Le retour de Eden – It’s an Endless World, la série majeure de Hiroki Endo, était très attendu chez Panini depuis l’annonce par l’éditeur de l’arrivée de cette Perfect Edition. L’occasion de découvrir ou redécouvrir un titre important du genre science-fiction postapo, dans un contexte particulier puisque la pandémie actuelle donne une résonance très actuelle à cet univers et l’histoire racontée. Mais en dehors de ça, c’est déjà avec ces deux premiers volumes un sacré morceau en terme de manga d’action/SF, à la violence frontale qui permet de développer un propos potentiellement passionnant. Passons tout ceci en revue !
Avant de commencer, un grand merci à Panini pour l’envoi du premier volume !
Une réédition de très belle facture
Avant d’entrer dans le vif du sujet et d’aborder le cœur de ces deux premiers tomes, il convient de revenir un peu sur l’objet en lui-même, Perfect Edition oblige. Si vous avez déjà posé la main et les yeux sur la somptueuse réédition de 20th Century Boys de Naoki Urasawa (voir ici), vous serez en terrain connu. Pour le même tarif (16 €), vous aurez également des volumes doubles (environ 450 pages par tome), en grand format, avec des pages épaisses, une impression de qualité, et des jaquettes présentant un peu de relief au niveau du titre et des illustrations.
Et comme il s’agit de tomes doubles, l’éditeur a eu la bonne idée d’inclure l’illustration de jaquette du second volume sur la quatrième de couverture et sur la page de garde à chaque fois, de quoi profiter du travail d’illustration de l’auteur. Et le premier tome comprend également quelques pages couleur, mais nettement moins que pour 20th Century Boys cependant (peut-être que la série n’a tout simplement pas eu droit à beaucoup de pages de ce genre durant sa prépublication).
Mais quelques images sont bien plus parlantes que mes mots, je vous propose donc quelques photos pour constater de la qualité du travail effectué. Précisons également qu’un marque page est inclus dans chaque volume, et que cette édition s’achèvera en 9 tomes.
Un rapport qualité/prix encore une fois très bon pour moi, puisque pour 16 € on a un gros format avec une belle qualité d’impression et l’équivalent de deux volumes simples. De plus, l’unité éditorial entre cette édition et celle de 20th Century Boys (et de Banana Fish à en croire les images que j’ai vu sur Internet) est très appréciable.
Eden, c’est quoi ?
Passons désormais au titre en lui-même, en le resituant tout d’abord, car on est quand même face à une oeuvre assez importante dans son domaine. Eden est la première série au long cours de Hiroki Endo, après plusieurs histoires courtes. Il a débuté la prépublication de cette série fin 1997 dans le Gekkan Afternoon de l’éditeur Kodansha, alors qu’il n’était âgé que de 27 ans, et a achevé la série en 2008, après 10 ans de travail et 18 volumes.
La série est arrivée en France en 2001, chez Génération Comics, devenu ensuite Panini Manga, la publication prenant fin en 2009. Et malgré l’importance de la série, elle n’a pas connu un très grand succès chez nous, faisant qu’elle a fini par sombrer dans les limbes avant son grand retour en cette année 2021.
Hiroki Endo semble assez volubile et propose des postfaces vraiment très intéressantes à la fin des volumes, qui permettent de confirmer des choses qu’on pouvait déjà facilement percevoir à la lecture de ces deux premiers volumes, en particulier sur ses influences. Si il est impossible de ne pas penser à Akira de Katsuhiro Otomo, auquel Endo considère devoir tout, il y a aussi Neon Genesis Evangelion de Hideaki Anno qui a eu un gros impact sur lui lors de sa découverte. Et on constate un rapport à la religion et son exploitation en terme de développement d’univers et de thématiques similaire, bien que ça ne soit pas encore central selon moi dans ces premiers volumes.
Quoi qu’il en soit, les renvois à la religion sont déjà conséquents, en particulier dans certains noms très forts symboliquement (notamment Elijah), et rien que le titre du manga renvoie au Jardin d’Eden. Une métaphore qui méritera d’être poussée et éclairée par la suite, sur laquelle on reviendra peut-être au fil des volumes.
Mais c’est aussi et surtout une oeuvre d’anticipation, que je tendrai à rapprocher du postapo, sans totalement en être. Il y a malgré tout un virus qui a décimé une partie de l’humanité, sans pour autant être suffisamment meurtrier pour entraîner une extinction de masse. Cependant, l’esthétique générale du titre renvoie très clairement à ce sous genre de la science fiction par moments, notamment via des paysages où la végétation a repris ses droits.
Et si j’ai cité des influences issues de l’animation japonaise et du manga, il y a une autre oeuvre à laquelle je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la lecture de ces deux premiers volumes, le monument absolu du jeu vidéo Metal Gear Solid, de Hideo Kojima. Je ne suis pas certain pour autant qu’on puisse parler d’inspiration puisque les deux se sont développées et épanouies à la même période (Metal Gear Solid étant une saga développée de 1998 à 2015), mais les points communs sont selon moi assez nombreux, et pourraient témoigner de préoccupations dans l’air du temps.
Nous reviendrons sur ces aspects au fur et à mesure, mais voyons d’abord de quoi parle le manga.
Résumé rapide
Résumer ces deux premiers tomes est déjà assez compliqué selon moi. Le premier chapitre se déroule dans un lieu unique, où vivent deux adolescents ainsi qu’un homme adulte. Ces deux ados, Enoa et Hannah, semblent être immunisés contre le closure virus, qui décime la population humaine, contrairement à l’homme qui vit avec eux, dont le corps est en train de se détraquer. Ils vivent tous les trois dans un lieu qui semble ne pas avoir été touché par la contamination et la folie qui s’en sont suivis, évoquant déjà le fameux Jardin d’Eden. Ce lieu est en fait un complexe créé par l’homme, dans le but de préserver une petite partie de l’humanité quand l’issue de la pandémie était incertaine… évoquant également l’arche de Noé de ce fait.
Au gré de ce premier chapitre de plus de 100 pages, on a droit à quelques flashbacks qui développent le contexte global de cet univers, ainsi que le père d’Enoa. Père qu’on aura l’occasion de voir également au présent, peu de temps avant que les deux ados quittent leur lieu de vie. On apprend notamment dans ce premier chapitre que l’humanité n’aura finalement pas été décimée par le virus, bien qu’il y ait eu de nombreux morts, et que la cybernétique a fait des progrès considérables, afin de s’adapter à la dégénérescence des tissus et organes causée par la maladie.
On évoque également le Propater, une organisation internationale qui a profité de la crise pour s’assurer une mainmise sur la géopolitique mondiale, malgré des mouvements de résistance. Si tout n’est pas encore expliqué clairement, il est évident que cela aura une importance considérable pour le récit dans son ensemble.
Le récit, lui, se déroule cependant 20 ans plus tard, nous invitant à suivre Elijah, le fils d’Enoa et Hannah, qui semble vivre dans les ruines d’une ville seule avec Cherubim, le robot à intelligence artificielle qui était avec ses parents dans le complexe où ils ont grandi. Il trouvera par hasard une disquette sur une dépouille, disquette recherchée par un groupe de mercenaires qu’il sera contraint de rejoindre. C’est en gros comme cela que le récit débute, le reste des deux premiers volumes versant dans l’action, sans pour autant négliger le développement de l’intrigue et l’univers, comme nous allons le voir.
Civilisation guerrière et nouvel ordre mondial
Si j’ai tenu à resituer un peu le Propater, le virus qui a décimé une partie de la population et le nouvel ordre mondial qui semble s’être établi par la suite, avec des rapports de force particuliers, c’est parce que tout ceci me semble être le cœur du récit. Ou plutôt, cela offre un cadre riche pour développer une réflexion forte sur nos civilisations guerrières, et les civilisations en général.
Car plusieurs éléments frappent sur ce point. Déjà, la grande diversité ethnique du titre, qui tient à mettre en avant des personnages d’origines géographiques diverses, mais aussi de religions diverses (encore une fois, cela semble un élément central même s’il est trop tôt pour en percevoir la portée). Le travail sur l’univers global et les bouleversements apportés par le closure virus offrant un théâtre propice à la réflexion.
En effet, comme je l’ai précisé, on s’attendait à ce que le virus annihile l’humanité, mais finalement, environ 15% « seulement » sont morts. Cette crise a changé beaucoup de choses, mais pas forcément en bien au vu de l’univers guerrier dans lequel les personnages évoluent. À ce titre, l’auteur semble déjà mettre en avant la violence et la guerre comme des éléments constitutifs de nos civilisations et de ce qu’est l’humanité par nature.
Sur ce point, la réplique ci-dessus m’a d’ailleurs frappé. Elle met en avant l’idée selon laquelle la religion n’est finalement pas la motivation des guerres, mais que ce sont des discriminations de toutes sortes qui les créent. On sent bien dans ces premiers tomes une volonté de vraiment traiter de cette question des guerres, et de comment certains groupes états peuvent en tirer partie, comme ici le Propater.
Ainsi, le petit groupe que l’on est amené à suivre est particulièrement hétéroclite et permet de densifier l’univers de par la présence de gens très divers. Je pense à Sofia, la hackeuse dont le cerveau humain a été transféré dans un corps cybernétique, ou encore Cachua, survivante d’une civilisation sud-américaine victime d’une purification ethnique.
Toute cette bande sera victime d’une attaque des hommes du Propater, donnant lieu à la première grosse séquence d’action de la série, qui s’étend sur plusieurs centaines de pages et permet déjà d’appréhender à la fois le projet esthétique et narratif de l’auteur.
Une approche frontale de la violence
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’une fois entré dans le vif du sujet le manga est violent, voire même extrêmement violent. À l’image du monde qu’il dépeint, pas si éloigné du notre finalement. D’autant plus que l’imagerie évoque des théâtres de guerre que nous avons connu par le biais des différents médias. Et sur cette question, je pense que l’approche de la violence de l’auteur contribue au propos du titre.
Pour dire les choses simplement, Endo va proposer des images particulièrement dures, parfois perturbantes, tant la violence est élevée et montrée dans toute son horreur. Je pense en particulier à un moment qui m’a retourné dans le second volume, que je ne montrerai pas car cela reviendrait à faire une grosse révélation. Mais l’effet est là, et je pense que le mangaka a particulièrement bien géré cet aspect. Chacun et chacune a un rapport qui lui est propre à la question, mais me concernant, je trouve que nous bousculer, quitte à choquer, peut contribuer à faire passer certaines idées, et c’est le cas ici.
Pour le dire plus simplement, il y a une image particulièrement forte qui m’a marqué, et a fait que cette lecture me reste en tête, tout en poussant à la réflexion. Si le récit est résolument cyberpunk, questionnant le rapport au corps et à la chair avec ses personnages cybernétisés à l’excès, la chair en elle-même revient en force par le biais de ces images d’une violence parfois extrême, et interroge sur ce qui l’incarne.
J’entends par là que l’auteur crée une forte empathie pour des personnages qui vont être énormément malmenés physiquement, jusqu’au dégoût pour le lecteur, à l’image de ce que la guerre peut provoquer. Et c’est sur ces points que je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Metal Gear Solid. Déjà, le rapport au corps et à la cybernétique me semble similaire, tout comme les questions de civilisation guerrière et d’ordre mondial gouverné par la violence.
En cela, je rapproche beaucoup les deux séries. Or, Metal Gear Solid est surement une des œuvres les plus denses et passionnantes que je connaisse sur la question de la violence des civilisations et la façon de questionner et représenter ceci. Ainsi, en marchant dans les pas de la saga de Kojima, Eden frappe déjà fort, et suscite en moi de très grosses attentes. Ce n’est pas en deux volumes que l’on peut vraiment savoir où va aller Endo, mais on a clairement là des fondations de grande qualité, avec un univers fort, une mise en scène ultra impactante, et déjà une séquence véritablement marquante.
C’est largement suffisant pour rendre ces débuts plus qu’encourageants pour la suite, et il est évident que l’on en reparlera au fil des volumes, car on est là face à un titre qui a le potentiel d’être un jalon dans mon parcours de lecteur de manga. Vous l’aurez donc compris, c’est une lecture indispensable à mes yeux !
Ça me fait tellement plaisir de voir ton engouement pour une série qui m’avait tant marqué ado.
Malgré une petite baisse de régime vers le milieu, je l’ai toujours trouvé excellente de par ses réflexions très actuelles. En plus, j’adore la patte graphique mi-réaliste mi-futuriste de l’auteur.
Un grand titre que nous permet de redécouvrir Panini.
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Ça me fait aussi super plaisir de découvrir ce titre dans cette belle édition !
Je trouve vraiment que l’univers est fascinant et j’ai super hâte de voir les réflexions que l’auteur va développer par la suite !
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Un titre que je ne connaissais que de nom, mais qui fait partie « des classiques » que je doit absolument lire un jour.
Merci pour cette article 🙂
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De rien, merci à toi d’être passé par ici.
Moi je dois avouer qu’avant l’annonce de cette Perfect Edition, je ne connaissais même pas le titre, et je ne suis vraiment pas déçu de la découverte pour le moment !
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Il faut ajouter que face à la situation actuelle, n’importe quelle œuvre d’anticipation sortie à une date antérieure peut prendre des allures prophétiques.
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C’est clairement le cas !
J’ai le sentiment que c’est d’ailleurs quelque chose qui n’est pas rare avec les titres d’anticipation, qui ont cette capacité à imaginer des choses qui finissent par arriver, que ce soit des détails ou des choses plus importantes.
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Par exemple, dans l’album « Astérix et la Transitalique » sorti en 2017, un des participants se nomme « Coronavirus » et porte un masque.
À ce moment-là, ça ressemblait à un gag. Mais cela en a bien moins l’air maintenant 😞.
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Ah oui, j’avais vu passer cette planche en effet !
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Ce n’est pas un manga fait pour moi mais j’ai été contente de lire ton article qui était très intéressant ! En effet les thèmes semblent trouver un écho très actuel..
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Oui, tout le monde a souligné le fait que la pandémie du covid donne une résonance particulière au titre. Et dans les faits, la question du rapport à la guerre et aux conflits est encore plus dramatiquement actuelle (et elle le restera je pense toujours).
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Très bel article, bien détaillé et passionnant sur une série qui vaut vraiment le coup d’œil ! J’ajoute que cette réédition est importante car sincèrement, ayant l’ancienne version, j’ai comparé et il n’y a pas photo. Que ce soit la traduction ou bien même la qualité d’images. Dans la version de 2001, la plupart des trames avaient sauté. A l’époque, les planches originales n’étant pas numérisées, l’éditeur passait par des petites boites d’infographie pour scanner les mangas en Japonais et c’était bien souvent bâclé. Ca me frappe parce que figure toi que j’ai bossé dans une boite de ce genre durant trois ans après avoir arrêté la librairie et que le scanne des pages étaient une étape primordiale.
Voilà, c’était un peu 3615 mon ancienne vi-pro ^^. Mais du coup, je suis ravie parce que les éditions Panini rendent enfin honneur à l’œuvre majeure de ce mangaka 🙂
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Tu as bien raison de faire ce petit 3615 ma vie car c’est toujours intéressant quand une personne qui a l’expérience du milieu en parle ! Tu pourrais même développer davantage que j’en serai tout à fait ravi.
De mon côté, je ne connaissais vraiment pas le titre, même de nom, avant l’annonce de cette réédition et la claque a été grande !
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Jamais entendu parler mais ca me percute immédiatement: du Otomo, du Appleseed, des dessins nerveux, du post-apo techno et violent, MGS… obligé que ça me plaise!
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Si les références citées te parlent, en effet, ça devrait le faire ! Et en plus en 2 tomes il arrive déjà à trouver son propre style et sa voie sans donner le sentiment de véritable redite.
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Je… Je suis intriguée… J’y songe… (en plus, il se revendique de l’auteur « d’Akira »)
Juste la fin qui me met le doute vu que c’est un sujet un peu casse-gueules, je vais suivre ton avancement sur la série je pense, car 16€ le tome, ce n’est pas un investissement anodin pour moi. (20th Century Boys ? On parle d’Urasawa que je connais sivouplé)
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Oui, je comprends tout à fait compte tenu du prix et de la durée, il vaut mieux savoir dans quoi on s’engage. Surtout que là, ça m’a vraiment retourné mais cela reste très nébuleux en terme d’intrigue pour le moment. Mais je pense faire des retours au fil des tomes justement pour qu’on se fasse une idée de l’orientation de l’histoire et des thématiques.
Car en effet, on peut se permettre de se lancer dans l’inconnu avec Urasawa car le bougre est fiable, mais c’est pas le ces de tout le monde 😅
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Oui, je pense que je vais suivre tes articles !
Oui, voilà, tout à fait x)
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J’avais commencé cette série il y a quelques années avant d’être arrêté par l’impossibilité de trouver le tome 5. Selon mon libraire il était en rupture de stock et non ré-édité donc très difficile à trouver. Je suis donc ravi d’apprendre qu’il y a une nouvelle édition, je vais pouvoir poursuivre ma lecture.
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De mon côté, j’ai découvert le titre lors de l’annonce de cette réédition, et je ne regrette vraiment pas. Je trouve qu’avec ces premiers tomes on voit déjà un très fort potentiel
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