On connait tous et toutes les expressions toutes faites chères au langage de la critique. Il y en a une en particulier qu’on voit souvent, qui est « classique instantané ». Comme une forme de contresens puisque par définition, c’est le temps qui décide si une œuvre devient un classique, ça ne se fait pas « instantanément ». Mais quand même, il y a parfois des œuvres dont on devine rapidement qu’elle aura un impact réel sur la durée, et qu’elle restera. On peut penser récemment à des œuvres comme Mad Max Fury Road au cinéma, Zelda Breath of the Wild dans le jeu vidéo, etc…
Et dans le monde du manga, certaines séries ont l’avantage de s’étendre tellement dans le temps qu’elles semblent entrer dans la catégorie des classiques alors même qu’elles ne sont pas finies (qui viendrait contredire ce qualificatif pour One Piece ?). Si L’Attaque des Titans est désormais achevé, cela fait déjà quelques années que l’impact de la série n’est plus à démontrer, si bien que son statut de classique du manga me semble déjà acquis, qu’on aime ou non le titre. Mais l’arrivée de son dernier tome en France est l’occasion de se replonger dans cette série qui aura su énormément pousser à la réflexion, et qui va continuer à le faire pendant encore un moment, à n’en pas douter. Ainsi, voyons ensemble en quoi L’Attaque des Titans est définitivement un classique !
Je précise au passage que l’article ne contient pas de spoil important, chose qui me semblait indispensable tant la série ménage ses révélations et effets avec talent. De même, on est plus face à une grosse réflexion avec comme idée centrale le statut d’œuvre déjà « classique » de L’Attaque des Titans plus qu’un avis à proprement parler. J’ai déjà beaucoup écrit sur la série, et ce n’est pas fini, je pense que mon avis sur la question est déjà clair : oui, c’est un pur chef d’œuvre, malgré un certain nombre de scories, qui est d’ores et déjà une œuvre majeure dans son médium, qui restera et qui continuera encore longtemps de faire parler. Une affirmation un peu tautologique, mais que j’aime à voir comme un pari sur l’avenir.
À l’aube de son dernier tome, où en est la série en terme de réception ?
Puisque le fil conducteur de l’article est expliquer (humblement) en quoi L’Attaque des Titans est déjà un classique selon moi, resituer certaines choses n’est pas inutile je pense. Je ne vais pas revenir sur toute l’évolution des ventes de la série au fil des ans, de l’impact de l’anime, etc, pour la simple raison que c’est long et un peu chiant. Je me dis que c’est plus parlant de poser les gros chiffres d’emblée.
Précisons par exemple que la série a dépassé le cap symbolique des 100 millions de ventes au cumulé en décembre 2019, et que la dernière saison de l’anime ainsi que la fin du manga ont créé un bel emballement des ventes. Pika a annoncé que la série a dépassé les 4,5 millions de tomes vendus, faisant d’elle la seconde plus grosse série de leur catalogue (derrière Fairy Tail à 10 millions de tomes), sachant qu’en France aussi, la dernière saison a contribué à une nouvelle explosion des ventes. L’éditeur va encore tirer partie de cet emballement puisqu’en plus de l’édition collector du dernier tome qui arrive (ce volume est annoncé avec un tirage initial de 175 000 volumes édition simple et collector incluses), un pack découverte des deux premiers tomes va revenir, ainsi que des coffrets de 4 tomes à chaque fois pour permettre à un nouveau public de découvrir la série. Sans parler de l’édition colossale du dernier tome qui pointera le bout de son nez l’année prochaine, avec apparemment des bonus à la clé.
En plus de tout ceci, Pika a remis un coup sur la communication, envoyant notamment un dossier de presse au format A3 à des journalistes et partenaires afin de faire le point sur les ventes de la série ainsi que son impact.
De plus, on peut imaginer que la dernière partie de l’anime qui doit arriver en 2022 va encore créer un dernier boost pour la série. Mais tout ceci, c’est des histoires de gros sous, de business, qui évoque plus des chiffres et des performances en pagaille, mettant un peu de côté les dimensions « artistiques » et culturelles de l’entreprise. Car au-delà de toutes ces ventes, on constate également, et c’est ce qui m’intéresse le plus, que la licence ne cesse de faire parler, analyser, discuter, au sujet de tous ses aspects, y compris sa fin, qui a divisé.
Et c’est vraiment le point qui m’intéresse le plus, dans le sens où au-delà de la grosse machine industrielle, la série est aussi et surtout une œuvre qui a réussi à créer une connexion avec son public, qui sera selon moi durable, loin des succès produits sur mesure à grande échelle sitôt lus, sitôt oubliés. Au contraire, L’Attaque des Titans est toujours aussi régulièrement cité comme un incontournable, déchainant encore et toujours les passions quand d’autres « GOAT » suscitent un certain désintérêt dès leur troisième volume.
Voyons donc ce qui a fait, selon moi, de L’Attaque des Titans une série qui a su se hisser à un rand si particulier.
Faire bouger les lignes du nekketsu
Le qualificatif de nekketsu pour L’Attaque des Titans est très discuté par les fans, certains considérant qu’il en est bel et bien un de par la présence de certains ingrédients, là où d’autres nient cette appellation du fait des spécificités du titre. Le but n’est pas ici de trancher véritablement la chose, mais de proposer mon point de vue personnel sur la question, car cela nourrit ma réflexion.
Je considère à titre personnel qu’on est effectivement face à un nekketsu, quand bien même Isayama remet en question beaucoup d’éléments du genre, et cherche à les dépasser. Ce n’est pas le premier et ça ne sera pas le dernier à le faire, mais dans un genre si codifié (et parfois engoncé dans ses codes), il propose une réflexion sur ceux-ci et une remise en question de cela.
Car il est quand même difficile de nier que beaucoup de personnages s’apparentent à des archétypes du genre (au moins en apparence), à l’exception notable d’Eren, qui d’emblée se démarque considérablement des héros classiques par l’approche radicale de l’auteur sur le personnage, faisant de lui une véritable boule de haine qui se caractérise dans le conflit plutôt que dans une volonté d’élévation personnelle. Pour dire les choses simplement, alors que la plupart des héros de nekketsu sont dans une quête personnelle (devenir Hokage/roi des pirates/le plus fort, rencontrer son père, etc…), Eren ne semble pas se poser la question de ce qu’il veut être, mais de qui il veut tuer (ici, tous les titans).
Une approche radicale d’entrée de jeu concernant son héros, sur laquelle on va revenir, qui se marie avec une approche non moins radicale en terme d’esthétique et de construction d’univers. En effet, dès le début, alors que le nekketsu aime à nous proposer des univers singuliers qui invitent à l’aventure et au voyage, Isayama nous prend à revers en convoquant des images brutales et fortes qui évoquent de façon évidente le réel et les soldats revenant du champ de bataille meurtris, parfois atrocement mutilés.
Et c’est en partageant le regard d’enfant d’Eren qu’on va prendre conscience de la grande violence de ce monde, où il n’est pas question de s’accomplir en tant qu’individu, mais de survivre et se venger. Un rapport émotionnel brutal et primaire à un monde où l’espoir et la joie semblent d’emblée balayés, et où l’humanité et rappelée à sa propre violence, dans une forme de justice poétique où l’homme partage le sort des animaux qu’il chasse et tue (et des autres hommes, le parallèle entre les titans et les êtres humains étant très rapidement mis en avant).
C’est cette radicalité qui m’a d’emblée happé lorsque j’ai découvert la série, par le biais de son adaptation animée dans un premier temps. J’ai intuitivement ressenti le cri de colère d’un auteur qui avait énormément de choses à dire, et qui voulait faire voler en éclat certaines règles afin de mettre en scène sa vision du monde. Et passé cette entrée en matière d’une puissance inattendue, Isayama n’a fait que confirmer cet aspect, étoffant toujours plus son propos, tout en prenant le lectorat à revers.
« Isayama avait tout prévu »
Petit taquin que je suis, je rappelle cette assertion lue et entendue des milliers de fois depuis plusieurs années, qui me semble pourtant totalement fausse, car elle est malgré tout très intéressante et révélatrice de quelque chose qui est à mettre au crédit de L’Attaque des Titans : la façon dont le titre a réussi à susciter le désir d’analyse et d’interprétation des fans, créant un phénomène d’intelligence collective d’une ampleur que l’on voit finalement rarement.
Pour rappel, l’intelligence collective est une notion sociologique que Pierre Levy définit comme une « intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences », très souvent étudiée en sociologie mais aussi dans les domaines liés à la réception des œuvres. L’intelligence collective est un phénomène qui se met en place spontanément (d’autant plus facilement avec internet) face à des fictions dont la richesse et la complexité apparaissent comme évidentes. De très nombreuses œuvres dans des médias différents ont donné lieu à des phénomènes d’intelligence collective sans précédent, on peut citer la série Twin Peak de David Lynch et Mark Frost qui est un exemple précurseur dans le domaine, mais également plus récemment la saga Matrix des Wachowski, ou dans le domaine de l’animation Evangelion de Hideaki Anno.
Et L’Attaque des Titans rejoint donc cette liste d’œuvres qui ont mis en branle, de façon massive et importante, une forme d’intelligence collective, dans le but de percer le grand mystère de l’œuvre. Dans tous les cas, on retrouve selon moi quelques éléments récurrents, quels que soit les œuvres qui ont réussi à atteindre ce point. Tout d’abord, elles sont extrêmement complexes tout en étant accessibles. Tous les exemples que j’ai cités sont des œuvres qui demandent concentration pour bien comprendre le déroulement de l’intrigue, faisant confiance à leur auditoire pour en saisir la densité, mais en même temps, proposent des éléments de pur plaisir les rendant très accessibles (à l’exception peut-être de Twin Peaks).
Ainsi, que ce soit du kung-fu, de la grosse bagarre de robots ou des fights entre titans ou avec des outils de manœuvre tridimensionnels, on prend son pied devant toutes ces œuvres, rendant d’autant plus facile l’investissement émotionnel et intellectuel.
Autre point important, on ressent facilement qu’il y a plus que ce qui est raconté dans ces œuvres. Cela peut fonctionner d’une infinité de façon, mais très souvent, les créateurs aiment poser des questions dont les réponses tardent à arriver, proposer des sous-textes complexes, des réseaux de références très denses, etc. Ceci invitant aux relectures/revisionnages multiples, à l’élaboration d’hypothèses qui se vérifieront ou non par la suite, afin de comprendre d’une part le sens de l’histoire, et d’autre part, la « vérité profonde » qu’il y aurait derrière.
Dans le cas de L’Attaque des Titans, cela se fait de plusieurs façons. Du point de vue de l’intrigue tout d’abord, on est bombardé de questions dès le début, et dont les réponses mettent parfois du temps à arriver. Beaucoup par exemple trouvent qu’Isayama étire artificiellement son récit en révélant ce qu’il y a dans la cave de Grisha Jaeger après 20 tomes. Or, c’est selon moi indispensable de prendre autant de temps, d’une part car la révélation remet en question l’intégralité de l’univers que l’on connaissait, mais également pour laisser le temps aux fans de gamberger et faire leurs analyses et hypothèses.
Mais il y a également un réseau de métaphores et références extrêmement dense mis en place. Si l’on s’intéresse à la série, on remarque un très grand nombre de renvoi possibles à des événements historiques, avec parfois des personnages nommés en référence à des personnes réelles. L’esthétique globale trouve également son inspiration dans notre réalité, via de nombreux oripeaux militaires. Et les inspirations issues de la mythologie nordique ne manquent pas. Tout ceci tissant un maillage faisant sens pour peu que l’on cherche à revenir à la source de chaque influence.
Enfin, comme je l’ai dit précédemment, on ressent intuitivement qu’Isayama a beaucoup de choses à dire, que son récit est bourré à ras bord de sens et d’un message fort à passer. Un message d’autant plus fort qu’il se complexifie à mesure que l’intrigue avance, demandant également de croises les interprétations des fans afin d’en faire émerger davantage de sens.
Ainsi, si je pense qu’Isayama n’avait clairement pas prévu tous les développements de son récit, certains élément laissant plus à penser à un auteur qui retombe habilement sur ses pattes en usant de quelques artifices (sans parler de développements de personnages qui, parfois, donnent vraiment le sentiment qu’il ne sait plus quoi faire d’eux), je pense qu’il avait au contraire bien prévu – dans une visée optimiste bien entendu – que son récit déclencherai cette frénésie de l’exégèse et de l’analyse, qu’il a à mon avis recherché dès le début.
Et en cela, il réussit un énorme tour de force, car on est selon moi face à un cas évident d’œuvre qui a foi en l’intelligence de son lectorat, et cherche à le pousser dans ses retranchements pour l’amener à repenser son rapport au monde sur certains points, avec en définitive comme objectif de nous élever un tant soit peu. Une vision que je trouve particulièrement bienvenue, d’autant plus qu’elle a réussi à trouver un écho énorme comme je l’ai évoqué en début d’article (et la série ne me semble pas avoir encore atteint son plein potentiel commercial).
Et si je trouve à redire sur de nombreux points, ce qu’a réussi à faire Isayama, en fédérant une aussi grosse fanbase, et surtout aussi investie, est un exploit qui doit être salué tant il a contribué à faire bouger les lignes du shonen d’action. Et si selon moi l’exploit n’est pas à la mesure de ce que Togashi a par exemple accompli avec Hunter X Hunter, le verdict du public est tout à fait clair tant L’Attaque des Titans a eu un impact bien plus important (les deux séries partageant selon moi beaucoup de choses).
En conclusion
Je ne sais pas si mon discours est très clair au final, mais j’ai tenté d’articuler ma réflexion autour de l’impact qu’a eu la série dans sa façon de toucher un large public dans un premier temps, pour l’amener ensuite à réfléchir sur son expérience de visionnage. En proposant un manga résolument réflexif, jusque dans son personnage principal qui semble à partir d’un certain point se présenter comme une figure métadiscursive sur ce qu’est un héros de fiction d’action guerrière, Isayama a invité son lectorat à s’approprier l’œuvre, s’investissant dedans toujours plus afin d’en déceler la complexité.
J’ai évoqué plusieurs fois le fait qu’Isayama avait de façon évidente beaucoup de choses à dire dans son manga, mais à aucun moment je n’ai explicité cet aspect. Je dois dire que c’est une forme de réserve due au fait qu’au fil du temps, ayant moi-même proposé mes propres analyses et interprétations en même temps que je me nourrissais de celles proposées sur Internet par d’autres fans, j’en suis venu à remettre en question certaines de mes idées sur la série et ce qu’elle semble nous dire.
Loin d’être un problème, cet aspect parfois flou en terme de discours laisse de grosses ouvertures en terme d’analyse et d’interprétation, si bien que je vois par ce biais encore un très bel avenir à la série.
Car si la fin a déjà eu lieu grâce au simultrad (encore une des belles performances accomplies par la série, qui aura poussé sur la question de la voie du numérique au chapitre de façon légale, voie que j’ai choisi sur la dernière année de parution en attendant la sortie des derniers tomes en édition colossale), et qu’elle arrive désormais en version papier pour le reste du lectorat, et va diviser comme ce fut déjà le cas avec le simultrad (avant d’encore diviser lorsque la fin de l’anime arrivera, si tant est qu’elle soit fidèle à celle du manga), elle sera un nouveau support à réflexion pour le lectorat, qui relira l’histoire d’Eren avec un éclairage nouveau.
Il est en effet évident que la série se prête fort bien aux relectures, de par ses retournements et twist plus ou moins bien menés, mais toujours porteurs de sens. Et c’est je pense encore ça qui contribuera à ancrer encore un peu plus L’Attaque des Titans dans l’imaginaire partagé des lecteurs et lectrices de manga. Peu importe finalement ce qu’on pense de cette fin, que j’ai moi-même trouvé décevante (voir mon article ICI), elle est malgré tout riche de sens également. Peut-être simpliste sur certains aspects, et plus profonde que je le pensais sur d’autres à la réflexion, elle reste dans tous les cas en phase avec la série dans sa globalité : complexe et ouverte à la discussion.
Les nouvelles pages ajoutées dans la version reliée du dernier tome sont également porteuses de beaucoup de sens, et ont une fois de plus divisé, mais contribuent aussi à ancrer encore un peu plus la série en tant que support de réflexion. Et comme toujours dans le cas des œuvres si denses et riches, qui ont été investies profondément par leur public, la fin n’est finalement qu’une étape dans la vie de l’œuvre, qui va continuer à être décortiquée à l’envie par un public qui a été marqué pour de bon par un titre dont la singularité en a fait un véritable chef d’œuvre.
De ce fait, je n’ai personnellement aucun doute sur le fait qu’on va continuer de parler de L’Attaque des Titans durant des années, que comparer des succès à venir avec la série d’Isayama deviendra un tic récurrent, et que des fans arriveront régulièrement à trouver de nouvelles pistes de réflexion et d’interprétation, créant une exégèse toujours plus dense pour une histoire qui n’en finira surement pas d’être redécouverte, proposant une grille de lecture spécifique de notre monde, une grille de lecture loin d’être flatteuse, mais véritablement cathartique.
Très chouette article qui donne envie de lire la série ! Même si je ne pense pas m’y replonger tout de suite, il faut le bon état d’esprit pour cela. Ça ne m’empêche pas d’apprécier tes réflexions 😄
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Et tu m’en vois ravi !
De mon côté je vais aller voir les tiennes concernant les Hallennales !
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J’espère que tu les trouveras intéressantes !
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Je n’en doute pas vraiment.
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Excellent article!! Je partage à peu près tout ce qui a été dit pour le coup. J’avais quand même envie de revenir sur 2 points : le premier dont tu discutes très explicitement ici et le deuxième que tu évoques juste, presque implicitement.
Concernant le premier, à savoir sa relative parenté avec le nekketsu, je partage globalement tout ce que tu énonces. Je trouve évident, du moins sur toute la première partie (jusqu’au tome 22), qu’SNK jouait avec les codes propres au nekketsu (exaltation et dépassement de soi, culte de l’héroïsme voire du sacrifice dans certains cas), on avait là un cocktail fort, savamment dosé mais bien réels de certains archétypes du « genre » qui ont d’ailleurs eu comme conséquence de démocratiser à outrance le titre (sans ça, ça aurait été impossible me semble t-il).
Pour autant, il me semble juste de dire que quand il a décidé de rompre avec ça (et les éléments de la cave sont là pour en attester), il l’a fait de plein pied. A tel point que le lien de causalité avec la soudaine perte d’une bonne partie du lectorat ne peut être remis en cause. En effet, tu n’es pas sans l’ignorer, bien que la saison finale a totalement relancé l’engouement et fait terminer la série, dans les chiffres, en apothéose, il n’en demeure pas moins qu’elle coulait depuis 2018 (à cause pour moi d’un récit qui s’émancipait presque totalement de toutes les composantes du nekketsu justement : adios l’héroïsme, place au misérabilisme de nos personnages favoris, jusqu’à finalement aboutir à une situation où le lecteur se trouve presque forcé à devoir prendre parti pour un camp à défaut d’avoir réellement envie de le faire (je sais pas si c’est clair) ).
D’ailleurs, même la pertinence de l’étiquette shonen aurait des raisons d’être discutée au sein du magazine Bessatsu qui a vu fleurir 2 mangas d’Oshimi (Les Fleurs du Mal et Happiness), et qui venait tout juste se lancer dans le prolongement du WSM, lors de la sortie de SNK, en disant vouloir octroyer plus de libertés à leurs artistes. Je pense donc qu’il a introduit des éléments de langage typique des recettes à succès dans un premier temps, tout en y insérant sa patte, avant de s’en émanciper au fur et à mesure jusqu’à totalement les oublier par la suite, à mon plus grand plaisir à titre personnel. Là, où Togashi (et c’est vrai que la comparaison est pertinente tant ce qu’il fait dans Chimera Ants est fort pour un soi disant nekketsu), bénéficiait sans doute plus, dans un magazine lisse, de son statut d’auteur star après YYH.
Mais bref, si l’on doit relier les 2 au moule que semble dessiner le nekketsu, on peut affirmer sans trop se tromper qu’ils s’en sont vachement éloignés pendant une bonne partie au moins.
Enfin, le deuxième point, concerne selon moi des éléments de mise en scène, que tu évoques justement quand tu parles des révélations, qui se sont déjà ancrés dans les mémoires collectives. Typiquement, la fin du tome 10, qu’on y soit sensible ou non, c’est une marque très forte de l’auteur qui subsiste encore (je pourrais faire étalage de pas mal d’allusions sur les réseaux ou autres au « style Isayama » quand il s’agit de balancer un élément narratif important voire crucial au second plan par exemple). Réussir à se créer un signe distinctif de la sorte (quand bien même il n’est peut être pas le pionnier historiquement parlant) est très fort, et participe inévitablement au classicisme de son œuvre.
Bon, je ne reviens pas sur la deuxième partie de ton argumentaire. Je partage absolument tout ce qui a été dit et bien dit même. Je pense d’ailleurs, que dans un tel système de parution, c’est faire injure à l’auteur que de le positionner en totale maîtrise de tous les éléments extérieurs qui agiraient sur son œuvre, dont il imposerait le rythme du début à la fin sans dévier un instant de tout ce qu’il avait pu imaginer au départ. C’est à mon avis ne rien y connaître. Yukito Kishiro, disait d’ailleurs dans l’ATOM #8 (page 31), en réponse à la question « Gally a t-elle finie par échapper à son créateur? » : « Je crois qu’elle a commencé à s’enfuir le jour où je l’ai posé sur du papier! De toute façon, dès que votre personnage rencontre ses lecteurs, il ne vous appartient plus ».
Isayama avait d’ailleurs noté, comme influence extérieure, le travail essentiel du doubleur Yuki Kaji sur Eren.
Quand bien même l’aspect prévisionnel est important et réel, et que les auteurs ont effectivement une ligne directrice, en faire des personnages immunisés contre tout contact extérieur m’exaspère. Ce n’est qu’une hypothèse. Mais il n’est pas impossible que les différentes menaces de mort qu’il ait reçu (taxant son manga de fascisme notamment) n’ait pas été, d’une petite façon, corrélée à la nuance importante qu’on a senti découler à mesure que l’œuvre avançait. J’en sais rien à vrai dire. Mais tout comme on ne doit pas nier l’adaptation de la critique d’un titre à l’aune de son époque, et des années de réflexion sur un sujet, il me paraît évident qu’il ne faut pas déconnecter le travail d’un auteur du milieu et des éléments extérieurs qui l’engendrent. C’est primordial. Et ça ne rend l’auteur que plus humain.
Bref, j’ai été trop long, mais voilà un bien bel article qui me permet de rebondir sur le succès d’une œuvre que j’adore et dont les critiques, souvent extrêmes et abusives ne rendent définitivement pas justice.
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Attention, ton commentaire est presque aussi long que l’article !
Mais ça me plait, ça fait des conversations intéressantes.
Concernant le basculement d’un aspect nekketsu vers quelque chose de tout autre, on est d’accord. Je t’avoue que je ne suis pas spécialiste des chiffres donc je ne pouvais pas voir la corrélation en terme de ventes avec ce basculement, mais d’instinct je me disais que ça devait être lié tant ça prend à revers ce qu’on pense de ce monde, au risque d’en décevoir certains (pour le coup on rejoint Matrix qui a perdu une partie énorme de son public entre le 2e et le 3e film).
Pour ce qui est du fait que le personnage échappe à son créateur, je n’ai pas osé développer pour ne pas entrer dans les spoils, mais je vois certaines révélations sur Eren comme une façon de mettre en scène cette idée, comme s’il avait échappé à Isayama pour suivre sa propre volonté en tant que personnage, je sais pas si tu vois ce que je veux dire.
Et comme toi, je pense aussi que , même si l’oeuvre a du être très réfléchie en amont, ces années de développement ont du créer des évolutions dans sa vision de son titre, ainsi que toutes les forces extérieures qui ont pu influer sur le processus créatif. Ce qui n’est pas un souci en soi, car en dehors de certains points qui me posent extrêmement problème (Reiner en tête, sur le dernier chapitre), je trouve qu’il retombe vraiment bien sur ses pattes et délivre un récit globalement très bien tenu, même si je sens aussi un rushage important sur la toute fin.
Mais je reste intimement convaincu que le titre fera date et sera encore décortiqué longtemps, le signe d’une œuvre vraiment riche et importante pour son médium.
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Pour l’anecdote, l’Attaque des Titans avait à son sommet quasiment 2M de lecteurs physiques (comprendre personnes qui achètent le dernier tome qui sort en librairie donc sans le numérique) entre 2013 et 2017. Puis ça a plongé. Jusqu’à atteindre timidement les 800k avec le 31. Avant un redressement canon vers la fin, grâce à l’engouement généré par la saison finale.
La série a toujours fait de gros chiffres. Et perdre des lecteurs n’est pas anormal. Mais à la vitesse où elle les a perdu à partir du 23, le lien me paraissait évident concernant le décalage entre les attentes d’une partie du public, et la direction que le titre prenait. Ça ne l’empêchait pas de recevoir des louanges critiques (le tome 30 est d’ailleurs le sommet du récit pour beaucoup). Mais ça devenait sans doute de moins en moins tout public.
Et oui, je crois voir ce que tu dis à propos d’Eren. C’est un personnage de base torturé et assez complexe dont l’obsession et la dimension ont sans doute fini par dépasser même son créateur. A tel point que pas mal de projets de réinterprétation de la fin (je dis ça pour être gentil) le concerne spécifiquement, lui dont les actions ont engendré des réactions/analyses aussi multiples qu’extrêmes. A titre perso, j’ai toujours autant de mal à me positionner émotionnellement par rapport à ce personnage. Le sommet arrivant pour moi dans le chapitre 131 où je fus à la fois fasciné et horrifié, pris d’empathie et de dégoût… bref tout l’étalage d’un personnage torturé et qui te torture. Et je ne pense pas me tromper en disant qu’il a du également torturer l’esprit d’Isayama. Et il n’y a pas de mal à ça.
Et ouais, son statut de classique ne me semble aucunement usurpé. Je ne pense pas qu’on prenne trop de risques en disant qu’elle survivra à l’épreuve du temps. Ou si c’est le cas, je pense qu’on est très bon (lol)
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J’ai beaucoup aimé le passage où dit que chacun peut avoir une approche différente de l’œuvre, mais qu’au final elle arrive à tous nous réunir et nous faire réfléchir sur des thématiques qui sont habilement traitées tout en nous poussant sur une réflexion à la fois sur l’univers de l’œuvre, mais aussi avec le parallèle que cela a dans notre monde.
Je ne suis pas très fan des gens qui disent qu’Isayama (ça marche aussi pour Oda) avait tout prévu depuis le début. Il peut certes il y avoie des points qu’il a pensés bien en amont pour amener à un développement futur, mais quand on écrit une œuvre durant plusieurs années, le monde et notre façon de raconter change et évolue (encore plus pour Isayama qui était un jeune auteur) et je pense qu’il c’était laisser une certaine liberté au début pour avoir de la matière à pouvoir relier son récit s’il en avait besoin.
Pour moi L’attaquent des titans sont déjà un classique et ceux depuis quelques années déjà. Elle aura su proposer une histoire plus mature et réfléchie par rapport à ce qu’on avait l’habitude de voir jusque-là. Je le considère un peu comme FMA, un classique dont un fera souvent référence à l’avenir, que ce sois en terme d’animation ainsi que pour son histoire.
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La comparaison avec FMA me semble en effet correcte, et j’y ai pensé plusieurs fois.
J’ai quand même le sentiment que L’Attaque des Titans a d’ores et déjà un impact plus important, mais quand j’ai découvert cette série, j’ai souvent pensé à FMA dans le fait d’avoir effectivement quelque chose de plus dense et complexe que la moyenne, et quelques parentés thématiques.
Ravi de voir que ma réflexion t’as plu, et que tu la rejoins !
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« classique instantané », cela veut surtout dire que parfois le succès d’une œuvre ne se fait pas attendre, tellement l’effet de surprise peut avoir été grand.
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Oui mais je pense qu’entre le succès et le fait que ça reste, il y a parfois un monde.
Dans le cinéma, l’expression Classique instantané est beaucoup utilisé mais rares sont ceux qui finalement restent.
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