On attaque enfin un très très gros morceau de L’Attaque des Titans, non pas que les précédents étaient petits, j’aurai même tendance à dire que toute la série n’est qu’enchainement de moments forts. Mais l’arc du Tournant Majeur amorce, comme son nom l’indique, un tournant dans la série vraiment passionnant. Si à ma première lecture c’était la partie qui m’avait le moins intéressé, notamment parce que les titans sont absents de la majeure partie de l’arc, à la relecture (et revoyure en anime), il est des plus passionnants de par certaines évolutions amorcées, que nous allons voir en détails.
Cet arc s’étend des chapitres 51 à 70 dans le manga, c’est à dire du tome 13 au 17, et des épisodes 38 à 48 de l’anime, soit la première partie de la troisième saison.
Mes articles sur les autres arcs : L’art de la bataille de Trost – L’arc du Titan Féminin – L’arc du Choc des Titans –
Comme d’habitude avec les articles qui reviennent sur des arcs complets, ça va spoiler sec, soyez prévenu.e.s. De même, il vaut mieux connaitre les événements pour comprendre de quoi il est question, car je ne suis pas doué pour synthétiser tout ce qui se passe, je pars donc du principe que vous avez connaissance des tenants et aboutissants de l’arc, afin de gagner du temps et de rendre l’article moins lourd à la lecture.
Un arc plus politique
L’arc du tournant majeur s’organise autour d’un coup d’état militaire, où le bataillon d’exploration mené par Erwin va prendre en mains les choses, voyant que le pouvoir en place est fantoche et que la vie à l’intérieur des murs est en fait gouvernée en sous main par la famille Reiss. C’est pour cela qu’on s’est longuement focalisé sur Christa/Historia dans l’arc précédent, qui va avoir un rôle important ici. On apprend notamment que les Reiss ont le pouvoir d’effacer la mémoire des gens et qu’ils l’ont fait pour préserver les secrets de ce monde, secrets qui trouveront peut-être une réponse dans la cave de Grisha Jaeger. Ceci permet de rappeler un des enjeux de taille du récit, qui trouvera sa résolution dans le prochain arc.
On apprend également que seuls les Ackerman et les asiatiques résistent à l’effacement de mémoire, et sont donc des individus potentiellement dangereux pour le pouvoir en place. Et comme si ce n’était pas assez dense comme ça, on va en approche beaucoup sur Livaï, et on aura l’occasion d’assister à un basculement important en terme de rapport à la violence, ce qui sera le premier point que j’évoquerai.
L’humanité qui s’entretue
J’en avais un peu parlé au fil des arcs abordés, j’ai le sentiment que dans cette première partie de l’œuvre (qui va jusqu’au tome 21, moment où on quittera un peu l’enceinte des murs pour prendre de la perspective sur l’univers de la série dans son ensemble), Isayama s’amuse à complexifier au fur et à mesure le rapport de force. Si on commence avec les Titans comme ennemis clairement identifiés, forme de vie qui semble totalement déshumanisée, on évolue en découvrant que certains humains se transforment en Titans, personnifiant une partie de la menace, avant de prendre conscience que les Titans seraient finalement tous des humains.
Ainsi, comme le fait remarquer un personnage, les monstres qu’ils pensaient tuer sont en fait leurs semblables, une façon de mettre en avant le rapport de force dans toute guerre, où ce sont des hommes qui tuent d’autres hommes. Mais là encore, comme ils ont été transformés en Titans, il n’y a pas le choix, et il faut malheureusement se résoudre à les tuer.
Et l’arc du tournant majeur va rendre ceci encore plus complexe, puisque durant la quasi-totalité de l’arc, les membres du bataillon d’exploration vont affronter d’autres humains, eux aussi équipés de harnais de manœuvre tridimensionnels, au détail près qu’ils n’utilisent pas d’épées mais des pistolets, pensés pour tuer des humains.
Ainsi, une grosse partie de l’arc va traiter de ce basculement dans la violence, créant une nouvelle façon d’appréhender ce monde où l’humanité semble finalement vouée à se détruire elle-même. Les personnages seront tous ébranlés par cette nouvelle donne, en particulier Armin et Jean (c’est en faisant des recherches que je me suis rendu compte que la première victime d’Armin est humaine, et non Titan). Livaï va mieux le vivre car on apprendra ce qu’il a vécu dans son enfance, qui a contribué à en faire une personne si dure et froide, et Mikasa, comme à son habitude, semble ne pas trop se poser de question, trop obsédée par l’idée de sauver Eren.
Au milieu de tout ce tumulte, un individu va représenter cette violence et cette bestialité dont l’humanité fait preuve contre elle-même. Un personnage très secondaire, qui n’aura de rôle que dans cet arc mais qui se révèle pourtant marquant : Kenny Ackerman, l’oncle de Livaï.
Kenny Ackerman, un personnage passionnant
Nous allons en effet rencontrer Kenny Ackerman dans cet arc, qui en sera la figure d’antagoniste majeure, qui pour la première fois ne sera pas un titan. On aura quand même droit à un affrontement avec un titan particulièrement impressionnant pour clôturer l’arc en beauté, mais c’est tout.
Tout d’abord, j’aime beaucoup la façon dont il est introduit, comme une figure de sadisme pur, à la dégaine rappelant furieusement le western. Kenny est un tueur qui n’a pas l’air d’avoir beaucoup de sentiments, et qui se fiche pas mal des questions morales. Même avec Livaï, qui était pourtant son neveu, on voit qu’il n’a pas cherché à développer de relation proche (il ne lui a d’ailleurs précisé qu’avant de mourir qu’ils étaient de la même famille), et il n’a vraisemblablement aucun soucis à essayer de le tuer. La relation et l’affrontement entre les deux est d’ailleurs un des éléments au cœur de l’arc, pour le plus grand bonheur du fanclub féminin de Livaï (et finalement pas que féminin, car je l’aime aussi beaucoup je dois dire).
Un élément intéressant chez lui vient également du fait que, en tant que mercenaire, il ne fait partie d’aucun camp, si bien qu’on apprend qu’il a tué pas mal de camarades des membres des brigades spéciales qui sont sous ses ordres durant cet arc, comme une façon de mettre en exergue le fait que les camps peuvent facilement changer et que la notion d’allié ou d’adversaire est des plus floues… Chose qui sera encore plus évidente par la suite.
Mais surtout, ce sont les motivations de Kenny que je trouve intéressantes. Le personnage a conscience d’être une ordure de la pire espèce, et on ne comprend pas bien pourquoi il oeuvre pour les Reiss jusqu’à ce que, à l’article de la mort, il se dévoile auprès de Livaï. Il explique qu’il travaille pour la famille Reiss depuis sa rencontre avec Uli, un ancien porteur du Titan Originel à la vision du monde totalement différente de la sienne.
Ce que je trouve intéressant dans cette relation, c’est la forte connotation religieuse qui en découle. Uli étant semblable à une figure Christique capable d’éprouver de la compassion et le pardon pour tous, et qui se lie finalement d’amitié avec Kenny qui semble pourtant son parfait opposé. Or, Kenny admirait Uli pour cela, et souhaitait s’emparer de son pouvoir afin de voir si un homme comme lui pouvait aussi se transformer en une figure si bienveillante, Uli ayant eu pour objectif dans sa vie de créer un paradis pour les humains.
Ainsi, cela offre une complexité et une densité vraiment bienvenue au personnage de Kenny, le rendant bien plus humain pour nous. De plus, toutes les thématiques que sous tend la relation entre les deux hommes contribuent vraiment à enrichir le récit, et je me demande même s’il n’y aurait pas là-dessous une forme de miroir du personnage d’Eren… À méditer.
L’effacement de la mémoire des hommes
Je vais aller très vite sur ce point, bien qu’il soit central, car j’ai déjà écrit un article entier consacré à la question. Et mes connaissances sur les sujets que cette idée évoquent sont trop limitées pour que je puisse développer une réflexion des plus pertinentes.
Mais mon idées est la suivante : la question de la mémoire de l’humanité effacée renvoie au fait que le Japon mette sous le tapis certains épisodes peu glorieux de son histoire récente, notamment concernant les exactions commises durant la seconde guerre mondiale. Ainsi, l’idée d’effacer la mémoire collective et de modifier l’histoire officielle dans L’Attaque des Titans me semble un moyen de proposer une réflexion sur les conséquences de ceci, puisqu’une partie de l’histoire du manga tourne autour du fait de savoir la vérité sur ce monde dans lequel les personnages vivent, mais aussi comprendre la nature des conflits en cours, qui sont fortement liés à des événements dont les personnages n’ont même pas connaissance.
Ainsi, le manga semble nous dire que la méconnaissance de certains faits historiques est d’un côté un moyen pour le pouvoir en place de gouverner les individus, mais aussi un risque de voir les erreurs du passé se répéter, et de ne pas comprendre les raisons pour lesquelles le monde se fait la guerre.
Ce qui est certain, c’est que ce ressort dramatique fonctionne très bien dans le récit, et est incarné par le personnage d’Erwin et son obsession de connaitre la vérité, depuis que son père est mort pour avoir remis en question l’histoire officielle. Un bon moyen d’étoffer à la fois l’univers de la série, ses enjeux, mais aussi un de ses personnages emblématiques. Ainsi, en plus de la portée métaphorique de la chose, c’est surtout un sacré tour de force narratif selon moi.
Propagande et voix du peuple
Il y a un sujet souvent compliqué à aborder avec les œuvres brillantes et réellement au-dessus du lot, comme L’Attaque des Titans, c’est les points qui sont moins réussis et moins soignés. Souvent, ces titres déchaînent tellement les passions qu’on peut avoir du mal d’accepter une remise en question des défauts. Or, il n’y a pas de raison à ce que ces séries aient un passe droit, et il faut le dire quand des éléments sont moins réussis. D’autant plus qu’ils n’entachent pas forcément la réussite globale de l’entreprise.
Et en l’occurrence, toute la partie sur la propagande et le côté « voix du peuple » qui demande la vérité et se rebelle contre le pouvoir en place est quand même assez simpliste. Je pense que ça aurait mérité un traitement plus dense, pour vraiment entrer dans la profondeur des choses.
Car ici, ça se résume à mettre en avant l’importance de la presse et des réseaux officiels d’information dans la manipulation des foules, et on voit un artisan plus vertueux se lever contre la corruption des forces de l’ordre, permettant de confondre tout ce petit monde… L’idée est sympa, mais c’est vraiment trop bateau je trouve, même si le développement du personnage de Flegel (le fameux artisan) est vraiment réussi. Et je comprends également la logique derrière, qui contribue à développer un peu la vie au sein des murs, ce qui est déjà une très belle chose.
En conclusion
Ainsi, si cet arc du tournant majeur n’est pas parfait à tous les niveaux (il y a aussi le basculement de personnages secondaires dans le groupe des protagonistes qui est particulièrement brutal et sonne vraiment faux), il n’en reste pas moins très ambitieux, et paye parfois le prix de ces ambitions. Mais il reste globalement particulièrement bien mené, et surtout passionnant à la fois dans les révélations qu’il fait et dans le discours qu’il permet de développer.
Je n’ai pas abordé la fin de cet arc, plus explosive, où Rhodes Reiss revient sous la forme d’un énorme titan immonde, tout simplement car elle est surtout là pour l’impératif d’action impressionnante. Ce qui est vraiment intéressant dans ce passage, c’est surtout le développement d’Historia, et sa volonté de prendre en mains son destin en tournant le dos à l’héritage familial lourd en tuant son père. Ceci se doublant d’un objectif de « manipulation » du peuple finalement assez similaire à ce que faisait le pouvoir en place. Le but étant de mettre en avant Historia comme la sauveuse de l’humanité face à ce titan. Il était même prévu que Erwin mente en disant qu’Historia avait tué le titan, afin d’asseoir sa légitimité en tant que reine.
Encore une fois, ça fait partie des belles idées mises en avant de façon assez peu subtiles, mais ça fonctionne vraiment bien, d’autant plus que ça rejoint une forme d’ambiguïté morale chère à la série, car bien que leur but soit vertueux, on voit que les membres du bataillon d’exploration n’hésitent pas à utiliser les mêmes techniques que leurs adversaires.
Quoi qu’il en soit, cet arc porte bien son nom de tournant majeur, car il est effectivement un tournant dans le monde au sein des murs, mais aussi dans l’esprit des personnages, qui se salissent toujours un peu plus les mains et passent à un nouveau stade dans le rapport à la violence et à l’ennemi. Et la prise de conscience de l’existence de secrets autour de ce monde rend la cave de Grisha Jaeger d’autant plus importante, en faisant l’enjeu central de l’arc suivant, l’arc d’anthologie du Retour à Shiganshina, où les antagonismes en place vont exploser pour de bon.
Comme on m’a dit qu’il était excellent, il faudrait que je me penche sur cet anime…
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Je t’y encourage vivement, en plus il touche à sa fin et il est sur Netflix.
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Je sais bien. J’ai fait une émission sur le meilleur manga, et SNK est arrivé 1er.
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Ah, aurais-tu un lien vers cette émission ?
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Tu peux aller sur la chaîne Twitch twitch.tv/zanpil. Nous avons fait cette émission samedi dernier. Tu peux regarder dans la rubrique vidéo.
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Cool, merci beaucoup ! je vais profiter de ma pause pour regarder au moins une partie.
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La première heure c’est le débat sur le meilleur manga. La dernière demi heure, c’est sur les sorties manga et anime du moment.
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Yes, je suis en train de regarder 😉
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My favorite 🤩
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Ton favorite arc ou Kenny ton favorite fdp ?
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Euh…. Kenny ne me parle pas forcément du tout
Donc c’est l’arc !
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Pour le coup, j’aime beaucoup les deux.
Même si il y a de sacrés scories dans l’écriture par moment, je trouve cet arc passionnant.
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Ouais les grosses scories là, je me le dit tout le temps en plus
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En revoyant en anime récemment, je me suis dit que ça passe, mais quand même ça manque de profondeur sur ces points. Mais bon, je pardonne Hajime car une fois que Reiner revient, il ressort la méga artillerie.
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Il y a toujours moyen de faire plus oui
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Je suis fan de l’anime et je vais pas tarder à commencer les mangas, ta chronique est vraiment complète, je vais aller lire les autres 😊
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Merci beaucoup, je fais de mon mieux, et je pense qu’au final je zappe beaucoup de choses, mais je me focalise sur ce qui me marque personnellement.
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S’il fallait parler de tout tu auras des chroniques de la taille du Robert je crois 😂
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Aurais*
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C’est sur. Les gros articles, des fois je les mets sur word pour avoir une idée du nombre de pages. Pour le moment le record c’est celui sur les Kimera Ants de Hunter x Hunter qui fait presque 20 pages.
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Voilà un très bon article qui revient sur les forces, mais aussi les faiblesses de cet arc.
J’ai un ami qui a failli arrêter sa lecture à ce passage et je suis bien heureux de l’avoir poussé à continuer.
C’est une très bonne idée de revenir sur les qualités de tel ou tel manga en se focalisant sur un seul de ses arcs, d’autant que certaines oeuvres s’y prêtent particulièrement, à l’instar de « Jojo’s Bizarre Adventure » ou encore « Hunter X Hunter ».
Pour en revenir à « L’Attaque des Titans », j’ai essayé pour ma part de produire une critique globale de l’oeuvre, mais elle revenait finalement surtout à traiter des arcs faisant suite au point de bascule marqué par la fin du segment consacré à la reprise de Shiganshina.
https://www.senscritique.com/bd/L_Attaque_des_Titans/critique/129957234
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Merci beaucoup pour le lien, je vais aller voir ça dès que possible.
Pour certains mangas, je préfère en effet procéder arc par arc, et je le fais justement pour Jojo et Hunter, qui sont deux mangas que je lisais à chaque fois un arc d’une traite justement, pour mieux segmenter ma lecture. Et comme ils ont vraiment des enjeux et ambiances propres à chaque arc, ça fonctionne bien.
Au final pour L’Attaque des Titans, je n’arriverai pas à traiter de chaque arc avant la fin de la série dans une semaine, mais je ferai quand même rapidement mon article sur la fin je pense.
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C’est gentil, merci. N’hésite pas à y jeter un oeil et me dire ce que tu en auras pensé. 😉
Je suis bien d’accord concernant ce que tu dis vis-à-vis de « Jojo’s Bizarre Adventure » et « Hunter X Hunter ».
Pour le premier, c’est encore plus évident dans la mesure où on suit des personnages différents à des époques diverses et variées, avec à chaque fois leurs propres enjeux (outre une volonté évidente de vouloir rendre hommage à un genre cinématographique précis).
Même si Togashi conserve de son côté un certain fil conducteur, les ambiances changent radicalement d’un arc à l’autre. Mon préféré est clairement « York Shin City », suivi de près par les « Fourmis Chimères » (quoique ce dernier puisse être limite divisé en deux parties, avec une première un cran en dessous).
Je vois. Mais ce que tu as fait ici en revenant sur les trois gros premiers arcs du manga d’Isayama est déjà pas mal du tout. 🙂
Maintenant, je suis vraiment curieux de voir comment va l’auteur va s’y prendre pour conclure, car ça me semble très compliqué rien qu’avec un seul chapitre.
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Clairement, pour ce qui est du dernier chapitre, je suis vraiment très curieux. C’est bien la première fois qu’à un chapitre de la fin je continue de me demander comment tout ça va se conclure !
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