Sans Préambule et Saturn Return T.1 de Akane Torikai

Sans préambule et Saturn Return

Le fait qu’Akata soit le seul éditeur à publier en France Akane Torikai à ce jour me semble tomber sous le sens, tant la mangaka cadre avec une certaine image que l’éditeur renvoi. Résolument porté sur les œuvres à messages, sur la mise en avant des artistes féminines et des problématiques féminines au Japon, il semblait finalement logique qu’une mangaka de sa trempe intéresse l’éditeur. Ainsi, après avoir débuté en publiant En Proie au silence, qui parle notamment de viol et de la mysoginie institutionnalisée, Akata persiste en proposant par la suite You Gotta Love Song, recueil d’histoires courtes, ainsi que Le Sièges des exilées, séries de SF en deux tomes.

Et aujourd’hui, ce sont à la fois Saturn Return et Sans Préambule qui nous arrivent, permettant de plonger davantage dans l’oeuvre de cette mangaka. Me concernant, c’est surtout ma seconde rencontre avec elle, puisque je n’ai lu jusqu’à présent que le premier tome de En Proie au silence, qui m’avait beaucoup plu. Voyons donc ce qu’il en est avec ces deux nouveaux titres.

Sans Préambule

Sans Préambule est un ouvrage particulier, de par son format dans un premier temps, plus grand que d’habitude et avec une couverture rigide, d’où le tarif de 13€50 (on va revenir sur cela). Mais c’est surtout ce qu’on trouve à l’intérieur qui se démarque. Akata a précisé qu’il ne s’agit que de nouvelles réalisées au crayon de papier, qui n’ont pas été publiées dans des magazines (à l’exception de la dernière, beaucoup plus conventionnelle), et qui sont pour la mangaka des moyens d’expérimenter et de réfléchir sur son art. Une démarche qui me parle beaucoup personnellement.

Il y a malgré tout un liant entre toutes les histoires (y compris la dernière cette fois), qui est les doutes et les tourments d’adolescentes. Il est même évoqué sur la quatrième de couverture « le spleen ». Et si le spleen est une notion que j’arrive à conceptualiser, j’ai le sentiment que dès que ceci est mis en avant comme constituant d’une oeuvre, j’en reste globalement extérieur.

Sans Préambule

Car c’est bien ce qui est arrivé avec Sans Préambule, lecture très courte (de l’ordre des 20 minutes) qui m’a laissé assez circonspect. Je n’ai tout simplement pas réussi à pleinement me projeter dans les problématiques abordées par la mangaka, et n’ai pas été touché par ce qui est raconté. Et j’en suis bien désolé tant la démarche artistique me parlait, et me parle d’autant plus que je trouve le découpage et l’esthétique globale proprement virtuoses. Il y a en effet un travail sur les doubles pages (la majorité du titre est découpé sur des pages doubles et non des pages simples), structurant ses vignettes avec une précision folle qui fait transpirer le style de la mangaka par tous les pores.

C’est bien simple, alors que je ne connais quasiment pas son travail, arrivé en fin d’ouvrage, j’avais l’impression d’avoir intuitivement saisi tous les tics de mise en scène de Torikai, tant tous ses effets sont à la fois percutants et semblent tomber sous le coup de l’évidence. Ainsi, j’ai été soufflé par l’esthétisme de l’ouvrage, tout en restant totalement extérieur à ce qu’il raconte. De ce fait, j’en ressors avec un sentiment mitigé, et une seule certitude, celle de regretter malgré tout mes 13€50, prix selon moi beaucoup trop élevé par rapport à l’expérience proposée.

Dans un médium si riche en sorties, un tel prix est un luxe que je ne peux pas me permettre tous les jours, et j’attends à ce tarif une expérience de lecture haut de gamme, ce qui n’est pas le cas. Mais, il faut aussi se dire qu’une personne fan de la mangaka y trouvera là un objet sans doute passionnant à décortiquer. Car rien qu’à imaginer un ouvrage théorique de ce type de la plume de Takehiko Inoue par exemple, je me dis que 13€50 serait un prix tout à fait correct à mes yeux. La notion de « juste prix » d’une oeuvre est très personnelle, et pour moi, Sans Préambule ne vaut pas ce qu’il m’a coûté.

Saturn Return T.1

Saturn Return est au contraire un récit conventionnel, dans un format qui l’est tout autant, prépublié dans le Big Comic Spirit de Shogakukan, en cours depuis 2019 avec déjà 6 tomes parus au Japon.

Nous y suivons la romancière Ritsuko Kaji, qui n’arrive plus à écrire après un roman qui a rencontré un beau succès, inspiré par un ami à elle qui s’est finalement donné la mort. On apprend très rapidement qu’elle écrivait dans l’espoir de l’empêcher de se suicider, ce qui n’a finalement pas suffit. Dans le même temps, étant incapable d’écrire, elle vit une vie de femme au foyer qui n’a rien d’épanouissant, cherchant à toucher du doigt le bonheur sans y arriver. C’est alors qu’un nouvel éditeur l’encourage à se confronter à ces événements, afin d’en tirer l’inspiration pour un nouvel ouvrage, l’amenant de ce fait à se demander pourquoi cet ami a décidé d’en finir.

Saturn Return

Le concept de « Retour de Saturne » qui donne son nom au manga vient d’un phénomène astrologique, qui renvoie au moment où la longitude elliptique de la planète du même nom revient à la position qu’elle avait par rapport au moment de la naissance d’un individu, correspondant à environ 29-30 ans. Cela renvoie à une certaine idée de passage à l’âge adulte, avec tout ce que cela impose de contraintes et responsabilités. Mais c’est surtout à mes yeux une belle licence poétique, renvoyant à la fois à une idée d’évolution et de recommencement.

Et dès ce premier tome, on arrive facilement à interpréter cette notion à l’aune de ce que l’on apprend sur les différents personnages, notamment le fameux ami mort avant d’avoir eu 30 ans. Mais aussi vis-à-vis du personnage principal, Ritsuko, qui semble ne pas réussir à gérer les difficultés de la vie d’adulte et avancer. Il y a ce deuil compliqué d’une part, pour lequel elle porte une forme de culpabilité, mais également d’autres choses, notamment liées à la question de la place des femmes dans la société japonaise.

On y retrouve ainsi des thématiques similaires à ce qu’il y a dans Sans Préambule, et qui semblent traverser l’oeuvre de la mangaka, et une même virtuosité esthétique, mais ici au service d’un récit qui a beaucoup plus de corps et qui prend vraiment. Un récit par ailleurs difficile, dans lequel on verra pour le moment assez peu de motifs de réjouissance, mais un récit potentiellement riche de sens, selon comment la mangaka le développera. Et un récit qui, malgré tout, sait se rendre haletant par cette quête à la réponse au pourquoi du comment du geste de l’ami de Ritsuko, jeune homme qui semblait avoir beaucoup de zones d’ombres.

Enfin, le récit questionne lui aussi l’art de la mangaka, par le biais du personnage de Ritsuko et son rapport à son travail d’écrivaine. Car il ne me semble pas concevable qu’au travers d’un personnage exerçant cette profession, il n’y ait pas une forme d’introspection à un moment ou à un autre.

Quoi qu’il en soit, si ce premier tome n’est pas suffisant pour avoir une idée claire sur la direction que prend la série et sur tout ce qu’elle va nous dire, on touche déjà quelque chose du doigt, avec des pistes fertiles qui pourraient donner lieu à une réflexion passionnante. C’est donc plutôt vers ce titre que je recommande d’aller

17 commentaires

  1. Ah bah je vais me pencher sur Saturn Return 🤔 les thématiques me paraissent intéressantes surtout pour l’aspect incapacité d’écrire suite à un évènement difficile, qui sait j’y trouverai peut être des pistes. Merci pour la découverte !

    Aimé par 1 personne

  2. En Proie au Silence est une formidable série, certes très dure vu le thème abordé, enfin les thèmes abordés mais elle vaut le détour.

    Je suis fan de akane torikai, son travail est très bien, et elle dessine bien.

    Etant fan, je compte bien me procurer ses deux dernières œuvres sorties que tu cites ici.

    Aimé par 1 personne

    • Je serais intéressé par ton retour en tant que fan sur Sans Préambule du coup, car je pense que c’est clairement un titre qui se destine surtout aux mordus de la mangaka.

      Par contre Saturn Return me semble tout à fait adapté pour un lectorat 9lus large.

      J’aime

      • Le seul reproche à faire, est qu’aucun des deux n’existe en version numérique, alors que toutes les autres séries de cette autrice ont été éditées de la sorte.
        Dommage.
        Je t’en ferais un retour dès que je les aurai lu, mais bon, j’ai d’autres lectures en cours ou à lire avant cela.

        Aimé par 1 personne

  3. Je viens de lire « Sans Préambule », certes, la lecture est assez rapide, les dessins sont superbes (je les trouve plus beau que « Saturn return » que je n’ai fait que feuilleter pour le moment).
    On retrouve beaucoup de thématiques déjà développées dans ses autres mangas, « comment trouver sa place », « la confrontation avec l’avenir », « faire des choix », « l’amour » et les autres sentiments.
    Des questions qu’on a au lycée mais pas que.
    Les histoires sont assez courtes et se pose le défi de vite être pris par le récit, certaines m’ont laissé un peu de marbre, et d’autres m’ont plu.
    Je suis mitigé donc, mais ça reste un bel ouvrage, juste dommage que le prix soit assez élevé.

    Aimé par 1 personne

    • Je suis un peu comme toi. J’ai trouvé surtout que d’un point de vue graphique, c’était vraiment admirable (le travail sur les doubles page est impressionnant), mais globalement les histoires m’ont laissé de marbre. Du coup, 14€ pour ne rien en retenir qu’une prouesse esthétique (pour ma part), c’est trop.
      On retrouve de ce travail visuel sur Saturn Returns, qui m’a bien plus parlé.

      J’aime

  4. J’ai lu hier le tome 1 de Saturn Return (d’ailleurs le T2 est sorti, et les 2 sont à présent dispo en version numérique).
    Niveau dessin, je suis déçu, je trouve l’héroïne ratée par rapport aux autres dessins vus dans « Sans Préambule » ou « en proie au silence ».
    L’histoire semble très complexe, un peu moins lisible que dans « en proie au silence », mais les persos semblent tous être très torturés, rongé par le remord d’échecs passés.

    J’aime

  5. Je viens de lire le tome 2, et je suis pleinement entré dans l’histoire, j’ai eu un peu de mal avec le T1, mais pas avec le T2.
    On découvre l’héroïne sous un nouveau jour, plus humain.

    Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.