L’exercice de l’analyse de séquence me plait toujours autant, car il permet de mettre en exergue des moments marquants dans les œuvres, qui peuvent apporter toutes sortes d’éclairages sur ces dernières. Que ce soit le fait de mettre en avant une thématique spécifique liée au titre, un aspect en particulier de celui-ci ou du travail de l’auteur… n’importe quelle façon d’appréhender cet exercice me semble pertinente, tant que l’on a une idée précise de ce qu’on souhaite transmettre.
Personnellement, pour choisir les séquences, cela vient bien souvent instinctivement chez moi, lors de la lecture. Et dernièrement, durant ma découverte du manga Subaru, je suis tombé sur une séquence qui a eu une résonance immédiate de par ce qu’elle raconte, si bien que j’ai eu envie de partager avec vous une petite interprétation de celle-ci.
Resituons la séquence
Subaru n’étant pas parmi les mangas les plus connus, la faute notamment au fait que la série soit laissée à l’abandon par Delcourt qui ne les réimprime pas, et qui ne juge visiblement pas utile non plus de publier la seconde partie de l’histoire, il n’est pas inutile de resituer grossièrement la série, en plus du contexte de la séquence.
Pour faire simple, nous suivons la jeune Subaru, qui danse depuis son enfance pour une raison que je vous laisse découvrir mais qu’on apprend dès le premier chapitre. Après avoir suivi des années de cours, elle remporte un concours prestigieux vers 16 ans, et plutôt que de profiter de la bourse qui lui est offerte, décide de rejoindre une troupe aux États-Unis afin de se lancer directement dans la vie professionnelle. Le soucis est que la troupe en question n’a aucun contrat, et ne fait aucune représentation. Jusqu’au jour où une possibilité de danser gratuitement en prison pour des détenus s’offre aux membres, qui sautent sur l’occasion plutôt que de ne jamais se représenter.
De ce fait, la séquence présente plusieurs enjeux : il s’agit de la première représentation officielle de Subaru et sa nouvelle troupe, et il s’agit également pour eux d’enfin se remettre un pied à l’étrier. Autre enjeu important, danser devant un public qui n’a pas d’intérêt envers le ballet. Et c’est justement de là que va découler toute la pertinence de la séquence, et c’est cet aspect et l’idée qui est transmise que nous allons analyser ensemble.
Analyse de la séquence
Pour pouvoir développer mon idée, je vais tout d’abord résumer de façon synthétique ce qui se passe dans cette séquence. La troupe joue une représentation de Don Quichotte aux détenus, Subaru tenant le rôle principal. Et alors que les détenus s’intéressent assez peu à la représentation, ils vont d’abord être attirés par le corps de la jeune femme, forcément, entre mecs en prison, on se rince l’œil comme on peu, pour ensuite être happés par sa prestation pour finalement ressentir une vraie connexion émotionnelle avec le spectacle, qui amènera finalement à une émeute.
Mais ce qui est intéressant ici, c’est que l’on partage les points de vue de plusieurs personnages. Celui de Subaru, celui de Zack, le boss et metteur en scène de la compagnie, et celui d’un détenu en particulier, ancien mafieux qui semble avoir une acuité particulière concernant le ballet. Cette multiplication des points de vue permet de saisir les différents enjeux qui se jouent dans la séquence, et surtout de nourrir le cœur du message.
La première idée importante de la séquence est que le ballet est un art qui est considéré comme destiné à un public d’initiés. Or, les détenus n’en font clairement pas partie. Ils n’ont pas les codes pour « comprendre » ce qui se joue sur scène et apprécier réellement ce qu’ils ont sous les yeux, d’autant plus que ce spectacle leur est imposé. Cependant, le but de Zack, Subaru et de toute la compagnie, et d’amener les détenus à une compréhension intuitive des enjeux du ballet, et ce en faisant appel à leurs émotions.
Ainsi, Subaru adapte sa danse afin de parler aux détenus à un niveau émotionnel, ce qui fonctionne et permet de les faire entrer dans le spectacle. Ensuite, le reste de la trouve se met au diapason, une fois l’attention des détenus obtenue, afin de leur faire passer le message de cette version de Don Quichotte. C’est ainsi que les détenus arrivent, sans vraiment pouvoir l’expliquer, à comprendre ce qui se joue dans cette histoire, alors qu’ils n’ont aucune connaissance préalable, et alors même qu’ils n’avaient pas conscience de prime abord que ce ballet raconte une histoire.
Ce faisant, ils vont vivre des émotions extrêmes qui auront pour conséquence de les ramener à leur condition de détenus, ce qui déclenchera finalement une émeute nourrie par la frustration de ne plus vivre une vie normale. La finalité de la séquence sera double : d’un côté, les gardiens qui se moquaient de la trouve à leur arrivée disent aux danseurs que cette fois, ce sont eux qui se déplaceront pour aller les voir. Et du côté des détenus, on apprend ensuite via un article de presse que les emprunts d’ouvrages à la bibliothèque de la prison ont bondi en flèche après la représentation.
Ainsi, le message de la séquence apparaît avec une certaine clarté à l’aune de cette conclusion. En effet, durant tout le numéro de danse, on comprend bien où l’auteur veut en venir. Il propose, par l’intermédiaire du ballet qui est un art considéré comme élitiste, une vision de l’art en général, considérant que c’est aux artistes de faire le nécessaire pour que le public apprécie l’art en question. C’est un parti pris assez fort, visant à dire que ce n’est pas au public de faire un effort pour aller vers les œuvres, mais que c’est au contraire aux œuvres d’aller vers le public. Et on peut clairement imaginer que cette vision des choses est celle qui gouverne le travail de Masahito Soda sur ses mangas. Cette idée déjà très forte, et qui me parle tout particulièrement, vient se doubler d’une autre lorsque l’on voit les conséquences de cette représentation.
L’augmentation des emprunts en bibliothèque, et l’intérêt des gardiens pour le ballet montre que la compagnie a trouvé une certaine forme d’universalité qui a permit de toucher un public qui n’a pourtant aucun intérêt pour la discipline. Mais en plus, cet intérêt a suscité une soif de culture plus large, créant une forme de cercle vertueux au bénéfice de tous.
Je trouve personnellement ces deux idées très belles, et elles expliquent l’impact qu’a eu la séquence sur moi. D’autant plus que transmettre cette idée au sein d’une oeuvre qui a des velléités artistiques, qui cherche très clairement à faire passer un message, une vision du monde et des idées, contribue à en renforcer la valeur et l’impact. On comprend notamment par ce biais que Masahito Soda, loin d’avoir une vision élitiste de son art, souhaite s’adresser à un maximum de gens, et fait cet effort d’ouverture vers le public.
Ainsi, je ne peux m’empêcher de voir dans cette séquence, mais dans son travail sur Subaru dans sa globalité le signe d’un mangaka qui cherche à dépasser le cadre de son médium, pour proposer une oeuvre à la portée universelle. C’est pour cela que je souhaite conclure en disant que, alors que bien souvent on se questionne sur les mangas que l’on pourrait mettre entre les mains de gens qui ne sont pas lecteurs de mangas, on fait peut-être fausse route en cherchant des titres qui « ne font pas manga » dans l’idée. Peut-être qu’il faut simplement aller vers des titres qui cherchent à trouver une forme d’universalité, dépassant ainsi le cadre générique pur auquel ils appartiennent, pour simplement proposer des histoires de qualité, à même de parler au plus grand nombre et de créer cette fameuse connexion émotionnelle. Et pour le coup, Subaru en fait très clairement partie.
Je comprends parfaitement ton coup de cœur pour cette séquence et ton envie de nous en parler. Le message est beau et puissant. Je le partage. Pour faire découvrir un type d’oeuvre, je préfère trouver quelque chose d’universel plutôt que de dénaturé moi aussi.
Quant à Subaru, c’est un titre qui m’avait marqué dans sa représentation puissante de l’univers du ballet et ça m’avait donné très envie d’en voir !
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Je n’ai jamais vu de ballet pour le coup, mais avec ma femme on a envie d’en voir. Par contre on aime beaucoup l’opéra qui a aussi cet aspect snobisme culturel, alors que si on s’immerge dedans, c’est vraiment un spectacle total.
Mais avec le contexte et le bébé, c’est plus compliqué d’assister à ce genre de spectacle malheureusement, pour ne pas dire impossible actuellement.
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Pour ma part, j’ai un oncle fan opéra , mais issu de la classe populaire, et très tôt j’en ai vu et entendu, mais je n’aime pas les voix… Du coup ça me bloque alors que le spectacle lui me plaît.
Et c’est clair que la situation actuelle empêche vraiment d’en voir dans les meilleures conditions… (Snif plus d’un an sans le moindre spectacle vivant…)
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Très belle analyse encore une fois. Tu sais à quel point j’ai envie de découvrir Subaru! Cette séquence me parle énormément car l’univers du ballet et de l’opéra je n’y connais pas grand chose, mais ma femme adore la danse (ayant fait de la danse pendant de nombreuses années), et nous avions fait une sortie à l’opéra de Toulouse il y a 2 /3 ans pour voir un ballet et justement c’était une représentation de Don quichotte! Et je dois bien avouer que même si techniquement je n’y connais rien, il se dégageait vraiment une force dans cette représentation qui te prenait au tripes! Bref c’était génial!
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J’espère que tu aura l’occasion de découvrir Subaru du coup.
Et en effet, moi aussi je n’ai aucune connaissance particulière mais ça ne m’empêche pas de vibrer au rythme de la musique et du spectacle quand je vais à l’opéra. Et malheureusement je n’ai pas vu de ballet mais j’adore regarder de la danse donc je suis convaincu que ça me plairait aussi.
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