Le retour de Kabi Nagata chez Pika est pour moi un des petits événements manga de 2022. En plus de son nouveau one shot dont il est question ici, l’éditeur propose de nouvelles éditions de ses deux précédents ouvrages dans la collection Graphic, de quoi, je l’espère, faire découvrir ce talent à de nouvelles personnes. Car on est face à une mangaka qui, en se prenant comme sujet de ses titres, est en train de nous proposer une œuvre globale passionnante et d’une grande cohérence, chose qui est encore plus évidente avec ce nouveau titre : Boire pour fuir ma solitude.
Un grand merci à Pika pour l’envoi de ce volume. Vous pouvez lire un court extrait sur le site de l’éditeur via CE LIEN.
Qui est Kabi Nagata ?
Avant toute chose, compte tenu de la nature autobiographique de ses mangas, il est indispensable de parler un peu de Kabi Nagata, par le prisme de ce qu’elle raconte d’elle dans ses premiers ouvrages (pour ce qui est de sa vie personnelle et son parcours, c’est très bien résumé sur le site de l’éditeur). En effet, Boire pour fuir ma solitude est le troisième volet d’une œuvre autobiographique, après Solitude d’un autre genre et Journal de ma solitude (dont j’avais dit le plus grand bien ICI) où elle abordait de front ses problèmes de dépression, sa première fois avec une prostituée, et son coming out, entre autres.
Deux titres où elle se livrait de façon honnête, sans concessions, parfois dure avec elle-même, tout en ayant, au moins en apparence, un recul salvateur, rendant la lecture systématiquement ludique. Ce qui n’empêche pas ses titres d’être parfois plombants, l’aspect amusant ne faisant finalement que donner du relief à la gravité de l’ensemble. Le tout créant, par le biais de l’autobiographie, de vrais récits édifiants, dans lesquels on ressent un vrai et profond travail de création et d’écriture. Aucune facilité dans la façon de faire de la mangaka, jusque dans un dessin, qui apparait comme basique de prime abord, mais qui est au contraire particulièrement maitrisé, intelligent, et impactant.
Le tout avec comme fil conducteur, parfois ténu, mais toujours présent, son rapport à son travail de mangaka, qui est le second liant (après elle-même) de ses récits. C’était déjà présent dans les deux premiers one shot, mais c’est encore plus probant ici, où elle structure son récit en deux temps, le premier étant centré sur son hospitalisation, et le second sur son travail de mangaka et son rapport avec la fiction et l’autobiographie. Le tout culminant dans une conclusion ouverte vers un prochain manga, toujours introspectif.
Car, il faut le préciser avant d’entrer dans le vif du sujet (je mens, on y est déjà dans le vif du sujet !), elle a depuis publié un nouveau one shot, sur son souhait de relation amoureuse, sujet qu’elle tease dans Boire pour fuir ma solitude, et elle est en train de prépublier un nouveau titre sur son rapport à la nourriture. On n’ira pas jusqu’à se satisfaire qu’elle soit pleine de névroses qui lui donnent du grain à moudre, mais le fait est que sa situation compliquée se révèle particulièrement fertile. Et si je ne suis pas dans le secret des Dieux, j’imagine que Pika doit déjà être sur le coup pour ces nouveaux titres.
Un nouveau chapitre compliqué dans la vie de la mangaka
D’emblée, un élément qui m’a frappé avec ce nouveau titre est que son sujet principal me parle moins que pour les précédents. En effet, le mal-être général, la solitude, le rapport aux autres et à soi et la pression sociale sont des sujets assez universels qui nous touchent tous et toutes d’une façon ou d’une autre, là où les problèmes d’alcools me semblent plus spécifiques de prime abord. Même si sur ce point, et c’est une des grandes qualités du titre, la mangaka arrive à nous faire comprendre que les problème d’alcool ne viennent pas de nulle part et que tout cela est lié.
Mais même avec un sujet qui me parle moins de prime abord, c’est surtout le traitement de Nagata et son ton si particulier qui m’intéressent. Et le fait est qu’elle n’a rien perdu de son talent, malgré quelques explications un peu « brutes » sur sa condition et sa maladie délivrées en début de volume. Mais rien d’insurmontable, tant elle arrive à toujours traiter avec un certain humour les choses difficiles, tout en faisant ce travail d’auto-analyse vraiment pertinent.
Je pense à un exemple tout bête, qui est lorsqu’elle prend conscience que ses excès avec l’alcool ont eu un impact dramatique sur son pancréas et son foie, l’obligeant à des privations et des traitements à vie. Ce sont des choses finalement évidentes, mais auxquelles on ne pense pas forcément, et qui lui sont revenues comme un boomerang. Et si, heureusement, la grande majorité des gens n’a pas de souci d’alcool, je me permets de penser que pour ce qui est de l’alimentation, c’est une autre paire de manches, et finalement, les problèmes sur le long terme peuvent être du même ordre.
Et tout ceci devient, au fil du récit, le support d’une évolution pour la mangaka, qui permet de créer un « parcours de personnage » comme si elle était l’héroïne d’une fiction. Évolution qui passe notamment par son rapport à son métier, et l’acceptation du fait qu’elle est plus à l’aise dans l’autobiographie que dans la fiction.
Évoluer en tant qu’artiste
Si j’insiste sur ce point, c’est parce que je pense vraiment que Kabi Nagata a réussi à créer une vraie alchimie entre son rapport à elle-même et à ses troubles et la façon de les traiter par le biais du manga. C’est un questionnement qu’on sent évoluer au cours de ce volume, qui était déjà présent dans ses deux précédents travaux (Journal de ma Solitude étant écrit en réaction du succès de Solitude d’un autre genre), et qui nous permet d’apprécier le changement de rapport sur son travail. Elle débute le tome avec la volonté de faire de la fiction et plus jamais de biographie, notamment pour ne plus blesser sa mère, et se rend doucement compte qu’elle est plus à l’aise lorsqu’elle parle d’elle (ce qui ne veut pas dire qu’elle ne fera jamais de fiction, je ne sais pas si elle garde une porte ouverte ou non).
De ce fait, la seconde partie de l’ouvrage se centre vraiment sur l’évolution du regard de la mangaka sur elle-même en tant qu’artiste, et sur ses complexes à faire de l’autobiographie plutôt que de la fiction. Et c’est cette partie qui a suscité le plus d’émotions en moi, car il finit par s’établir un rapport plus apaisé (au moins en apparence) à ce qu’elle est, par le prisme de son métier de mangaka. Et ainsi, elle propose une réflexion plutôt intéressante sur sa façon de concevoir son art, et comment l’impulsion créatrice lui vient.
Le tout avec un final ouvrant vers son prochain ouvrage, dont j’ai déjà parlé, publié en 2020 au Japon, et qu’on espère voir arriver l’année prochaine chez nous. Car ses trois titres déjà parus permettent à la fois de suivre une vraie évolution de personnage (à ceci près qu’il ne s’agit pas d’un personnage fictif, mais d’une femme bien réelle), qui en plus tisse un questionnement sur le manga et la façon de créer vraiment passionnant. En cela, je n’ai aucun doute que la prochaine pierre à cet édifice sera également très intéressant à lire.
On peut avoir des réserves sur le concept même de manga autobiographique (j’en ai pour ma part, même si j’en lis finalement régulièrement), mais il y a chez Kabi Nagata un tel geste artistique qu’on dépasse bien vite cela, pour lire un ouvrage qui suscite finalement des réflexions et des émotions proches de celles que la fiction arrive à transmettre. En ça, la mangaka a bien raison lorsqu’elle remet en question ses idées préconçues sur l’opposition Fiction/Biographie, et nous invite à faire la même remise en question, pour profiter d’une œuvre définitivement passionnante.
À chaque fois que l’un de ses titres sort je me dis que ce n’est pas pour moi.
Mais également à chaque fois que je vois les retours, je me dis que je devrais l’acheter car je suis toujours à l’écoute de récit autobiographique.
Bien qu’heureusement je n’ai pas de souci d’alcool (regarde à droite et à gauche), je trouve que c’est enrichissant d’avoir un retour d’expérience sur le vécu d’une personne ayant sur cela
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Honnêtement, je t’encourage à au moins tester le premier pour te faire une idée car je trouve qu’elle a un vrai ton et une vraie identité qui rendent ses titres excellents !
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C’est ajouté sur ma liste. Je vois qu’ils sont aussi disponible à la librairie ou j’ai l’habitude d’aller
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Gooooood !
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Je devrais les lire car la solitude ben ça me parle et les problèmes d’alimentation, ça me parle énormément.
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Je ne sais pas si c’est le genre de lecture qui aide, mais au moins ça permet de passer un bon moment.
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Perso si ça peut me permettre de passer un bon moment et de réfléchir là-dessus, ça me convient 😉
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Ça devrait le faire alors ! Tu peux au moins tenter le premier (parce que ça se suit quand même, bien que ça puisse se lire indépendamment, elle fait quelques renvois aux autres volumes).
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Ah sympa ça, c’est bon à savoir ;). Merci !
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