Cela fait un moment que je cherches des moyens de parler un peu de mon expérience de gamer, car le jeu vidéo a quand même une grosse place dans mes pratiques de loisirs, même si depuis quelques temps j’ai du mal à jouer autant que je le souhaiterai. Et alors que depuis quelques temps je me disais que parler de jeux vidéo et de mes souvenirs marquant par le biais de la musique était une bonne idée, j’ai été encouragé à me lancer en lisant l’article du camarade Papa Lecteur sur les musiques de jeu vidéo marquantes que je me suis dit que j’allais aussi me lancer.
N’ayant pas franchement de notion technique en ce qui concerne la musique, je vais tout simplement aborder ce sujet d’un point de vue tout personnel, mêlant l’approche émotionnelle que j’ai aux musiques évoquées ainsi que des réflexions qui me semblent pertinentes. Et pour commencer, autant y aller avec ma saga préférée du jeu vidéo : Metal Gear Solid.
Et comme le titre de l’article l’indique, on ne va pas aborder les thèmes devenus cultes de Harry Gregson Williams, Ludvig Forsell ou tous les compositeurs japonais qui ont travaillé sur la saga, mais se focaliser sur l’utilisation de la chanson Here’s to You dans les quatrième et cinquième épisodes.
Recontextualisation
La chanson Here’s to You a beau être extrêmement connue, diffusée en radio de façon très régulière depuis des décennies, il n’est pas inutile de la resituer quelque peu.
Here’s to You est une chanson composée par Ennio Morricone et interprétée par Joan Baez, qui date de 1971, ayant été écrite pour la bande originale du film Sacco et Vanzetti. Ses paroles sont très simples, puisqu’il s’agit de la répétition en boucle des 4 vers suivants :
Here’s to you, Nicola and Bart,
Rest forever here in our hearts,
The last and final moment is yours,
That agony is your triumph.
Cette chanson et le film dans lequel elle apparait traitent de l’affaire bien connue de Sacco et Vanzetti, deux anarchistes italiens condamnés à mort et exécutés aux Etats-Unis en 1920 durant une période de crise, alors qu’il n’y avait vraisemblablement pas de preuve de leur culpabilité.
Ils sont devenu au fil des ans un symbole fréquemment repris, et les deux derniers vers de la chanson renvoient à ce que Vanzetti a dit avant d’être exécuté. Et c’est cette nature de symbole, et de martyrs, qui est intéressante dans le cadre de la réutilisation du thème dans Metal Gear Solid.
Le générique de fin de Metal Gear Solid 4
La saga Metal Gear Solid est à bien des égards une histoire de souffrance. Bien aidé par le contexte militaire, le fait qu’on ait droit à des séquences de torture dans chaque épisode annonce déjà la couleur. Le quatrième (et dernier chronologiquement) se démarque par l’insistance sur la souffrance de Snake, le héros. On le découvre vieillit par rapport aux précédents épisodes, condamné par la maladie, et sa déliquescence physique est vraiment au cœur du récit, et un grand moteur d’empathie.
L’idée est qu’on va suivre un homme qui lutte pour un monde dans lequel il ne pourra pas vivre, puisqu’il se sait condamné. Son corps n’est d’ailleurs plus tellement en état de lutter, en témoignent les passages où il se fait mal au dos lorsqu’on effectue certaines roulades en jeu, mais aussi les très, très nombreuses séquences où il va déguster considérablement. Au fil du jeu, en plus de se faire tabasser à intervalles réguliers, Snake va se faire planter un couteau dans l’épaule, se faire électrocuter, se faire brûler une partie du visage, jusqu’à un climax où il passera dans un couloir à micro-ondes, avant un combat final d’une violence assez dingue (voir les deux vidéo ci-dessous).
Cette emphase sur la souffrance, qu’on pourrait même qualifier de poésie de la souffrance, est ultra fréquente en fiction, et très chargée idéologiquement selon moi, quel que soit le cas de figure. Et Metal Gear Solid mettant particulièrement l’accent sur cet aspect, en particulier dans ce quatrième épisode, cela ne peut pas être pris comme un élément anodin.
Et en l’occurrence, c’est ici qu’on en revient à Here’s to You. Puisque la chanson est le thème du générique de fin de cette épisode, et vient éclairer la conclusion du parcours de Snake. Le lien avec l’histoire de Sacco et Vanzetti est selon moi l’aspect hautement symbolique des personnages, présentés dans les deux cas comme des martyrs, et des symboles. De plus, la très probable innocence des deux anarchistes permet de mettre en avant l’idée de la différence entre l’histoire officielle et les événements qui se passent véritablement, au coeur des problématiques de la saga Metal Gear Solid.
Enfin, je pense surtout que les paroles peuvent être prises de façon littérale, en les déconnectant de l’histoire de Sacco et Vanzetti. Parler de « Last and final moment » dans le cadre du dernier épisode d’une saga (qui au final n’est pas le dernier, mais l’est tout du moins dans la chronologie) n’est pas anodin, mais surtout la notion de « that agony is your triumph » renvoie à cette rhétorique de la souffrance dont j’ai parlé avant. Ainsi, je pense que l’idée est surtout de mettre en avant l’idée de souffrance qu’on connecte souvent à la notion d’héroïsme en fiction.
Ce qui me semble tout à fait crédible avec Kojima, qui a filé une réflexion complexe sur la notion d’héroïsme depuis le premier épisode de la saga. Et par le biais de cette chanson, il enfonce le clou une dernière fois. Avant-dernière plutôt, puisque Kojima a fait un cinquième épisode après cela (il faudrait d’ailleurs que je vérifie les dates, mais il est possible que Peace Walker soit sorti après le 4, je ne m’en souviens plus). Cinquième épisode dans lequel cette fameuse chanson revient !
Here’s to You dans MGS V
Cette fois-ci, la chanson est utilisée durant une cinématique du jeu, et plus seulement pendant un générique, et il s’agit de l’originale. Il me semble que c’est la première fois que Kojima utilise une chanson préexistante à l’intérieur du jeu. Un procédé qui est finalement assez rare dans le domaine du jeu vidéo. Je pense même que dans mon expérience, je n’ai du me retrouver qu’une dizaine de fois grand maximum devant ce genre de cas, à l’exception notable des jeux en monde ouvert urbain type GTA qui utilisent des musiques préexistantes via la radio des véhicules.
Ce que je trouve intéressant ici, au-delà de la continuité thématique avec le précédent épisode via le rappel musical, c’est également le fait d’intégrer la musique à la mise en scène (chose habituelle au cinéma notamment), chose finalement assez rare en jeu vidéo. Et Hideo Kojima a continué cette idée d’utiliser la musique en terme de mise en scène, mais aussi comme vecteur de sens, notamment en utilisant The Man who Sold the World de David Bowie (repris par Midge Ure ici) comme thème principal du cinquième épisode. La chanson devient ainsi un reflet thématique de ce que raconte le jeu.
Et donc, pourquoi tout ceci est très intéressant pour moi ? Parce que comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas quelque chose de si fréquent que ça dans le jeu vidéo. Et c’est pourtant quelque chose de très utile en terme de storytelling. En effet, le cinéma utilise depuis longtemps des musiques préexistantes pour appuyer le propos d’une séquence ou d’un film, mais le jeu vidéo semble vivre dans une bulle où il essaie d’éviter d’évoquer des éléments qui sortent du cadre du médium.
Et je trouve ça un peu dommage, car comme on le voit avec l’exemple de Metal Gear Solid, convoquer des éléments appartenant à une culture médiatique plus large permet d’enrichir l’oeuvre thématiquement et d’en étoffer le propos. Ainsi, en se positionnant dans une continuité médiatique avec certains films, certaines chansons ou tout autre support (Metal Gear Solid V s’ouvre sur une citation d’Emil Cioran qui déroule une des thématiques centrales du jeu), Hideo Kojima arrive à enrichir son jeu, et surtout apporte sa pierre à un édifice plus global en terme de fiction, où chaque oeuvre répond à une autre et s’inscrit dans un tout plus global, et plus pertinent pour nous.
Excellent article ! Je n’avais jamais réellement prêté attention à tout ça et maintenant que je te lis, tout paraît si limpide ! Ça me donne envie de me refaire les MGS !
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Refais les alors ! C’est un ordre !
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Faut que je me reprenne la compil HD MGS !!!
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Yes ! Moi je ne m’en séparerai jamais !
Ca fait partie des sagas où je conserve tout. Enfin, en terme de jeu car les goodies je m’en tape.
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Je comprends! Les premiers je les avais fait avec mon cousin qui avait les jeux donc finalement je ne les ai jamais acheté… Pour les autres achetés puis revendus (=> erreur…). Mais t’as bien raison de tout conserver!!
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En fait je dois avouer que je les ai possédés et revendus plusieurs fois, mais je pense que j’ai tout racheté il y a au moins 5 ans. Dans mes souvenirs je m’étais refait l’intégralité des épisodes numérotés après avoir fait le 5.
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