Parmi la quantité élevée de mangakas majeurs que je souhaite découvrir, Kazuo Kamimura est plutôt bien placé. Non seulement il est un très grand nom dans le domaine, mais en plus, il a un rayonnement qui dépasse ce simple cadre même chez nous, ayant gagné le sceau convoité de l’artiste « patrimonial », mis en avant notamment à Angoulème pour le titre dont il est question ici. Il est également très connu pour avoir dessiné le manga Lady Snowblood qui a connu une adaptation cinématographique ayant grandement inspiré Kill Bill de Tarantino. Ainsi, comme souvent, un petit jeu de ping pong culturel qui se termine avec le cinéma mainstream hollywoodien permet de remonter vers une source moins connue.
Tout ça pour dire qu’avec Le Club des Divorcés, je découvre un artiste majeur du monde du manga, décédé prématurément mais qui a quand même laissé une œuvre importante derrière lui.
Qui est Kazuo Kamimura ?
Je vais faire assez rapide ici, car ce serait mal venu de s’improviser biographe de l’auteur sur la base de la lecture d’un seul de ses titres, mais je considère quand même que le resituer rapidement n’est pas inutile. Kazuo Kamimura est un mangaka né en 1940, diplômé d’une université d’art, qui a fait du design et de la publicité en plus de son activité de mangaka. Il est mort très jeune d’un cancer, à 45 ans.
Il a été très prolifique durant sa courte carrière, dessinant jusqu’à 400 pages par mois. S’il a écrit plusieurs de ses titres, il a également collaboré avec des scénaristes notamment sur Lady Snowblood ou Les Fleurs du Mal. Il rencontre un beau succès en 1972 avec Lorsque nous vivions ensemble, publié chez nous par Kana (comme un certain nombre de ses titres), et c’est en 1974-1975 qu’il écrit et dessine Le Club des Divorcés, qui nous intéresse ici.
Pour le peu que je puisse en juger, il semblerait que les questions de féminité, d’érotisme léger et des moeurs du Japon de son époque (années 70 et 80) soient parmi ses thématiques de prédilection. Elles sont en tout cas centrales dans Le Club des Divorcés.
Resituons le manga
Après ce retour rapide sur l’auteur, il est bon de resituer ce manga en particulier. Comme je l’ai dit, il s’agit d’un titre publié entre 1974 et 1975 dans le Weekly Manga Action de l’éditeur Futabasha. Ce magazine a notamment publié Coq de Combat ou encore Lone Wold and Cub. Chez nous, il est publié chez Kana en deux volumes parus en 2015 et 2016 dans la collection Sensei, qui met en valeur dans de belles éditions des auteurs majeurs, puisque Kamimura y cotoie Otomo, Taniguchi, Tezuka, Urasawa ou encore Leiji Matsumoto.
Ce titre se focalise sur Yuko, jeune femme de 25 ans divorcée, qui tient un bar à Ginza justement nommé Le Club des Divorcés, dans le Japon des années 1970. Au gré des chapitres et des rencontres, Kamimura dresse un portrait de femme dans une période particulière de son pays, qui un siècle après avoir accepté le divorce, semble encore mettre à l’index les femmes dans cette situation.
Sans forcément connaitre en détails les composantes historiques et sociales du manga, on a au moins connaissance d’une mentalité très différente de la notre en terme de rapport aux femmes, que ce soit dans la vie maritale ou au travail. Ainsi, le simple fait de se focaliser sur une femme divorcée et propriétaire de son commerce est un geste qui a une certaine force. D’autant plus que les questions de féminité, de sexualité et du rôle de mère sont au cœur du récit.
Précisons également que le manga ne cache pas sa portée sociale, apportant souvent des données statistiques pour appuyer son propos (on se demande même si la connaissance des statistiques ne précède pas les idées narratives de l’auteur, tant les deux entrent souvent en résonance). Ainsi, que ce soit le nombre de partenaires des femmes, les raisons de divorce, le nombre de divorce au Japon ou encore d’autres données, elles sont mises en perspective au sein du récit, qui a comme fil conducteur Yuko et les difficultés liées à son statut de femme divorcée, propriétaire de bar et mère.
Mon avis sur le titre
Tout ceci contribue à nous baigner dans le Japon d’une période particulière, les années 70, mais touche finalement à des problématiques qui persistent, aussi bien dans son pays que chez nous. Les rapports de domination vis-à-vis des femmes ou encore certains tabous sur la sexualité ou la parentalité (les personnages étant très durs avec la façon dont Yuko assumes son rôle de mère, alors que le père, dramatiquement absent, n’est pas franchement accablé).
On est également parfois perturbé par des gestes que l’on pourrait penser d’un autre âge, mais qui existent malheureusement toujours, comme lorsqu’un client extrêmement malsain glisse ses mains sous le kimono de Yuko, pour toucher sa poitrine et même son sexe. Le rapport aux hommes est d’ailleurs central dans l’histoire, et encore une fois en phase avec des questionnements sociaux très actuels… plus de 40 ans après sa publication. Outre cette agression sexuelle que j’ai évoqué, le viol conjugal est questionné, sans être vraiment nommé. Cela ne veut pas dire que Kamimura met la question sous le tapis, mais plutôt qu’il arrive à l’aborder sans insister.
Et tout ceci est mis en image avec un vrai talent, et une sensibilité impressionnantes. J’avais déjà eu l’occasion de feuilleter des ouvrages de Kamimura, et si son esthétique semble ancrée dans son époque (pour le meilleur selon moi), elle conserve une grande intemporalité. Il semblerait qu’il ait cherché à faire le lien entre les représentations féminines des estampes traditionnelles et une esthétique héritée du gekiga, courant du manga orienté pour un public adulte, fortement empreint de questionnements sociaux… et cité explicitement dans son titre au détour de rencontres avec des mangakas dans le bar de Yuko.
En résulte un travail esthétique jouant avec talent sur les contrastes et sur un noir et blanc saisissant, un trait délicat réaliste mais avec ce qu’il faut de rondeur et de fantaisie, et surtout, une mise en valeur des corps féminins subtile, proposant un érotisme du meilleur goût qui permet de travailler les questions du désir et de la sexualité sans jamais toucher à quelque chose de malsain.
En conclusion
Ainsi, le titre arrive, tout en restant ancré dans son époque aussi bien dans ses thématiques que dans son esthétique, à conserver une forme de modernité sur ces deux points. Si bien que la lecture me semble toujours particulièrement intéressante, à la fois pour découvrir une œuvre importante d’un mangaka majeur mais également pour simplement passer un très bon moment de lecture.
De ce fait, on entre totalement dans ce qui est pour moi le double plaisir du manga patrimonial, qui est qu’on apprécie l’œuvre pour elle-même, mais aussi pour l’enrichissement culturel qu’elle apporte. Il me semble en effet important lorsqu’on se passionne pour un moyen d’expression, d’en connaitre certains grands auteurs, certains courants. Et sur ce point, l’œuvre de Kamimura fait partie de celles qui méritent vraiment d’être découvertes tant le mangaka a su passer les années, malgré son décès prématuré. De plus, Le Club des Divorcés impressionne encore aujourd’hui par certaines thématiques toujours en phase avec nos problématiques sociétales.
Ainsi, que ce soit pour son esthétique, sa façon de nous immerger dans le Japon des années 1970 ou son importance patrimoniale, ce manga ne peut selon moi qu’être une lecture des plus enrichissantes.
Voilà un auteur que je lis avec parcimonie car si j’adore son travail graphique, ses ambiances lourdes et dramatiques me pèsent souvent. C’est très beau mais très rude à lire.
J’ai lu pour le moment Le fleuve Shinano et Lorsque nous vivions ensemble pour le moment.
J’ai encore Maria et une femme de showa dans la ligne de mire. J’y ajoute Le club des divorcés ><
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Le Club des divorcés garde ce côté lourd et rude à lire, parce que ça aborde quand même des thématiques pas toujours joyeuses mine de rien.
J’espère pouvoir continuer à découvrir cet auteur en tout cas, notamment Lorsque nous vivions ensemble.
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Un des auteurs que je compte découvrir les prochaines années et dont ton article mon conforte dans cette idée. Comme d’habitude article super intéressant merci à toi !
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Merci à toi de passer par ici surtout !
J’espère trouver d’autres titres de l’auteur en médiathèque.
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Maheureusement pas de titres de l’auteur dans mes médiathèques… J’ai Lady Snowblood dans ma liste d’achat et ça sera je pense mon premier Kamimura
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Moi je n’ai pas encore regardé, dans celle où je travaille on a Le Club des divorcés car le responsable des BD est quelqu’un de très compétent qui fait de super choix.
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Certainement un super type!
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Il est compétent dans son travail mais ça reste un connard 🤣
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Ha Kamimura, son esthétique et ses thèmes en font pour moi, un auteur de première catégorie. C’est pas toujours simple à lire, parfois lourd mais toujours plein de sens… Perso c’est un auteur que j’aime beaucoup.
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J’espère pouvoir continuer à le découvrir via les médiathèques, sinon je consentirai à quelques achats de temps en temps.
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Il faut (Acheter et le mettre en médiathèque), Kamimura le mérite…
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Je suis pas encore convaincu… tu dirais que c’est un GOAT ou pas ?
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Le GOAT chais pas, mais chacun de ces titres c’est MASTERCLASS, y’a 0 débat, cherche pas….
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Tes arguments sont imparables ! J’en mets 3 dans la prochaine commande.
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Obligé frère, t’as vu comment le gars maîtrise?
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Trop ! Je dirai à ma responsable « vazy, valide la commande, t’es vraiment pas prête, tu verras ! »
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Avec un argumentaire de cette qualité, obligé elle valide.
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De toute façon elle est surbookée ma responsable et me fait totalement confiance, du coup je crois qu’elle regarde même pas ce que je prends en BD, elle valide direct.
Mais en même temps je fais pas de connerie et j’achète de façon raisonnée.
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Passionnant ! Je ne pense pas avoir déjà lu cet auteur auparavant mais ce manga me semble très intéressant surtout pour son aspect patrimonial. Merci pour la découverte 🙂
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De rien, c’est un plaisir !
J’ai cru comprendre quand même que Tant que nous vivions ensemble et Lady Snowblood étaient encore meilleurs, mais je ne peux pas en juger pour le moment.
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Intriguant dis donc !
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En effet, un titre que je recommande chaudement pour les curieux.ses qui ont envie de découvrir un titre plus ancien.
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En effet, le côté vintage m’intéresse surtout ^^. Ca me changera des manga récents ou presque récents ^^
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[…] médiathèque je suis tombé sur le club des divorcés j’en ai donc profité pour me lancer (l’article de l’apprenti otaku sur le titre m’ayant bien convaincu). Et c’était une sacré rentrée dans […]
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