Visionner Paprika de Satoshi Kon est, comme toujours avec le cinéaste, une expérience singulière, riche et profonde. D’autant plus compte tenu du contexte qui entoure le film, dernière expérimentation de son auteur avant de mourir, et sans doute la plus aboutie et radicale en terme de mise en scène des obsessions de celui-ci. Et s’il n’est pas le film le plus poignant de l’auteur (Millenium Actress m’a davantage touché), il me semble être celui qui va le plus loin dans la singularité de l’auteur, et est sans doute le plus hypnotique. Faisons donc un bref retour sur le champ du cygne d’un artiste d’exception, dont l’œuvre est et restera marquante.
Le dernier film de Satoshi Kon
Impossible de ne pas évoquer encore une fois le destin tragique de Satoshi Kon ici, d’autant plus que, comme je l’ai signalé, Paprika est son dernier film. Dans le très beau documentaire Satoshi Kon – L’illusionniste, il nous est expliqué que le cinéaste avait décidé de conclure par ce métrage son travail sur la réalité subjective et l’interpénétration entre rêve/fiction et réalité, pour ensuite aller vers une narration plus conventionnelle et un cinéma plus grand public avec son prochain projet, Dreaming Machine, qui ne vit malheureusement jamais le jour.
Ainsi, même sans le décès de l’artiste, Paprika devait marquer la fin d’un cycle dans la carrière de Kon, donnant au film une tonalité particulière, étant le paroxysme d’une approche toute personnelle de la mise en scène. Cela se retrouve très fortement dans le rapport au rêve et au cinéma qui sont convoqués, ainsi que par les audaces formelles propres à l’auteur, que l’on retrouve ici radicalisées encore plus que dans ses précédents films.
Paprika est donc le quatrième et dernier film de Satoshi Kon, sorti en novembre 2006 au Japon et en décembre de la même année en France, adapté du roman du même nom de Yasutaka Tsutsui. L’intrigue en elle-même est assez compliquée à résumer. Nous sommes dans une sorte de thriller de SF, dans lequel il existe des machines nommées les DC Mini, permettant d’entrer à l’intérieur des rêves des gens afin de soigner leurs troubles psychologiques par ce biais.
Trois DC Mini se retrouvent volés, permettant à la personne qui s’en est emparée d’entrer dans les rêves des gens afin de les manipuler. De cette façon, il est possible de contraindre les personnes à faire des choses telles que se jeter d’une fenêtre ou n’importe quoi d’autre. Les personnes à l’origine de cette invention vont donc chercher qui est responsable de ce vol.
C’est dans les grandes lignes ce dont il est question, mais l’intrigue est surtout un prétexte à proposer des visions lyriques issues de l’esprit du cinéaste, ainsi qu’une mise en abyme du cinéma par le prisme du rêve.
Un film sur le cinéma
Dire que Paprika est un film sur le cinéma apparait comme une évidence si on a déjà vu les précédentes œuvres de Satoshi Kon. Perfect Blue, son premier long métrage était déjà un thriller hitchcockien se déroulant dans le milieu du cinéma qui proposait une réflexion sur le métier d’actrice et d’idol, ainsi qu’une mise en perspective des codes du thriller. Millenium Actress mettait également en exergue l’histoire du cinéma japonais par le biais du parcours d’une actrice fictive. Ainsi, d’une œuvre à l’autre, Satoshi Kon se posait en continuité d’un cinéma en prise de vues réelles, qu’il avait parfaitement digéré, et dont il se servait pour créer un style qui lui était propre.
De ce fait, voir ensuite le cinéma en prise de vues réelles s’inspirer des films de Satoshi Kon apparait comme un mouvement naturel, en forme de bouclage de boucle. On pense évidemment aux emprunts conséquents d’Aronofsky à Perfect Blue, mais aussi à Christopher Nolan qui s’est grandement inspiré de Paprika pour l’intrigue d’Inception, proposant au passage quelques clins d’œil visuels bien sentis (tout en arrivant à proposer un film d’action de qualité, à l’identité propre par ailleurs).
Ainsi, Paprika renvoie de façon régulière au cinéma, créant un parallèle, qui n’est pas neuf, il est vrai, entre cinéma et rêve. Mais il radicalise le procédé, l’intégrant à son univers visuel et sa mise en scène. Ainsi, le personnage du policier Toshimi dit détester le cinéma en début de film, et semble suivre une évolution qui lui permettra de vaincre ses névroses en acceptant finalement son amour pour le cinéma. Le film l’amenant régulièrement dans une salle de projection, où le personnage de Paprika se permettra même de nous dispenser un cours de mise en scène en nous expliquant la règle des 180 degrés.
Une notion qui ne me semble pas anodine concernant la nature du film de Satoshi Kon, qui a parfaitement intégré les règles du cinéma traditionnel afin d’en nourrir son style, que ce soit dans les choix de cadrage ou de montage, souvent audacieux.
De plus, Kon renvoie à ses précédentes œuvres, que ce soit Paranoia Agent, par le biais de la musique, ou ses trois autres films, évoqués de façon visuelle par des affiches (ainsi que son projet suivant, malheureusement avorté, que l’on aperçoit dans les rêves par le biais de dessins ou de statues des personnages qui auraient du en être les héros). Ce faisant, il intègre ses autres œuvres à cet univers onirique, confirmant la parenté entre cinéma et rêve, comme si l’expérience d’un film était un rêve éveillé pendant quelques heures.
L’aboutissement du cinéma de Satoshi Kon ?
Ainsi, fort de l’expérience accumulée, de quelques évolutions technologiques et d’un budget plus conséquent (qui reste très faible en regard des standards de l’animation), les visions oniriques de Paprika représentent un aboutissement esthétique pour le cinéaste selon moi. Il est clairement le film le plus coloré de l’auteur, et celui dans lequel il va le plus loin dans ses idées visuelles. Que ce soit dans le montage, qui est particulièrement virtuose dès le générique d’ouverture, ou dans les idées esthétiques et les ambiances, l’univers des rêves permet à Satoshi Kon de s’autoriser tous les délires.
De la scène d’ouverture dans un cirque, à la fanfare récurrente dans le film à d’autres idées encore plus délirantes, c’est un vrai plaisir de mise en scène, qui donne parfois l’impression d’une succession de courts métrages à la limite de l’expérimental dans certains cas, qui trouve sa cohérence dans son concept même. Je me souviens qu’à l’époque d’Inception, on comparait souvent les deux films, pas uniquement pour des questions d’inspiration, mais surtout pour mettre en avant le fait que l’univers onirique de Nolan semblait bien sage et terne dans son approche réaliste, par rapport à celui de Kon, qui au contraire est un déploiement de couleurs et d’images inattendues. Si j’apprécie les deux approches, qui sont très différentes, il est clair que les images de Paprika marquent par leur originalité.
Il en va d’ailleurs de même de la musique, qui me reste en tête depuis que j’ai vu le film. Le thème de la fanfare en particulier est des plus marquants, mais l’ensemble de la bande originale est irréprochable et participe grandement de l’ambiance générale du film, se permettant le même genre d’audace que les visuels.
Ainsi, Kon semblait avoir trouvé dans Paprika l’histoire idéale pour proposer l’aboutissement de son style visuel et de son rapport au cinéma. Je suis d’ailleurs convaincu qu’il en avait conscience et que c’est la raison pour laquelle il avait souhaité aller vers une histoire plus conventionnel pour son projet suivant (ça et l’envie d’accéder enfin au succès public, car si Paprika a encore obtenu des récompenses prestigieuses, le film est resté relativement confidentiel).
De ce fait, il me semble impossible de décorréler Paprika du décès prématuré de Satoshi Kon, qui donne au film un aspect œuvre somme testamentaire. C’est d’autant plus impossible que le film, comme j’ai déjà tenté de l’expliquer, met en exergue le rapport du cinéaste à son art, et à ses précédentes œuvres. Ainsi, il n’est pas étonnant que le film se conclue sur un personnage qui entre dans une salle de cinéma, comme pour nous rappeler ce geste anodin que l’on effectue régulièrement en tant que spectacteurs.trices, qui signifie énormément dans notre rapport au monde.
Un article intéressant comme d’habitude. Je n’ai pas encore regardé Paprika mais j’ai déjà écouté l’OST du film qui est particulièrement bonne et prenante. Ne m’interessant que à Satoshi Kon que depuis peu je ne savais pas que Paprika était la fin d’un cycle dans sa vie de réalisateur. Un cycle qui malheureusement n’aura pas donné lieu à un autre par la force des choses… Très intéressant ce parallèle avec Inception aussi! Faut que je me lance dans le visionnage !
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Merci bien à toi mon grand !
Même en dehors des aspects que j’évoque, le film reste un super spectacle en lui même donc je ne doute pas que tu passe un très bon moment devant !
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J’ai récemment lu le livre justement et j’étais surprise de voir la mention à Satoshi Kon sur la couverture. Je comprends mieux le pourquoi du comment grâce à ton article, qui me donne envie de jeter un œil au film ! Peut être que j’apprécierais ainsi davantage l’histoire qui me paraissait froide et vraiment décalée (dans le mauvais sens du terme) à l’écrit..
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Il me semblait bien me souvenir du fait que tu avais lu le roman.
Je ne peux pas faire de comparaison, mais le film de Satoshi Kon est tellement ancré dans le cinéma à la fois dans sa mise en scène et dans ce qu’il raconte que j’imagine que ça doit être une expérience différente que celle que procure le roman.
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J’ai l’impression que le film me plaira davantage en tout cas ! Tu l’as regardé sur quelle plate-forme ?
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J’ai acheté le blu ray, il est plus disponible nulle part actuellement je crois 😅
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Arf. Bon à savoir, merci !
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Paprika ça a été le premier film d’animation que j’ai vu ! Et il m’avait beaucoup plu, je le regarderai encore bien une fois, suite à ton article 😀
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Ah ouais, t’avais quel âge à l’époque ?
Parce que c’est quand même un film plutôt adulte, même s’il est regardable assez jeune je pense.
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Bonne question
Vers 20 ans je pense
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Tu n’avais jamais vu de Disney ou autre ?
Ou alors j’ai mal lu ton commentaire 🤔
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Autant pour moi, je me suis mal exprimé 🙁 C’était mon premier films d’animation Japonais. Mais vrai film, pas les OAV DBZ ou autres.
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Ah yes, je comprends mieux. Mon premier était Ghost in the Shell à un âge où j’aurais clairement pas du le voir (et où je n’étais d’ailleurs pas en mesure de l’apprécier).
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