventure est malgré tout suffisamment impactante et édifiante pour être vécue, quand bien même la vision de son auteur n’ira pas à son terme.

Un dernier tome qui résonne avec la mort de son auteur

Si j’ai constamment dans l’idée que la façon dont on reçoit et interprète les œuvres de fiction est liée au contexte général, il y a forcément des cas où celui-ci joue un rôle particulièrement important. Dans le cas de ce 41e tome de Berserk, l’importance cruciale du contexte tombe sous le sens. Impossible en effet de ne pas le lire à l’aune du décès prématuré de son auteur, rendant la lecture particulièrement sensible et riche en émotions, en plus de celles véhiculées par l’histoire et les personnages.

Les tomes précédents marquaient une étape majeure dans le récit, puisque le traumatisme lié à l’éclipse (qui s’est déroulée au tome 13, il y a une éternité donc) est toujours présent chez Guts et Casca. Mais cette dernière finit par enfin être guérie dans le tome 40, redevenant la Casca que l’on a connu durant l’Âge d’or. Ainsi, un des enjeux semble en partie résolu. Je dis bien « en partie », car le traumatisme reste présent chez Casca, qui n’arrive toujours pas à voir Guts. Mais on sent malgré tout dans le ton général du volume la possibilité d’un apaisement, qui se traduit dans l’ambiance globale liée aux lieux et à la magie qui y est présente.

Le récit est également étonnamment chargé d’un point de vue narratif, dispensant notamment des informations importantes concernant le mystérieux Skull Knight. Informations que l’on attendais depuis une trentaine de tomes maintenant. De même, pour certains autres personnages secondaires, Miura apporte une forme d’aboutissement à leur parcours, ou tout du moins les amène à un carrefour important. Je pense en particulier à Farnese, personnage définitivement magnifique, qui termine son évolution, embrassant définitivement la magie.

Enfin, le tome fait revenir l’enfant mystérieux auprès de Guts et Casca, créant de façon explicite une cellule familiale. Cet aspect est chargé en émotions, et accompagne la tonalité émotionnelle globale de ce volume, où Guts semble se retrouver à un carrefour émotionnel, se rendant compte que le Skull Knight a un passé similaire au sien. Ainsi, le héros se retrouve confronté à ses émotions violentes et son désir de vengeance vis-à-vis de Griffith. De façon générale, le tome est d’ailleurs étonnamment clair dans ce qu’il raconte, évitant d’être trop dans le non dit, nous permettant de saisir tout ce qui se joue ici pour les différents personnages, appréhendant plus facilement l’idée d’un apaisement possible.

Dernière planche de MiuraEn ça, si il me semble compliqué d’affirmer que Miura sentait qu’il ne pourrait pas continuer son récit (à ma connaissance, sa mort a été brutale), on peut malgré tout constater que ce volume offre un moment charnière dans le récit qui semble donner une forme de fin ouverte, jusque dans sa dernière planche, qui avait été beaucoup commentée lors de la sortie du dernier chapitre de la main de Miura (publié à titre posthume si je ne dis pas de bêtise), qui semble d’une part briser ce moment de calme dans le récit, mais, surtout, ramener le lectorat à la réalité de la mort de l’auteur, et de la fin de Berserk de Kentaro Miura. Le tout chargeant, involontairement, cette dernière planche d’une forme de poésie bouleversante.

Ainsi, Berserk de Kentaro Miura se conclut sur cette vision de Griffith, et ce que Kouji Mori et le studio Gaga nous proposent désormais est selon moi autre chose, qui se veut dans la continuité narrative, mais qui n’est plus l’œuvre que Miura développait patiemment et consciencieusement. Et ce 41e et dernier tome de la main de l’auteur épouse cette composante à mes yeux, nous ramenant à la réalité après une dernière pause chargée en émotion, ambiguë dans ce qu’elle nous dit sur l’éventuel destin de ses personnages, mais que l’on peut volontiers voir comme chargée d’espoir. Et si Guts revêt encore l’armure du Berserk dans ce tome, il ne se bat pas pour autant, et semble au contraire faire un pas vers une forme d’apaisement.

En cela, si l’histoire racontée n’a pas de conclusion, on trouve malgré tout une forme d’aboutissement à un parcours émotionnel, celui du lectorat et de Guts, personnage magnifique et définitivement marquant, quand bien même on ne pourra pas apprécier totalement la fin de son voyage. Grâce à cela, il me semble possible de faire des adieux apaisés à Berserk de Kentaro Miura, pour apprécier le travail de Mori et du studio Gaga pour ce qu’il est, en toute bienveillance.

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6 commentaires

    • Je pense qu’au vu vu contexte, c’est forcément une lecture chargée en émotions pour quelqu’un qui aime la série. Et puis Berserk est vraiment un manga centré sur la question des émotions extrêmes, ça aide aussi.

      Je suis content en tout cas si j’ai réussi à retranscrire cette émotion.

      Aimé par 2 personnes

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