Nouvelle analyse de séquence, qui va se focaliser sur quelque chose de très court pour une fois. On revient encore sur Slam Dunk, après avoir analysé la fin du match contre Kainan, et avant d’autres analyses à venir. La raison en est simple, Inoue arrive à donner énormément de sens à son dessin et aux gestes de ses personnages, que ce soit dans les matchs ou en dehors. Ainsi, il y a énormément à analyser et décortiquer dans ce qu’il fait, quand bien même on a peu de notions du « langage » du manga. On va voir ça ensemble.
L’idée principale de l’analyse sera surtout de montrer comment le mangaka rend une action qui se déroule sur quelques pages ultra signifiante et impactante. Précisons qu’on ne peut pas parler de spoil à proprement parler en terme de storytelling, mais je dévoilerai des pages d’une beauté assez incroyable, qui méritent d’être découvertes en contexte. La séquence se déroulant dans le tome 18 de la Star Edition et dure tout le chapitre 249, soit le tome 28 de l’édition d’origine.
Contexte de la séquence
La séquence qui nous intéresse se déroule durant le match contre l’équipe de Sanno. Shohoku est en train de prendre l’eau et tous les joueurs semblent perdre espoir. C’est alors que Sakuragi intervient, étant le seul à encore y croire. Rien que cet aspect est particulièrement important concernant la caractérisation du personnage principal. Étant un peu crétin et un peu trop convaincu d’être génial, en plus d’être têtu, il est le seul à ne pas se rendre compte que le match est perdu d’avance. Et c’est précisément pour cela qu’il a le potentiel de renverser la situation à lui tout seul, ou en tout cas de rallumer l’étincelle de l’espoir chez ses équipiers.
La séquence est donc la récompense d’un build up important, mis en place depuis plusieurs chapitres, du moment où Anzai décide de mettre Sakuragi sur la touche, afin de lui faire prendre un peu de hauteur sur la situation, pour qu’il comprenne son importance dans ce moment crucial. Ainsi, Sakuragi se rend compte que ses compétences en rebond vont être essentielles, et que rien n’est perdu tant que lui sera capable de tout donner. Cela met déjà Sakuragi au centre de l’action et des enjeux, et nous met dans le mood pour accueillir comme il se doit des actions importantes.
De plus, Inoue reste totalement fidèle à la caractérisation de Sakuragi, qui reste un débutant (il est précisé qu’il ne joue que depuis 4 mois). De ce fait, dans un souci de réalisme, il ne fait pas de lui un joueur d’exception qui réussit tout ce qu’il entreprend, mais au contraire, il met toujours en avant ses carences, et le fait qu’il est capable de faire d’énormes erreurs à n’importe quel moment, ce qui renforce d’autant plus ses moments de grâce. Enfin, on sait depuis un moment que le physique pur est la qualité principale de Sakuragi, qui n’est jamais essoufflé, inébranlable, et un joueur de rebond exceptionnel.
Ainsi, tous ces éléments construits au fil du récit, ou dans les chapitres qui ont précédé, vont contribuer à rendre le moment de grâce qui arrive encore plus fou.
Analyse de la séquence
La séquence en question est d’une simplicité enfantine en terme de déroulement. On voit simplement Sakuragi effectuer une action brillante, avec rebond, passe et tir. Rien de particulier en soi, mais Inoue va rendre le tout remarquable grâce à une mise en scène d’une intelligence folle et une portée symbolique importante. Mitsui a, depuis sa reprise du basket, de gros soucis d’endurance, qui font qu’il n’arrive pas à tenir la cadence durant un match complet. Cependant, il reste un excellent shooter à trois points, mais a besoin d’être mis en confiance.
Sakuragi va se charger de cet aspect, puisque le simple fait qu’il soit présent au rebond offensif fait que Mitsui n’hésite plus à tirer, car s’il échoue, son équipier sera là pour rattraper le coup. Or, Sanno a plusieurs très grands joueurs qui sont également des bêtes en terme de rebond. Le chapitre commence donc alors que Mitsui tire à trois points, et rate son shoot, l’occasion pour Sakuragi de s’illustrer au rebond, comme il l’a fait de nombreuses fois dans la série, au détail près qu’ici, l’enjeu est de redonner confiance à l’équipe.
Je trouve déjà la page ci-contre très bien pensée en terme de mise en scène, du fait de la dernière case où on voit simplement les bras des joueurs, sans savoir de qui il s’agit. Mais c’est à la page suivante que la mise en scène va passer au stade supérieur.
Pour moi, il s’agit vraiment d’une double page, quand bien même c’est découpé en quatre cases. Car le fait que tout ceci s’enchaîne sur deux pages avec une continuité d’action, ainsi que le découpage en quatre cases est essentiel en terme de mise en scène, puisque c’est la répétition qui rend le geste de Sakuragi vraiment remarquable. Pourquoi ? Tout simplement car cela vient appuyer la performance physique du roi du rebond, qui non seulement est en duel avec les deux stars de l’équipe adverse, et arrive à les prendre de court tous les deux. De plus, la combativité totale du joueur est mise en avant, chose essentielle à ce stade du match où tous ses équipiers semblent avoir abandonné. Et la double page suivante va être aussi essentielle.
En dehors de la beauté folle de la planche qui met parfaitement en valeur le geste de Sakuragi, donnant l’impression qu’il s’envole, cette double page est fondamentale puisqu’il s’agit du moment où il récupère la possession, qui est l’enjeu majeur du chapitre (avec le fait de marquer, évidemment). J’aime tout particulièrement le visage de son adversaire, totalement abasourdi par la performance physique de Sakuragi.
Les trois pages suivantes (à regarder de gauche à droite ci-dessus) reviennent à un découpage plus classique, mais pas moins intelligent pour autant. J’aime particulièrement l’accent mis sur Anzaï, qui avait entièrement confiance en Sakuragi. Mais aussi le fait que le joueur se jette par-terre, et même au sol, fasse la passe à son équipier pour lui donner une nouvelle occasion de marquer met encore une fois en avant la combativité sans limite du joueur. Combativité qui va toucher Mitsui qui marquera ce panier déterminant. Notons également l’emphase mise sur les visages des joueurs, qui semblent dans une sorte de flottement face à la prouesse à laquelle ils assistent.
Les deux pages ci-dessus insistent sur cet aspect, montrant que la confiance de Mitsui en ses équipiers (et en particulier en Sakuragi à cet instant) le transporte et lui permet de rester d’attaque malgré sa fatigue physique. Enfin, la dernière page et ce discours sur le frisson qui parcourt les spectateurs me semble être une adresse directe au lectorat, dans le sens où on ressent le même sentiment que les spectateurs face à cette performance exceptionnelle de la part de Sakuragi. Ce qui rappelle l’enjeu majeur d’un manga sportif, qui est de nous faire ressentir le grand frisson d’un match.
Et si Inoue peut se permettre cette narration qui sur-dramatise ce moment, c’est parce qu’il est en pleine possession de ses moyens, mais aussi car arrivé à ce stade du récit, le lectorat de Slam Dunk a en principe été contaminé depuis longtemps par ce grand frisson que la performance sportive peut procurer, et qui selon moi dépasse le cadre de l’intérêt que l’on peut avoir ou non pour le sport. Car il s’agit encore et toujours de mettre en exergue les enjeux humains et relationnels qu’il y a, en même temps que la pure performance physique. C’est ainsi que Sakuragi, Mitsui mais aussi toute l’équipe de Shohoku ressort grandie de ce moment dans le match. Une simple action qui se solde par un panier, mais un moment fondamental pour ces jeunes.
Ainsi, la séquence est pour moi représentative du talent avec lequel Inoue met en scène le basket dans Slam Dunk. En mettant l’accent sur des performances physiques exceptionnelles de la part de certains joueurs (Sakuragi ici), il crée de véritables moments de grâce en terme de mise en scène, qui arrivent à donner le grand frisson aux lecteurs et lectrices, en plus de densifier l’écriture et la caractérisation des personnages. Car c’est vraiment dans l’action et dans les matchs que les joueurs évoluent et s’affirment en tant qu’équipe. Et ce passage en particulier représente parfaitement cet aspect du manga, un manga touché par la grâce d’un artiste au sommet de son art !
Cette séquence et LA fameuse double page est justement celle qui m’a frappée dans ce tome. Il y en a toujours une et c’était celle-là. J’ai beaucoup aimé la narration de l’auteur une fois de plus qui en arrive à présenter Sakuragi comme le messie de son équipe, c’était étrangement terriblement humain au-delà de toute la bravoure qu’on voit.
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Je suis justement allé voir ce que tu en disais tout à l’heure et quand tu parles du fameux rebond, je me suis dit qu’on était en phase sur ce point !
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