Dans mes articles qui abordent des personnages en particulier, j’aime m’intéresser à l’évolution du personnage au fil du récit, et à ce que cette évolution nous dit. C’est plus facile pour l’analyse dans un premier temps, car ça permet d’aborder le personnage de façon linéaire, et surtout, ça me semble logique par rapport aux mécanismes classiques d’écriture de personnages dans la fiction.
En effet, une des bases de l’écriture est de faire évoluer les personnages afin de les rendre intéressants, et l’écrasante majorité des personnages en fiction sont dans ce cas là. Mais on trouve aussi des personnages qui n’ont pas d’évolution particulière, souvent car ils sont déjà arrivés au bout de leur parcours dans les œuvres en question (je pense aux vieux sages qui sont souvent arrivés au bout de leur évolution, et qui de ce fait sont plutôt des personnages secondaires). Et pour moi, Riku Kurita, le héros de Prisonnier Riku est de ceux-là.
Mais le fait qu’un personnage n’évolue pas ne veut pas dire qu’il n’est pas intéressant pour autant. Et c’est justement le cas avec Riku, qui est un personnage dont les valeurs et la vision restent la même durant toute l’histoire. Et c’est au contraire cette absence de changement dans sa vision des choses qui caractérise le mieux le personnage, et qui influe sur l’évolution de ses camarades (car eux, ont pour la plupart une réelle évolution). De ce fait, aborder le personnage de Riku et son rapport au monde conjointement à celui de Renoma, le deuxième personnage le plus important de la série, n’est pas une mauvaise idée, car elle permet d’enrichir les thématiques soulevées.
Voyons donc, cette fois-ci sans revenir linéairement sur les événements du manga (et sans révélation majeure, je crois que la seule révélation que je fais se situe dans le tome 2), en quoi Riku et Renoma sont des personnages passionnants, et quelles sont les valeurs qu’ils transmettent.
Deux enfants aux figures parentales opposées
Prisonnier Riku est un manga qui met énormément en avant l’importance du vécu dans ce qui définit une personne, comme toute fiction me direz-vous, mais à la différence de beaucoup, je trouve que son travail sur les personnages est bien plus proche de la réalité. En partie car les éléments qui contribuent à façonner ses personnages sont plus terre à terre que ce qu’on voit habituellement dans le shonen nekketsu, mais aussi parce que l’écriture de tout cela est simplement bien plus dense, réaliste et crédible. Je mets ça sur le compte de l’expérience de la vie, Shinobu Seguchi avait déjà plus de 30 ans quand il a commencé sa série alors qu’un des éléments récurrents des nekketsu à succès est que leurs auteurs sont souvent très jeunes.
Et si dans beaucoup de nekketsu, il y a une obsession presque maladive dans le fait de chercher des justifications aux comportements de tous les antagonistes (Naruto est un exemple parfait sur ce point), Prisonnier Riku se démarque par son traitement de la question. La causalité psychologique est au cœur de son travail sur les personnages, et s’il y a un message qui est clair très rapidement dans le récit, c’est que personne n’est mauvais par plaisir et que cela découle d’une éducation et d’un vécu particulier. En cela, il pointe clairement du doigt les adultes qui sont responsables de l’évolution positive des enfants, pour en faire des individus épanouis et bons.
C’est un élément central du récit, et si les co-détenus de Riku sont comme lui des enfants (plus âgés, la plupart ayant aux environs de 17-18 ans), les figures parentales que chacun a connu a eu une importance fondamentale sur son développement.
Concernant Riku, il a beau avoir grandi dans la misère du bidonville, il a eu la chance de trouver un vieux policier pour le prendre en charge, appelant ce dernier Papy tant il est la seule figure parentale de l’enfant. Cet homme est le rayon de soleil du jeune garçon, et sa boussole morale. C’est pour cela que le récit nous offrira de temps en temps des flash-back développant la relation entre les deux afin que l’on comprenne d’où vient la bonté et la droiture de Riku, lui qui a pourtant vécu dans un monde de misère et d’injustice. Papy est donc une figure idéale d’adulte, altruiste et refusant l’injustice et la corruption de ce monde, ce qui l’amènera à la mort.
De son côté, Riku sera incarcéré sur l’île du Paradis pour le meurtre de son Papy, qu’il n’a évidemment pas commis. On apprendra au fur et à mesure qui est Kidoin, le préfet de police qui a assassiné son papy, et pour quelles raisons il l’a tué.
Mais à ce stade (c’est à dire dans le premier tome), on comprend que Riku est un enfant aux valeurs très pures, altruiste et ayant un fort sens de la justice. Et l’incarcération dans une prison particulièrement violente, auprès de détenus agressifs et infiniment plus grands et forts que lui devrait le briser physiquement et mentalement. Et c’est justement le fait que cela n’arrivera pas qui est intéressant.
Car de l’autre côté, Renoma a une construction en miroir inversé, jusque dans son physique. Il est une montagne de muscles deux fois plus grand que Riku, au regard dur. Mais surtout, il semble prendre un malin plaisir à malmener ses co-détenus, et est surtout particulièrement énervé par Riku dans les deux premiers tomes, voyant cet enfant si altruiste dans ce monde pourtant pourri.
On apprend rapidement que Renoma a grandi également dans le bidonville, orphelin tout comme Riku, aux côtés d’un homme relativement âgé en qui il avait toute confiance. Cependant, contrairement au Papy de Riku, cet homme a trahi la confiance de Renoma, lui faisant croire qu’il recueillait les enfants afin de leur trouver une famille alors qu’il les vend pour en faire le commerce des organes. Découvrant ceci, Renoma va assassiner cet homme et finira par devenir le boss d’un gang, le Double Dragon Cross.
L’idée est simple et montre que deux enfants au vécu similaire au départ ont évolué de façon totalement opposées du fait que les figures d’adultes qui les ont pris en charge étaient également opposés. Ainsi, Riku qui a eu un modèle positif est un enfant bon alors que Renoma a grandi dans un cadre qui l’a convaincu que l’on ne peut se fier aux adultes, et que le monde est tellement pourri que la violence n’est que la seule échappatoire.
Le refus de se laisser corrompre par la haine
Ceci est fondamentale car cela explique la différence majeure entre Riku et Renoma. Riku arrive à ne pas reprocher aux autres les choses, ni à céder au défaitisme, considérant toujours qu’il est possible d’améliorer la situation et de s’extraire de cette vie. Renoma, de son côté, est porteur d’une colère qui le consume et qui le rend violent vis-à-vis de tout le monde. Mais Riku est celui qui va amener le changement chez son camarade et frère de sang, devenant sa boussole morale et son espoir dans ce monde corrompu.
Et cette bonté et ce refus de la haine vont infuser sur tous ses co-détenus, comme le montre très bien la séquence symbolique où son camarade Amano se casse le bras volontairement pour partager la douleur de Riku lors d’une confrontation contre bien plus fort que lui (pour défendre ses amis, car il se bat pour les autres avant tout). Chacun dans ce microcosme de la prison a des raisons d’être violent et haineux, Riku y compris. Il a toujours vécu dans la misère et la seule personne importante dans sa vie lui a été retirée par un homme corrompu qui l’a abattu sous ses yeux, et lui a fait porter le chapeau.
Mais alors que les autres cèdent à cette colère et cette violence, Riku la rejette et considère que non seulement rien ne justifie que l’on s’en prenne aux autres, mais aussi que l’on ne peut pas rejeter sur les autres la responsabilité de ses problèmes. C’est d’autant plus fort que Riku a toutes les raisons d’en vouloir au monde, mais il conserve ses principes et refuse encore et toujours de céder à la haine.
C’est en cela que je considère que le personnage n’évolue pas. Il reste droit et fidèle à ses valeurs et c’est justement tout l’intérêt du personnage, et c’est sur ce point qu’il est porteur du message et des valeurs du récit. S’il avait une évolution, elle ne pourrait pas être positive puisqu’il est dès le début totalement vertueux. Et le but est justement de montrer en quoi le côté lumineux du personnage va changer petit à petit les autres, Renoma en particulier qui est son alter-ego dans le récit.
C’est également pour cela que la question de ne pas tuer est fondamentale dans Prisonnier Riku. Il s’agit d’un trope bien connu du shonen nekketsu, encore une fois, tellement connu qu’on ne cherche pas à l’expliquer. Mais si on y regarde bien, les auteurs font majoritairement en sorte que le héros ne tue pas ses adversaires, ou le plus rarement possible, idéalement lorsqu’il n’a plus aucune autre option. Les mangakas préfèrent d’ailleurs souvent laisser des personnages secondaires se salir les mains.
Ici, par le biais du personnage de Riku, le meurtre devient une option inenvisageable, et ce quelle que soit la situation. Il s’agit d’ailleurs d’un des termes non négociables dans l’accord conclu avec Renoma, qui s’engage à ne plus jamais tuer personne. Ça ne l’empêchera pas de se battre, bien évidemment, mais le meurtre devient proscrit. Et cet aspect n’est pas anodin car il contribue à faire de Riku la boussole morale de ses camarades, ce qui expliquera que, bien qu’il soit le plus faible physique de la bande, en deviendra le chef.
Tous ses camarades ont compris qu’il a une force de caractère largement supérieure à tous les autres, qui lui permet de conserver toute son empathie et son humanité en dépit des événements qu’il vit, et c’est précisément cela dont ses amis ont besoin dans ce monde.
De l’autre côté, je trouve le traitement de Renoma vis-à-vis de la colère qu’il porte en lui particulièrement intéressant et réussi. On voit bien qu’il a beaucoup de mal à la gérer, et qu’il est une personne violente car il n’a finalement connu que ça. C’est notamment pour ça qu’il a souvent tendance à frapper Riku, parfois brutalement, mais que ce dernier ne lui en tient pas rigueur car il semble avoir compris que c’était sa façon de faire ressortir le trop plein d’émotions qu’il a en lui. Ce qui ne l’empêche pas d’être une personne tournée vers les autres et qui a à cœur de protéger les siens.
La colère que ressent Renoma vis-à-vis des adultes est également mise en avant dans sa relation avec le troisième personnage le plus important de l’histoire, Tanaka, l’adulte de la bande et figure très importante pour Riku et Renoma. En effet, alors que notre jeune héros lui fera confiance tout de suite, Renoma refuse dans un premier temps de l’associer à leur projet précisément car c’est un adulte, soit une personne qui ne peut être que mauvaise pour lui. Mais il se laissera convaincre que ce n’est pas le cas parce que Tanaka partage leur souffrance et leur colère vis-à-vis de ce monde, qui se manifeste notamment par des scarifications qu’il a sur tout le corps.
Le rapport aux adultes et à comment certains tendent une main à ces enfants et central dans le manga. J’ai tenté de le montrer à travers les personnages de Riku et Renoma, qui sont ceux qui représentent le mieux cet aspect, mais c’est également vrai pour Eda par exemple, qui a connu une figure maternelle qui l’a aidé dans le bidonville.
En conclusion
Ainsi, si on peut analyser les personnages du manga, et ce duo en particulier, sous plusieurs prismes différents, celui de l’enfance face au monde qui l’entoure, et de la violence à laquelle elle est confrontée, me semble tout à fait pertinente, d’autant plus qu’elle est porteuse d’une grande force émotionnelle. J’ai évoqué le Papy de Riku, qui, bien qu’il meurt dans le premier chapitre, est une figure fondamentale du récit. On le retrouve à intervalles réguliers dans des flashback, et son rôle dans l’histoire va être bien plus important que ce que l’on pense arrivé à un certain stade.
Mais il est surtout et avant tout cette figure qui rappelle la responsabilité que l’on a en tant qu’adulte vis-à-vis des enfants, qu’ils soient nos enfants ou non. Car on participe à leur construction et à faire d’eux ce qu’ils sont. Renoma montre qu’un enfant qui grandit dans la violence a toutes les chances de reproduire cette violence et d’en souffrir, alors qu’un enfant qui a trouvé quelqu’un pour prendre soin de lui comme Riku pourra réussir à trouver cette étincelle lui permettant d’être une bonne personne malgré le monde dans lequel elle vit.
J’ai déjà eu l’occasion d’en parler plusieurs fois sur le blog, mais le postulat science-fictionnel du titre, avec sa météorite qui a chuté sur Tokyo, créant un bidonville dans la cité, séparant les miséreux des riches via un immense mur, n’empêche pas le titre de parler de notre réalité avec une grande acuité et une grande sensibilité. J’ai essayé de retranscrire une fois de plus ici la force émotionnelle et les vertus morales de la série, en me focalisant sur ses deux personnages principaux qui, selon moi, représentent une partie du discours de l’oeuvre, tournée vers l’enfance et sa préservation.
Mais le manga nous dit aussi que la colère est quelque chose de normal, et nous apprend à être en phase avec nos émotions, en particulier le sentiment de révolte que l’on peut avoir par rapport à notre monde. Et avec le modèle que Riku et Renoma proposent, il peut nous aider à gérer ces émotions fortes, et cette colère constante et légitime que l’on peut avoir. Personnellement, je n’arrive pas à me départir de ma colère, mais Prisonnier Riku m’aide à la gérer et à vivre avec, ce n’est pas toujours facile, mais je pense vraiment que ce genre d’oeuvre peut nous accompagner et nous aider à aller mieux. Et je vous souhaite, si vous connaissez des émotions similaires, que ce soit aussi votre cas.
J’espère sincèrement avoir réussi à vous intéresser à ce manga si particulier à mes yeux, et si précieux dans ce qu’il transmet? Et je souhaite encore et toujours qu’il continue de toucher davantage de gens, car ce genre d’oeuvre peut nous aider à remettre en question certaines choses dans le monde dans lequel on vit.
Très bel article d’analyse, bravo ! C’était passionnant à lire alors même que je ne lis pas ce titre.
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J’en suis ravi dans ce cas, un grand merci à toi !
Par contre pas merci de ne pas lire Prisonnier Riku !
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Haha je n’aime pas les histoires qui se déroulent dans une prison. Je me doute que y’a plus que ça mais ça me bloque donc voilà. Puis le dessin ne me branche pas trop ! Autant éviter qu’une œuvre de plus nous sépare 😁
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Mouais, dit comme ça, on dirait presque une sage décision. Mais je sais que c’est juste pour noyer le poisson !
Jusqu’à ma mort je dirai que Prisonnier Riku est LE manga à lire entre tous. Sauf si un jour j’en trouve un que je préfère encore.
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C’est pas parce que tu le dis que ça en fait une vérité absolue 😛 Mais je veux bien croire que ça l’est pour toi !
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Oui, tu as bien compris, en effet pour moi c’est le top du top, mais je dois me faire à l’idée que mon point de vue reste mon point de vue et qu’on a pas forcement à le partager. Même si ça fait parfois saigner mon cœur 🤣
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