La sortie en salle de Matrix Resurrections était un événement majeur pour moi, surement le plus important de l’année à mes yeux, et le plus important au cinéma depuis longtemps. Il faut dire que j’ai un rapport intime très fort à cette saga, qui est sans doute avec Le Seigneur des Anneaux celle qui a eu l’impact le plus fort sur moi, sur mon rapport au cinéma, et sur mon rapport au monde. Ainsi, il n’était pas possible de ne pas évoquer ce quatrième film ici, tout comme il m’est impossible de ne pas aborder des éléments importants liés à la trilogie originelle, à sa réception, et à ces années d’incompréhension, de bataille et de frustration vis-à-vis de la réception des films, et de l’œuvre des Wachowski en général.
Je précise qu’il n’y a pas une once de spoil dans cet article, à aucun moment je ne dévoile le moindre bout de récit de Matrix Resurrections. Et même les trois films de la trilogie originelle sont à peine évoqués en terme de récit. Ainsi, vous n’aurez aucune surprise de gâchée en lisant l’article, c’est surtout qu’il sera peut-être parfois compliqué de voir où je veux en venir lorsque j’évoque certaines idées.
Une anomalie dans la Matrice cinématographique
Le premier film étant sorti en 1999, il a plus de 20 ans d’exégèse et de décorticages derrière lui, et les deux suivants ont 18 ans de discussions en ligne, d’interprétation, d’analyse, d’incompréhension et de grogne. J’insiste sur ces derniers points car il me semble que c’est quelque chose de fondamental vis-à-vis de cette saga, qui a vu naitre pour elle l’expression « philosophie de comptoir », et à laquelle on a apposé également celle de « bouillie numérique » qui avait été créée au départ pour La Communauté de l’anneau (en ne se rendant pas compte que, bien souvent, la prétendue bouillie numérique était de l’ordre de l’effet pratique, mais c’est une autre histoire).
Car le premier film Matrix est une anomalie. Un film d’action à budget moyen (de l’ordre des 60 millions de dollars), qui n’était pas destiné à devenir un véritable phénomène de société, et ce qu’on appelle aujourd’hui un « game changer ». En convoquant le cinéma hong-kongais, l’animation japonaise, le jeu vidéo, le cyberpunk et tout un tas d’influences pour ou moins évidentes et plus ou moins identifiables, le premier film a proposé un film d’action aux séquences jamais vues, avec en point d’ordre le bullet time, dont la paternité a ensuite été revendiquée par d’autres (n’oublions pas Matthieu Kassovitz qui nous explique qu’il avait inventé dans sa tête le bullet time pour un film, mais que finalement il ne l’avait pas fait…).
Car c’est à Matrix que l’on doit le fait d’entrainer à l’excès les acteurs pour les films, afin de permettre des prouesses athlétiques qui n’ont rien à voir avec ce qu’il y avait dans le cinéma d’action d’avant, ainsi que le fait d’embaucher des chorégraphes hong kongais pour chorégraphier et superviser les arts martiaux des films, afin de proposer des images inédites dans le cinéma américain.
Après Matrix, le ralenti s’est imposé dans les séquences d’action du cinéma hollywoodien, les balles volant au ralenti sont devenues une norme, et les combats véritablement chorégraphiés se sont déployés. L’héritage du film se ressent ainsi absolument partout dans le cinéma d’action, au point où une saga comme John Wick n’aurait surement pas existé sans Matrix (et pas uniquement parce que la plupart des gens qui ont œuvré sur John Wick avaient travaillé avant sur Matrix).
Un succès inattendu en salle, mais qui est encore loin de donner la mesure du phénomène que fut le film, découvert et redécouvert en DVD, sur Canal + et autres avant la sortie des suites quatre ans plus tard. C’est quelque chose qu’il peut être difficile d’imaginer aujourd’hui, mais je me souviens très bien que, ado, j’entendais énormément parler de Matrix lorsque le film a enfin été diffusé sur Canal +, et la grosse question était de savoir si on avait bien compris ce qu’était la Matrice. Avec 20 ans de recul, cela peut paraitre assez simple à comprendre, mais à la fin des années 1990, le film jonglait avec des notions totalement nouvelles, en plus de proposer de l’action absolument jamais vue (car oui, les gens biberonnés au cinéma hong kongais étaient ultra minoritaires à l’époque, déjà qu’ils le sont toujours aujourd’hui).
Un phénomène d’une ampleur telle que j’ai rejeté dans un premier temps, en bon adolescent débile qui tient à se poser en rupture (j’avais fait pareil avec Harry Potter…). J’avais quand même vu en 2003 Matrix Reloaded en Divx (vestige d’une époque ancienne), peu de temps avant la sortie de Revolutions, le seul que j’ai vu au cinéma.
Mais c’est finalement cinq ans plus tard, alors que j’avais envie de regarder du gros film d’action énervé, que j’ai acheté le dvd de Matrix Reloaded à 3€ (les autres n’étaient pas dispo), fort de cinq années à entendre que c’était de la philosophie de comptoir, que les deux suites étaient inutiles et n’avaient aucun sens. Et évidemment, à l’époque, je n’avais aucun souci à me dire que c’était effectivement le cas. Sauf que le revisionnage de Reloaded, sans avoir revu le premier depuis des années, m’a mis une mandale absolue. Et encore maintenant, ce second épisode est pour moi le meilleur film de la trilogie, et un de mes films préférés. À la fois pour ses séquences d’action qui sont selon moi les meilleures de la saga, et pour sa densité narrative et certaines idées brillantes.
Précisons que cette redécouverte a eu lieu alors que j’étais étudiant en cinéma à l’époque, et ce n’est pas anodin selon moi dans l’appréciation du film. Quand on a des cours de narratologie qui t’expliquent comment fonctionne l’écriture cinématographique, avec notamment la sacro-sainte causalité, et qu’on assiste à la scène du Mérovingien, il y a forcément plein de connexions qui s’établissent dans notre esprit. Ainsi, lorsqu’aujourd’hui on tique devant l’aspect méta-discursif de Matrix Resurrections, je me dis qu’il serait bon de revoir la trilogie d’origine, qui, au milieu des dizaines de pistes évoquées, est surtout un grand récit qui détricote la façon dont les grands récits s’agencent, mettant en scène ses personnages pour ce qu’ils sont, des personnages programmés/écrits pour suivre le cours d’une intrigue.
Et je me demande d’ailleurs si le désamour envers les épisodes 2 et 3 ne viendrait pas de cette remise en question totale de cela. Je vais m’expliquer ensuite.
Pour finir sur ce rapport intime à la saga, j’ai durant mes études travaillé sur l’univers Matrix dans sa globalité (les films et tout ce qui gravite autour) pendant des mois, lisant des quantités assez indécentes d’ouvrages et d’exégèse en ligne sur la saga, accouchant au final d’un mémoire de recherche de plus de 100 pages sur la saga. Je n’aime pas le fait de s’auto-proclamer spécialiste d’un domaine, mais je pense quand même pouvoir dire que Matrix m’a énormément apporté et m’a nourri intellectuellement.
En décortiquant la saga, j’ai acquis des connaissances théoriques et culturelles extrêmement variées, et découvert des choses qui m’ont passionné par la suite. Car la saga a justement été pensée comme une « matrice culturelle », nous invitant à attraper chaque bâton tendu pour étoffer notre connaissance. C’est ainsi que j’ai découvert le cinéma d’action hong kongais que j’adore désormais, que j’ai lu de la littérature cyberpunk, mais aussi Baudrillard, Cornell West (vous le connaissez pas ? Il joue dans Matrix Reloaded et Revolutions ! Mais surtout, il est anthropologue spécialisé dans les questions raciales liées aux afro-américains, une thématique également importante dans la saga).
Ce faisant, j’ai développé un amour immodéré pour Matrix, que je préfère totalement assumer quand j’en viens à évoquer cette saga. Car je sais, après tant d’années à avoir tenté d’expliquer en quoi elle était si importante, et en quoi Matrix Reloaded et Revolutions sont absolument fondamentaux dans la compréhension de la démarche des cinéastes, que c’est peine perdue, et que certaines choses sont trop profondément ancrées pour que le rapport à cette saga puisse évoluer. Je pense vraiment qu’il s’agit de questions liées à une vision profonde du cinéma et du monde, qui font que chercher à convaincre de la force de cette œuvre revient à se battre contre des moulins à vent.
En résulte un fait simple, qui est que je ne peux pas évoquer Matrix sans être totalement passionné, mais également très en colère. Car tout ce discours critique autour de la saga est symptomatique d’une certaine évolution du cinéma qui me déplait fortement, et même d’un rapport global au monde qui ne me convient pas. Encore une fois, tout cela est lié à l’idée de valoriser l’intelligence du public, qui rejette cette invitation à prendre de la hauteur sur ce qu’il croit.
Mais, comme je l’ai dit, je pense que ça ne sert vraiment à rien d’essayer de convaincre les gens qui rejettent cela, et je pense même qu’il faut envisager la possibilité que je me plante (la saga nous rappelle quand même que quel que soit notre mode de pensée, on est toujours prisonnier de nos croyances, et j’aurais donc tort de penser que j’ai la vista).
Un désamour qui dure depuis 18 ans
On en a peut-être moins conscience aujourd’hui, encore que la haine et les clichés autour des épisodes Reloaded et Revolutions perdurent, mais Matrix Reloaded suscitait une attente démesurée, et a fait un carton d’ampleur, rapportant 740 millions dollars (contre 460 pour le premier), ce qui fut pendant des années le record pour un film Rated R aux Etats-Unis (interdit en salle aux mineurs non-accompagnés, un classement que les majors cherchent toujours à éviter). Un succès énorme à une époque où le milliard de dollars de recettes était un chiffre extrêmement rare.
Mais ce carton s’est accompagné d’un rejet massif de l’œuvre et de ce qu’elle racontait, au point où Matrix Revolutions a fait le score le plus faible de la trilogie, rapportant « seulement » 430 millions de dollars dans le monde. Un cas d’école en terme de perte de public (environ 40% des gens qui sont allés voir Reloaded en salle n’ont pas eu envie de voir le dernier épisode de la saga), le seul cas similaire qui me vienne en tête étant la dernière trilogie Star Wars, perdant un tiers de ses spectateurs entre le premier et le second épisode, et en perdant encore pour le dernier, vu par moitié moins de gens que le premier.
Sauf qu’entre ces deux trilogies, la raison du rejet me semble opposée. Je pense être dans le vrai en disant que Star Wars a payé son absence de proposition, alors que Matrix Reloaded a fait une proposition trop radicale et s’est aliéné une partie de son public à cause de cela. Car ce qui caractérise la saga Matrix et le travail des Wachowski en général est le fait de faire confiance en son public, et de constamment le valoriser. C’est une démarche que les sœurs ont toujours eu et n’ont jamais abandonné, en dépit du fait que cela n’ait absolument jamais été payant à l’exception du premier film Matrix.
Car après cette trilogie, Speed Racer a fait un bide, Cloud Atlas a fait un bide, Jupiter Ascending a été saboté par Warner, et a fait un bide, Sense 8 a été annulé par Netflix qui a consenti à un dernier épisode totalement abject… Et Matrix Resurrections est d’ores et déjà un bide avec une première semaine à moins de 100 millions de dollars rapportés dans le monde (là où Spider-Man No Way Home a dépassé le milliard en une dizaine de jours). Alors que les Wachowski auraient sans souci pu s’engouffrer dans la vague super-héroïque, elles qui ont contribué à créer ses canons esthétiques, elles n’ont jamais voulu dévier de leur vision d’un cinéma extrêmement valorisant pour son public, dense, riche, premier degré, et édifiant.
Une vision du cinéma et surtout du blockbuster qui tranche beaucoup avec la tendance actuelle, où les cinéastes perdent de plus en plus de leur pouvoir, au point où le réalisateur le plus rentable de l’histoire, et considéré assez unanimement comme un des plus grands génies du médium (Steven Spielberg, si jamais ce n’est pas évident) a toutes les peines du monde pour monter des projets d’ampleur (et, je vous le donne en mille, son dernier film West Side Story s’est planté aussi).
Tout ça pour dire que les Wachowski ont cette malédiction d’avoir créé une œuvre absolument fondamentale dans le cinéma hollywoodien, qui porte totalement leur ADN, mais qui semble avoir été tellement incomprise par son public que jamais plus elles n’auront réussi à retrouver les faveurs de ce même public. Et dans le même temps, le cinéma à grand spectacle hollywoodien a subi des mutations majeures, entrant dans une ère de franchise où les créatifs sont étouffés, au profit de formules et de projets montés uniquement via des études de marché. L’avantage étant que les projets sont validés par des gens qui s’en foutent totalement du cinéma, qui n’y comprennent rien, ce qui fait que parfois, par hasard, ils prennent des décisions qui ne vont pas du tout dans leur sens, comme, par exemple, relancer la saga Matrix.
Un bide programmé
En effet, comme j’ai coutume de dire « s’ils me l’avaient demandé, je leur aurais dit ! », et en l’occurrence, si Warner m’avait demandé si relancer Matrix allait leur rapporter la masse de blé (seul chose qui les intéresse), je leur aurait dit que, évidemment que non. Je subodore quand même qu’ils avaient un peu conscience du désamour concernant Reloaded et Revolutions, car j’ai appris qu’ils avaient formellement interdit les projection marathon de la saga entière, et seules des projections du premier et de Ressurections à la suite étaient autorisées. Comme s’ils tenaient à éviter de convoquer le souvenir des deux films qui ont créé une cission avec le public.
Mais dans ce cas-là, est-ce pertinent de faire revenir la saga si son financeur semble ne pas en assumer les deux tiers ? Quoi qu’il en soit, Lana Wachowski, de son côté, assume tout, et convoque l’héritage des trois films (et également celui de Sense 8, dont une partie du cast revient ici), et c’est tant mieux. Mais chez Warner, il semblerait qu’on soit en roues libres depuis très longtemps (mais c’est une autre question, encore que c’est tout à fait lié au film selon moi).
Pourquoi parler de tout cela ? Car tous ces éléments me semblent contenus dans ce Matrix Resurrections, film à la fois plein de vie et assez mortifère, car semblant un testament du cinéma des Wachowski à l’écran. Déjà lors de la sortie sabotée de Jupiter Ascending, les Wachowski avaient expliqué être déjà étonnées d’avoir pu faire autant de films, conscientes de ne pas du tout cadrer avec les canons hollywoodiens, et ont décidé d’en profiter tant qu’on leur en donne la possibilité, et ne pas se poser la question de la suite.
Et je pense qu’on retrouve clairement cet aspect dans Resurrections, conçu comme un one shot qui n’engage à rien, un pur bonus, dans lequel Lana peut se faire plaisir sans jamais se soucier de ce qu’on peut attendre d’elle ou du projet. Il y a déjà des années, Warner avait voulu relancer Matrix, il avait été question d’un reboot avec Michael B Jordan qui n’a finalement pas vu le jour (ouf !). Et je pense que Lana a du se dire que, puisqu’un nouveau film allait forcément voir le jour, autant qu’elle le fasse elle-même. Lily, de son côté, n’a pas voulu revenir à cette saga.
Est-ce cette absence d’une moitié du binôme qui explique le résultat fini ? Ou une façon d’appréhender son travail différente de la part de la Lana d’aujourd’hui ? Je pense qu’il y a un peu des deux, ainsi que les collaborateurs de l’époque qui ne sont plus là (John Gaeta, Bill Pope, Yuen Woo Ping), élément fondamental pour les cinéastes qui croient énormément au travail collectif, en témoignent tous leurs projets.
Toujours est-il que ce quatrième film s’inscrit à la fois en continuité et en rupture du reste de la saga, et c’est ce qui en fait l’originalité, la radicalité, le côté résolument inattendu (et ça fait du bien !), et également la qualité, la force émotionnelle… et le côté résolument frustrant.
Une Matrice réagencée
Car il est temps d’évoquer un peu le film, sans pour autant parler de ce qu’il raconte en terme d’intrigue. Je considère que même en pitchant simplement le film, on fait des révélations trop importantes. Car une des grosses qualités du film est qu’il est VRAIMENT ORIGINAL et qu’on ne sait pas ce qu’on va voir en entrant dans la salle.
Même en ayant décortiqué pendant des mois les films comme je l’ai fait, en connaissant par cœur la trilogie, en ayant bouffé des tonnes de texte sur la saga (que ce soit en ligne ou des bouquins), le choix opéré par Lana Wachowski est inattendu.
Il semblerait que la cinéaste a expliqué que le film était pour elle une façon de faire son deuil de ses parents, récemment décédés, et si on regarde le film par ce prisme, il est particulièrement fertile, mais aussi très fort émotionnellement. Mais, comme pour la trilogie originelle, le film est riche de pistes interprétatives à même de nourrir notre intellect pendant longtemps. Si la surface et le plus évident est le discours méta-discursif (qui est dans l’ADN de la saga depuis le début, je tiens à insister sur ce point), il n’est qu’un premier niveau.
Il y a d’ailleurs un côté très balourd et bourrin dans cet aspect, qui me semble être l’arbre qui cache la forêt d’un discours bien plus complexe et dense, visant à déconstruire notre rapport à la saga, à ce qu’elle est devenue, et semble finalement dire « à quoi bon ? ». Ce à quoi bon qu’on retrouve finalement intégré à l’intrigue du film (dont je ne dirai rien).
Mais on a surtout un souffle de vie dingue, que je n’avais pas vu dans un blockbuster depuis Logan je pense (de toute façon, je ne suis pas sur qu’il y ait eu un seul bon blockbuster américian depuis Logan). Comme Logan, j’ai l’impression que ce souffle de vie vient de la rage du désespoir, où, comme dans le film de James Mangold qui apporte une vraie finalité définitive au personnage en faisant voler en éclat le cadre contrit de Marvel. Ici, Lana Wachowski semble consciente que cette Resurrection de Matrix est surtout son champ du cygne, et souhaite clôturer sa saga en un appel à la vie très fort, rappelant la scène de rave party et de sexe en montage parallèle de Reloaded, qui était déjà une note d’intention évidente, d’une charge érotique dingue malgré son côté totalement soft.
En résulte un film extrêmement intimiste et bavard, écrit à l’excès, absolument réjouissant dans tout ce qu’il raconte, d’une richesse et d’une profondeur rare, et d’une sincérité qu’on ne retrouve quasiment plus. Un film anti-spectaculaire au possible. Cela a déjà été dit, les scènes d’action sont ultra décevantes, cadrées et montées avec les pieds, frustrantes à souhait car on n’y voit pas grand chose, et les rares fois où on capte ce qui se passe à l’écran, on se dit que c’est pas franchement ouf. Mais heureusement, le cœur n’est pas là. Je pense même que l’action est un passage obligé traité comme tel par Lana, qui n’est pas forcément intéressé par cet aspect.
Cela engendre une frustration certaine, car les Matrix sont aussi (et avant tout) de très grands films d’action. Et cet aspect est surement une des raisons pour lesquels le film, toute grande œuvre qu’elle soit (car c’est le cas à mes yeux), est sans conteste le moins réussi de la saga, car le seul à ne pas articuler tous ses éléments avec ce souci constant de perfection.
Il semblerait que Lana Wachowski a changé sa façon de travailler, et n’est plus dans une quête névrotique de perfection, mais plutôt dans une quête de bien être pour tous les gens qui travaillent sur le projet. Une très belle ambition, que l’on ressent dans le film, extrêmement solaire, qui semble traiter de dépression de façon intime, tout en proposant un parcours pour en sortir. Et si je ne peux qu’adhérer à une telle vision du cinéma (si tant est que ce soit bel et bien comme ça que Lana Wachowski appréhende la réalisation), cela se paye en terme de mise en scène.
Le film ne manque pas de belles, voire de très belles choses, mais ce n’est jamais dans le cadre de l’action, et à aucun moment la mise en scène ne m’a retourné, ne m’a semblé proposé de choses vraiment intéressantes. Encore une fois, je pense que c’est un film très écrit, et surtout très bien écrit, quand bien même ce ne sera pas l’avis dominant. D’où le fait que l’action soit très frustrante, mais heureusement, elle n’est là que comme alibi pour un film intime, qui s’attache à une forme de fragilité, et à la thématique centrale de toute la saga, et qui prête le flan à la moquerie : l’amour.
C’est un film sur l’amour du cinéma, l’amour de son public, l’amour des autres, de nos parents, de la personne qui partage notre vie, de nos enfants, et qui dans un geste final déjà beaucoup moqué, nous renvoie cet amour. Et toute la frustration du monde (car le film est extraordinairement frustrant, à la mesure des attentes démesurées que j’avais) ne changera rien au fait qu’il y a assez d’amour dans ce film pour bouleverser durablement, et assez de profondeur intellectuelle pour donner envie de voir et revoir ce film trop long et trop court à la fois, enthousiasmant et frustrant, terriblement brinquebalant, mais extraordinairement vivant.
Je vais peut être raconter n’importe quoi mais je préfère quand même me lancer. Au delà du désamour avoué d’une grande partie du public pour le travail des Wachowski, le mal concernant le cyber film ou les œuvres cyber(punk) n’est il pas bien plus profond que cela depuis désormais pas mal d’années?
Ce genre, dont l’effervescence notable a eu lieu à la fin du siècle dernier, accouchant de quantités d’œuvres, dont certaines cultes au possible comptent parmi celles qui m’ont le plus bouleversé (notamment Gunnm mais aussi Ghost in the Shell qui a notamment inspiré les deux sœurs) , semble à mesure du temps de plus en plus peiner à retrouver sa gloire d’antan. Je me replonge actuellement dans l’œuvre GITS justement et bien que constatant l’héritage important laissée par la saga, je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’aurait qu’un impact bien réduit aujourd’hui.
Alors que personnellement, je ne peux m’empêcher de penser que son propos surpasse un prétendu cadre générationnel et vient plus à les transcender, il semble cependant avant tout être le fruit d’une époque, dans laquelle après une période de forte croissance sociale, économique mais surtout technologique, vint une crainte grandissante de cet essor autour des IA. Ramenant avec elle toute sorte de débat politico éthique mais aussi les éternelles questions essentialistes, existentialistes et déterministes au cœur des réflexions philosophiques ET artistiques. Naturellement, la culture s’en empara et de grands monuments naquirent.
Sauf que voilà, depuis quelques temps, bien que certaines franchises SF donnent le sentiment de tenir bon, j’ai surtout l’impression qu’il s’agissent d’arbre qui cachent le désert. Un désert en terme de genre cyber mais aussi plus généralement de créativité artistique (Marvel en est le plus bel exemple avec ces films qui se ressemblent quasiment tous…). Et si certaines saga, comme Star Wars (dont le statut dans le temps est quand même bien différent de Matrix) que tu as cité ou Dune qu’on essaie de lancer font des chiffres, leur appartenance à la sous catégorie Space Opéra gêne à mon avis bien moins. Tandis qu’un Ready Player One de Steven Spielberg, autrement plus consensuel, peut attirer bien plus de monde. Les adaptations de GITS ou même Alita Battle Angel de mon côté ont été des ÉCHECS commerciaux. Malgré le nom de Cameron pour le deuxième…. et des propositions assez différentes des blockbuster actuels (même si j’ai été déçu par le film).
Mais rien à y faire. J’ai le sentiment que ça ne parle plus, ou disons plutôt que ça ne parvient plus à toucher le plus grand nombre, ce que je regrette amèrement.
Un grand nombre de personnes qui ne désirent même plus tant une proposition artistique qu’une gigantesque pub les remplissant de promesses pour le film prochain…
Je pense donc sincèrement, comme toi, que ce 4ème film, que je dois encore voir, est une anomalie. Il ne devrait pas exister tant en terme d’époque que de rentabilité économique (les 2 étant associés). Et je suis d’emblée satisfait de cet erreur matricielle pour le coup, et de la non trahison de Lana Wachowski à ses principes, elle, la jusqu’au boutiste. Mais pour ce qui est du succès commercial, j’ai abandonné.
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On est plutôt en phase. Pour le genre cyberpunk, j’ai aussi le sentiment que ce sous genre littéraire a eu un essor qu’il n’aurait pass du avoir avec quelques grosses œuvres, dont Ghost in the Shell, Gunnm et Matrix qui ont nourri un fort imaginaire, mais que l’essai n’a pas été transformé car le genre a dans son ADN quelque chose de profondément dérangeant.
Ces quelques titres ont réussi à me rendre plus séduisant et acceptable, bien que gardant ce fort côté dérangeant et presque mortifère. Meme Alita, auquel on a reproche de trop edulcorer le manga contient cet aspect profondément dérangeant qui je pense, lui a coûté son potentiel commercial (ses 400 millions de recettes me semblaient inespérées).
Pour ce qui est du commentaire concernant Marvel, je suis totalement d’accord, et je trouve miraculeux que les Wachowski aient résisté à cette tentation, de même pour Del Toro.
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Je suis malheureusement d’accord sur le constat que tu attribues au genre.
J’ai reproché personnellement en tant qu’énorme fan de l’œuvre de Kishiro à Cameron et Rodriguez de s’être trop écarté de l’ambiance d’origine, faisant perdre une vraie saveur et identité au titre. Mais quel aurait été le prix à payer si ils l’avaient respecté? A mon avis, ça aurait été encore bien pire. Une véritable catastrophe. Ils se sont retrouvés à mon avis le cul entre deux chaises, à vouloir tenter de conserver le maximum de l’essence de Gunnm tout en le rendant accessible au plus grand nombre. Le problème, c’est que même comme ça, ce grand nombre ne fut pas des plus conquis (malgré de sacrés prouesses visuelles pourtant). Et les fans de Gunnm majoritairement déçus. Le résultat est là : il n’y aura très certainement jamais de suite. Alors que ça devait servir de base probablement à une trilogie.
Ce diktat du box office transforme toute volonté un tant soit peu différente de sortir du cadre. Et quand on prévoit un budget conséquent, ce qui est nécessaire quand on désire adapter ou proposer des projets de cet ampleur, on peut difficilement s’émanciper de ce cadre. C’est génial que certains arrivent encore à le faire. Mais je ne peux même pas le reprocher aux autres.
Mon dépit est plus orienté sur le grand public. Perso, je comprends tout à fait que les purs films de divertissement, amusants et exaltants fassent de très bons scores. Mais n’y a t-il qu’un seul type d’expérience répété que les gens veulent voir? En boucle? Celle qui consiste à respecter, chaque fois encore, un cahier des charges pré établi? Le phénomène est global et ne touche pas que le cinéma. Mais bon sang que je le déplore. Cette sensation unique de rentrer dans une salle sans savoir à quoi t’attendre, que tu décris ici encore, devrait être la base d’une expérience cinématographique de spectateur. Mais on est en train d’en décider autrement….
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Je pense exactement la même chose, même si à mon avis ce n’est pas vraiment de la faute des spectateurs. Je pense que le marketing est devenu agressif à un point où le fait qu’il dicte aussi comment se font les films à un impact social. Le nouveau Spider-Man est symptomatique de ça. A aucun moment je n’ai vu des gens dans l’attente du film pour la perspective d’une histoire de qualité ou d’un beau spectacle, il n’était vraiment question que d’être là pour voir la réunion des 3 Spider-Man, quand bien même un des 3 était globalement détesté.
C’est vraiment réussir à ancrer l’idée que c’est ce qu’on veut avoir alors que tout le monde devrait s’en foutre.
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Mdr. Quitte à devoir choisir entre un projet confié à quelqu’un sachant quoi en faire (Merci Kevin Feige.) et un projet laissé à quelqu’un n’ayant pas véritablement envie de s’y jeter au départ (Coucou Lana Wachowski.) je préfère largement un projet confié à quelqu’un sachant quoi en faire.
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Pilule bleue !
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Ce genre de comparaison ne signifie rien pour moi.
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bonjour, comment vas tu? j’ai plus qu’adoré la première trilogie, même si je ne pense pas être au niveau de ton analyse. je suis relativement frustrée de ne plus pouvoir aller au ciné et de manquer celui ci sur grand écran. d’autant plus que ton article éveille ma curiosité. je vais prendre mon mal en patience et attendre qu’il soit dispo sur une plateforme prochainement. le temps passe vite, surtout en ce moment… passe un bon mercredi et à bientôt!
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Si ça peut te rassurer, c’est plus dans l’écriture et l’émotion que ce film se développe, la mise en scène et l’action sont clairement au second plan, donc même sur une télé, tu devrais pouvoir apprécier si la proposition de Lana Wachowski te touche (car c’est un film très particulier et très déstabilisant, y compris par rapport à la trilogie).
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mes gouts ont beaucoup changé ces deux dernières années (même si je reste fidèle aux genres que j’aime, au ciné comme en lecture) je pense donc que ça fera l’affaire. quoiqu’il en soit, je suis curieuse, et c’est cela le plus important. passe un bon jeudi et à bientôt!
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Ca me donne envie de revoir les anciens, tout ça… (enfin, j’ai jamais vu le 3, je crois que je ne savais même pas qu’il existait à l’époque, c’est dire, ça rejoint ce que tu dis sur le désamour de ce film) Cet article était super bien écrit, bravo !
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Merci beaucoup à toi. J’ai essayé d’aborder des points importants concernant Matrix à mes yeux, tu auras compris que ce sont des films qui ont eu un fort impact sur moi, et qui, à mon avis, en disent vraiment énormément sur notre rapport à la fiction en général. Je pense même que c’est l’aspect central de toute cette saga, du coup je fais un peu les gros yeux quand on découvre avec ce quatrième film qu’il a un aspect métadiscursif.
J’espère que tu auras l’occasion de les revoir, que tu apprécies ou non la proposition !
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Oui, j’ai trouvé ton article très intéressant et beau !
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Hé bien merci encore, ça me touche d’autant plus venant d’une des personnes que j’estime le plus par ici (non pas que je manque d’estime pour les autres camarades, mais comme tout le monde j’ai mes chouchous 😉)
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Héhé, merci, c’est gentil (et c’est mérité pour toi, ce commentaire !)
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[…] film, à ce film qu’elle fait en solo, etc. L’Apprenti Otaku décrypte ça très bien : ICI. Ainsi, même si je ne suis pas une fan de la saga, j’ai trouvé ça intéressant et […]
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