Frieren T.1&2 – Fantasy et mélancolie

Frieren

Frieren est d’ores et déjà une des grosses nouveautés de 2022, un titre très attendu que Ki-oon met particulièrement en avant, notamment par le biais d’une jolie édition collector pour son premier tome, et d’un somptueux kit presse relançant les débats houleux autour de la pratique. Me concernant, j’ai reçu le fameux kit de la part de l’éditeur, que je remercie, et vous propose tout naturellement de revenir sur les deux premiers tomes de cette série vendue comme « le renouveau de l’heroic fantasy », programme ambitieux s’il en est.


Resituons la série

Comme je l’ai dit, Frieren, ou Sôsô no Frieren de son nom japonais, n’est pas une série qui débarque par surprise. En cours depuis 2020 dans le Shonen Sunday de la Shogakukan, le titre de Tsukasa Abe et Kanehito Yamada s’est déjà taillé une solide réputation au Japon. D’une part du fait de son postulat relativement singulier (raconter une histoire de fantasy qui débute après la classique victoire sur le mal), mais aussi parce qu’il a obtenu deux récompenses très prestigieuses : celle du manga de l’année au Manga Taishô Awards 2021 et le prix Osamu Tezuka de la meilleure nouveauté 2021. Enfin, peut-être la raison pour laquelle on en parlait le plus avant son annonce, le succès commercial de la série n’a fait que grandir, dépassant les 5 millions de volumes écoulés pour six tomes parus au Japon.

Un titre précédé d’une solide réputation et d’un grand succès, dans un genre codifié mais avec une approche un peu différente, qui cadre d’ailleurs particulièrement bien avec le catalogue de Ki-oon (précisons que la traduction française est assurée par Géraldine Oudin), qui propose à la fois pas mal de titres de fantasy, et également beaucoup de séries reposantes et contemplatives, deux éléments que Frieren conjugue afin de se créer une identité propre.

De quoi ça parle ?

Autant reprendre directement le résumé éditeur, qui resitue bien la chose (et je vous invite aussi à lire l’extrait dispo ICI) :

Le jeune héros Himmel et ses compagnons, l’elfe Frieren, le nain Eisen et le prêtre Heiter, rentrent victorieux de leur combat contre le roi des démons. Au bout de dix années d’efforts, ils ont ramené la paix dans le royaume. Il est temps pour eux de retrouver une vie normale… Difficile à imaginer après tant d’aventures en commun !

Frieren, elle, ne semble guère touchée par la séparation. Pour la magicienne à la longévité exceptionnelle, une décennie ne pèse pas lourd. Elle reprend la route en solo et promet de retrouver ses camarades un demi-siècle plus tard. Elle tient parole… mais ces retrouvailles sont aussi les derniers instants passés avec Himmel, devenu un vieillard qui s’éteint paisiblement sous ses yeux. Frieren est sous le choc… La vie des humains est si courte ! L’elfe a beau être experte en magie, il lui reste encore un long chemin à parcourir pour comprendre la race humaine… Son nouvel objectif : s’initier aux arcanes du cœur !

Bon, la dernière partie concernant le fait de s’initier aux arcanes du cœur et du choc ressenti par Frieren exagère un tout petit peu les choses. Car cette héroïne montre assez peu d’émotions en réalité et se conforme à une vision assez froide des elfes que l’on retrouve fréquemment en fantasy. Mais l’idée est là : on commence le récit alors que le groupe de héros a vaincu le mal, et qu’ils vont chacun reprendre leur vie de leur côté. Et si le résumé insiste bien sur les dix ans écoulés qui ne pèsent pas lourd dans la vie de l’elfe, c’est parce que le rapport au temps, et surtout au temps qui passe, est fondamental dans le récit (en témoigne le fait qu’on nous rappelle toujours en début de chapitre en quelle année après la mort de Himmel nous sommes).

Frieren pleure

Ainsi, nous découvrons par l’entremise de Frieren un monde de fantasy classique, qui ne demande pas de médiation pour le lectorat tant il est ancré dans des codes bien connus (les elfes, les nains, la magie, les démons, etc…). Sur ce point, cela fonctionne de ce fait fort bien, car il serait étonnant de nous expliquer comment tout cela fonctionne alors que l’on suit un personnage arpentant ce monde depuis des centaines d’années.

L’attention accordée au temps va d’ailleurs plus loin que les simples rappels temporels, puisque les changements et évolutions de ce monde semblent au cœur du récit. Cela passe par la morts des anciens compagnons d’armes de Frieren, à l’exception du nain qui vieillit mieux que les humains, et au fait qu’elle finisse par être rejoint dans ses pérégrinations par les apprentis desdits anciens compagnons, mettant la thématique de la transmission au cœur du récit.

Récit qui par ailleurs n’est pas très étoffé sur ces deux premiers tomes, qui semblent plus raconter des petits moments de vie qu’une réelle intrigue suivie. En se glissant dans les interstices de ce qui est plutôt de l’ordre du moment de pause dans les récits classiques du genre, Frieren déploie une ambiance qui lui est propre, et qui est surtout en phase avec le discours du manga sur ces premiers volumes.

Passage du temps, évolution du monde et mélancolie

Car si le titre est encore timoré en terme de récit, qu’il manque un peu d’identité dans son univers, et que son trait est joli mais manque de singularité, c’est vraiment le travail d’écriture du personnage de Frieren et l’ambiance globale qui se dégage du récit qui permettent de vraiment entrer dedans, et confèrent au titre une identité propre.

J’ai signalé que Frieren était une personne plutôt froide, mais elle a en réalité une caractérisation assez subtile, où des petites touches d’émotion et d’évolution sont perceptibles, et sont bien perçues par ceux qui la connaissent le mieux. Mais elle est surtout un témoin privilégié de l’évolution de ce monde, ayant été actrice du changement. Un élément tout bête qui appuie la question de ces évolutions a lieu très tôt, dans un chapitre où elle retourne voir un démon que ses compagnons et elle ont scellé au cours de leur aventure, n’ayant pas la puissance nécessaire pour le vaincre.

Frieren

Ici, elle revient le voir, et le détruit avec sa nouvelle apprentie avec une facilité déconcertante, témoignant bien de l’évolution des connaissances en magie acquises par les individus au fil du temps. Ainsi, au fil des chapitres ponctués de flash back de l’aventure vécue par Frieren, on en apprend un peu plus sur cet univers, sur les petits problèmes du quotidien dans un monde en paix, et on a droit à des enjeux plus importants sur la fin du second tome (mais qui pourraient rester circonscrits à une petite intrigue autonome, ce sera à voir par la suite).

Et le décalage quasi-constant de Frieren avec tout ça contribue à cette ambiance, et au questionnement du titre par rapport à son concept. J’aime à penser que la façon de conclure une grande aventure de fiction est fondamentale, autant pour ses personnages que pour les récepteurs et réceptrices de l’histoire (nous). Si les héros ne peuvent pas reprendre leur vie comme si de rien n’était après ce qu’ils ont vécu, le lectorat a besoin également d’être accompagné dans son retour à la réalité après avoir passé du temps investi émotionnellement dans un univers. Et un auteur de fantasy l’avait par ailleurs parfaitement compris, puisque Tolkien a proposé dans son Seigneur des Anneaux une fin qui prend effectivement ce temps, et qui capture la profonde difficulté du retour à la vie normale pour ses personnages (que Peter Jackson a également admirablement adapté).

Ici, on sent une profonde mélancolie chez Frieren, et une vraie distance par rapport aux autres individus, qui ne vient pas que de sa nature d’elfe. C’est particulièrement évident via un détail pour moi, où elle regarde avec ses nouveaux compagnons une statue à l’effigie de son ancien groupe, et où un homme lui dit qu’elle ressemble à l’elfe Frieren. Comme si il n’était pas possible d’imaginer que cette figure héroïque puisse être une personne « normale » dans le monde d’après.

En conclusion

Ainsi, Frieren arrive à trouver dans ces premiers tomes un bel équilibre entre des éléments classiques de la fantasy, et une exploitation de ce cadre un peu différente, porteuse de sens et de réflexion. Ce n’est pas pour autant un carton plein d’emblée, car si les émotions sont bien présentes, j’en attends encore davantage de ce côté pour être totalement emporté.

De même, si le fait qu’il n’y ait pas de trame vraiment précise qui se dessine n’est pas un souci, j’aurais besoin par la suite que le récit trouve une façon de se renouveler et d’aller plus loin que son postulat de base. Il faudra voir comment est traité l’élément mis en avant à la fin du second tome pour peut-être avoir un début de réponse à ce sujet.

Mais en l’état, ces premiers tomes invitent à la confiance dans cette nouvelle série, qui sait déjà se rendre particulièrement charmante et intéressante en deux volumes. Le récit a un côté contemplatif qui fonctionne fort bien, invitant à nous questionner sur notre rapport au temps qui passe, et surtout sur notre rapport au monde, qui change et évolue sans nous demander notre avis. Des thématiques fortes et porteuses, si la suite de l’histoire les traite avec l’intelligence et le soin qu’elles méritent.

17 commentaires

  1. Merci pour ta chronique qui me permet de savoir dans quoi je me lance et à ne pas m’attendre à un démarrage en fanfare sur l’intrigue ! Le personnage de Frieren m’intéresse énormément ainsi que le concept que je trouve original. Il sera entre les mains demain 🤞

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    • Pour l’originalité, je trouve que ça l’est par rapport à mes connaissances, mais je ne serai pas étonné que dans la fantasy littéraire ça ait déjà été abordé.
      Et en effet, il ne faut pas s’attendre à un démarrage en fanfare. D’ailleurs je ne sais pas si c’est prévu d’avoir une intrigue plus dense ou pas. Ça peut fonctionner sans ça mais il faudra juste une assise émotionnelle plus importante dans ce cas.

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    • Merci à toi pour ton retour, j’ai été long à répondre tout simplement car il a été glissé dans les indésirables (et je ne vais pas tous les jours vérifier ce qu’il en est…).

      En effet, peut-être qu’il est prudent d’attendre de voir comment ça évolue. En l’état, j’ai trouvé ça très réussi mais j’en attend davantage par la suite compte tenu de l’aura qu’a déjà le titre.

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  2. Sympa l’article. Je t’avoue avoir été vraiment conquis par la lecture de ces 2 premiers volumes. Mais je m’y attendais totalement pour le coup. Et je crois que PiAi l’explique bien aussi dans son article d’aujourd’hui (comme toi d’ailleurs) : c’est du Mono no Aware à la sauce héroïc fantasy.

    Et quand t’aimes de base autant le Mono no Aware (Aria, Escale à Yokohama…) où les moments de contemplation/suspension sont légions, tout en étant teintés d’une profonde douceur (j’aime toujours le terme « mélancolie » que tu as également employé), tu peux difficilement être hermétique à Frieren, qui les justifient habilement qui plus est.

    Et je trouve les récits actuels tellement brutaux, frénétiques (ça ne veut pas dire que je n’aime pas l’action hein), que la simple idée de se poser, observer et ressentir est quelque chose qui m’inspire autant qu’elle m’apaise.

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    • Tu as tout à fait raison. Je pense que le but de ce genre d’histoire est de se poser et que c’est assez propice à l’introspection.

      J’aime bien l’idée que ce titre se glisse dans les interstices, qu’on fasse d’éléments secondaires dans les titres habituels du genre le cœur du récit.

      J’espère juste davantage d’émotions par la suite.

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      • Je comprends tout à fait cette dernière remarque. Et je la partage même (malgré que quelques passages m’aient déjà atteints).

        Si bon nombre de tomes il doit y avoir, on ne peut pas éternellement rester dans le même registre, sous peine de finir par lasser progressivement son auditoire (ou, au moins, on doit monter le curseur). Mais à vrai dire, cette dernière remarque ne s’applique pas qu’à ce type d’œuvres.

        C’est d’ailleurs un point où Aria a brillé à l’époque. Enfin, de mon point de vue.

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      • Je viens de me rendre compte que j’ai mis « auditoire » au lieu de « lectorat ». Ce qui ne faisait pas trop sens pour un manga 😅.

        Sinon, ouais, pour Aria, je ne sais pas si on peut parler de titre peu narratif. Mais disons pour le coup que il y a presque absence d’intrigue pendant un moment (ce qui ne rime pas forcément avec absence d’enjeux). A voir ce que développera Frieren par la suite.

        Mais t’es à mon avis loin d’être le seul (vous êtes, je pense, même, une majorité) à progressivement délaisser ce genre de titre, malgré un bon sentiment en apparence.

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  3. Coucou ^^ Cela fait un petit moment que je n’étais pas venue commenter tes articles.

    Comme d’habitude, j’ai toujours un peu de retard dans les tendances (après c’est pas dramatique et au pire osef x)) puisque je viens seulement de découvrir Frieren. J’avais entendu parler de cette petite originalité du plot et avais donc mis de côté pour plus tard la lecture de l’histoire.

    Grand bien m’en a pris puisque j’ai dévoré les 4 tomes dispos assez rapidement. Comme ici tu parles des 2 premiers tomes, je vais rester là-dessus.

    Ce qui marque vraiment c’est le rapport au temps comme tu le dis si bien. Le 1er tome se gave de grosses ellipses et au départ j’étais un poil perdue XD

    Frieren paraît détachée au premier abord, mais je l’ai tout de suite appréciée. Elle a un côté tendre qui est touchant et sa soif de connaissances me fait sourire. Elle adore apprendre des tours bizarres au premier abord – mais qui peuvent servir au moment où on s’y attend le moins.

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    • Oui, la question du rapport au temps est vraiment centrale et très bien traitée, d’autant plus dans le tome 4 selon moi. Je t’avoue que j’étais aussi un peu perdu au début avec toutes les ellipses, par exemple j’ai eu besoin d’un temps avant de comprendre que le mec qui meurt au début etzit son compagnon d’aventure qu’on avait vu jeune juste avant.
      En tout cas je suis charmé par cette série actuellement !

      Et ne t’en fais pas, il n’y a pas de date de péremption pour les découvertes je pense, donc peu importe le moment où on lit une œuvre, et où on en parle.

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      • Pareil, j’ai eu la même réaction ^^ Surtout qu’on passe d’une ellipse liée à la fin de l’aventure et après c’est lié au décès de Himmel.

        J’ai mis un petit temps à faire le rapprochement aussi mais bon, ça ne pose pas de problème après XD

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