Tokyo Godfathers – La magie de Noël selon Satoshi Kon

Tokyo Godfathers

Si les films de Noël sont légion, les authentiques chef d’œuvre du genre (car oui, on pourrait considérer cela comme un genre) sont bien plus rares. Heureusement, on peut compter sur Satoshi Kon pour nous proposer un objet cinématographique totalement en phase avec son style habituel, tout en étant très différent, avec Tokyo Godfathers, son unique film résolument grand public, qui retranscrit la vision propre au cinéaste de l’esprit de Noël.


Au moment où j’écris ces lignes, le film est disponible sur Netflix, l’occasion idéale pour le découvrir.


Resituons le film

Si je regarde chaque film de Satoshi Kon dans un mood très particulier, étant obsédé par ce cinéaste disparu trop tôt à 47 ans (chose que je rappelle à chaque fois que je parle de lui il me semble), découvrir Tokyo Godfathers maintenant a également quelque chose de particulier, puisque sa co-scénariste, Keiko Nobumoto, s’est également éteinte le premier décembre de cette année 2021, à seulement 57 ans. Difficile de ne pas penser à cela en regardant ce film qui, d’une certaine façon, célèbre la vie.

Car il faut le dire, Tokyo Godfathers est certainement le film le plus enjoué et le plus accessible de Satoshi Kon. Troisième long métrage du cinéaste, il puise son originalité dans le fait qu’il soit justement très conventionnel par rapport au travail habituel de l’auteur. Ici, le récit est linéaire, et il n’y a pas ce jeu que l’on retrouve habituellement entre réalité, rêve, fantasme et fiction. Il y a bien quelques éléments qui rappellent cela, notamment dans un jeu fréquent sur les images présentées comme telles (affiches, photos, etc…) qui ont une importance narrative certaine dans le récit.

Le film est sorti en 2003 au Japon, et en 2004 en France, directement en vidéo. Le film est une réinterprétation du classique du western Le Fils du désert de John Ford, dans lequel trois hommes deviennent les parrains improbable d’un bébé après la mort de sa mère. Le film français Trois hommes et un couffin est également cité comme une influence potentielle dans le documentaire Satoshi Kon L’illusionniste de Pascal Alex Vincent.

De quoi ça parle ?

On y retrouve un pitch similaire au film de Ford, transposé à Tokyo, où trois SDF trouvent un bébé dans une poubelle, et souhaiteront retrouver sa mère. L’occasion d’une balade dans les rues de la ville durant la période de Noël, où coïncidences et rencontres rythmeront un récit riche en péripéties et en personnages hauts en couleurs, à commencer par les trois SDF.

Nous suivons donc Gin, un homme dont on sait peu de choses au début du récit si ce n’est qu’il a été ruiné, Miyuki, une adolescente qui a fui le foyer suite à des problèmes familiaux, et Hana, une femme transgenre. Suite à la découverte du bébé, chacun de ces trois personnages verra son rapport à la question familiale bouleversé, et le film va tout du long travailler cette thématique, finalement très en accord avec « l’esprit de Noël ». Cela permet de donner beaucoup de corps à un récit dont le ton alterne entre le léger et le sérieux, versant souvent dans le registre émotionnel.

Et comme on peut s’en douter au vu du concept de base, ce sont des frictions entre ces trois êtres marginaux et les différentes strates de la société que va naitre une réflexion sur la parentalité, mais aussi sur les laissés pour compte dans le Tokyo de son époque. Le tout sur fond de course contre la montre pour retrouver la famille de l’enfant, avec l’espoir d’un miracle de Noël.

Du pur Satoshi Kon

Je l’ai déjà souligné, le film tire son originalité du fait d’être finalement très « classique » pour du Satoshi Kon, le cinéaste cherchant à toucher le grand public (une de ses obsessions qui n’aura jamais eu le temps de se réaliser). Et si la narration n’est pas déconstruite comme dans ses autres films et qu’il n’aborde pas frontalement la question de la frontière entre réalité et fiction, le film traite cependant subtilement de ces thématiques, quand bien même elles sont moins évidentes.

Il semblerait par exemple que le cinéaste cherchait à mettre en scène la thématique des miracles de Noël par le biais de coïncidences dans le récit parfois tellement énormes qu’elles rappellent immanquablement sa nature de fiction. On peut également remarquer une réminiscence de son travail dans une scène de rêve.

Affiche

Mais surtout, il y a un ton général qui sonne très Satoshi Kon, un quelque chose de compliqué à définir qui rappelle les autres œuvres du cinéaste. Un des points sur lesquels c’est le plus évident reste le travail de montage, toujours particulièrement précis et original de la part du cinéaste, et l’aspect résolument cinéphile du métrage. Au-delà de l’inspiration Fordienne déjà mentionnée,  on retrouve ça et là des renvois plus ou moins évident à certains grands cinéastes américains. Je pense en particulier à une courte scène où le travail de montage évoque clairement Brian De Palma.

Ainsi, les fans du cinéaste se retrouvent en terrain connu pour leur plus grand plaisir, tout en découvrant une autre facette de l’œuvre de Kon, qui arrive à briller même en mettant en retrait ses obsessions habituelles. Et on y trouve une tonalité émotionnelle particulièrement prononcée qui colle très bien aux thématiques du récit.

Un film sur la parentalité et la cellule familiale

Car comme je l’ai déjà dit précédemment, Tokyo Godfathers est avant tout un film sur la parentalité. Chacun des trois personnages principaux a un rapport compliqué à la question, et le bébé, qui apparait comme providentiel pour Hana qui ne peut pas avoir d’enfant, va être un catalyseur de tout ceci.

Si le récit se lance sur la question de comment il est possible d’abandonner son enfant, le film va passer toute sa durée à tenter de montrer la complexité de la relation à son engeance par le biais des différents personnages. De cet aspect découle toute la force émotionnelle du film, qui ne va faire qu’aller creshendo jusqu’à un final qui peut difficilement laisser de marbre les parents qui regardent le film. Film par ailleurs plutôt familial au contraire des autres œuvres de Satoshi Kon (en dépit d’une séquence un peu violente dans le premier tiers).

Hana et Miyuki

En résulte un film plus terre à terre que les autres longs métrages du cinéaste, mais aussi plus émouvant à mes yeux. Évidemment, la thématique principale n’est pas pour rien dans cette tonalité émotionnelle forte. Mais cela résulte avant tout d’un rapport au monde propre au cinéaste, volontiers lyrique et qui sait tirer partie des potentialités de son art, en témoignent les entorses à la réalité que permet l’animation, qui offrent de très belles choses en terme d’esthétique au service de l’humour ou de l’émotion en fonction des cas.

En conclusion

Ainsi, c’est dans le désordre le plus complet que j’ai découvert le versant cinématographique de l’œuvre de Satoshi Kon, commençant par le second film, avant de continuer par le premier pour ensuite enchainer sur le dernier et conclure avec le troisième. Un désordre qui ne pose aucun souci, puisque chaque film nourri l’autre indifféremment. Ce qui est certain, c’est que cet ordre aléatoire épouse presque l’ordre de mes préférences, et m’a fait conclure par le film qui m’a le plus touché au niveau intime, quand bien même Paprika représente selon moi le sommet du style Satoshi Kon en terme de cinéma.

Et si j’ai terminé la découverte des longs métrages du cinéaste, il me reste encore pas mal de choses à défricher, puisqu’il y a encore sa série Paranoia Agent, ainsi que les quelques oeuvres animées sur lesquelles il a pu apporter son identité si particulière. Et il y aura, surtout, la redécouverte fréquente au fil des ans de l’œuvre d’un cinéaste unique en son genre, que j’ai vu récemment qualifié de « Kubrick de l’animation », comme s’il s’agissait d’un titre honorifique, alors qu’en peu de films, il a réussi à imposer sa singularité qui fait qu’on ne peut le comparer à aucun autre.

Ainsi, comme chaque film de Satoshi Kon, Tokyo Godfathers est un cadeau très précieux, et un film qui mérite grandement d’être vu et revu, pour tenter de saisir la profondeur de l’œuvre d’un cinéaste d’exception, qu’on aurait vraiment aimé accompagner plus longtemps.

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17 commentaires

  1. Merci pour cet article. J’hésitais à regarder ce film d’animation car j’avais peur du drame social, ceci dit très intéressant dans un autre contexte que Noël. Finalement, j’y vois un intérêt pour découvrir la filmographie de satoshi kon. Je ne pense toujours pas tomber sur une guimauve de Noël mais après tout tant mieux si c’est de qualité, ça change du reste du catalogue Netflix sur le sujet. 😁

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    • Je confirme que si c’est pour regarder un film de Noël sur Netflix, c’est clairement le meilleur choix (même même j’aime aussi beaucoup Le Grinch version Ron Howard 😁).

      L’ambiance du film alterne entre légèreté et émotions, mais le ton n’est jamais vraiment dur selon moi, rien de plombant, bien au contraire.

      Et en effet, c’est une belle porte d’entrée dans le cinéma de Satoshi Kon que j’encourage à découvrir !

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  2. Je vais être honnête, je l’avais acheté et regardé à l’époque de sa sortie mais sans être emballée car je le trouvais trop grinçant, mais avec l’âge mes goûts ont évolué et j’ai bien envie de me laisser tenter à le revoir 😄

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  3. bonjour, comment vas tu? j’ai justement regardé ce film lundi soir. quand j’ai vu qu’il était dispo sur Netflix, j’ai pensé à tes articles sur l’auteur. Comme je n’avais jamais rien vu/lu de lui, je me suis lancée. et je n’ai pas regretté. j’ai passé un agréable moment. espérons que cette première diffusion sur la plateforme encouragera à diffuser le reste de ses oeuvres. passe un bon mercredi et de belles fetes.

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    • Alors honnêtement, c’est difficile à estimer et je crois que ça dépend des enfants. Pour moi, il n’y a pas de contenu « problématique » ou « tendu », mais plus le risque que ça n’intéresse pas les plus jeunes. Je dirai quand même que ce serait mieux d’avoir plus de 10 ans, même si en dessous il peut y avoir un plaisir lié à l’animation, assez burlesque par moment.

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