Cet article ne sera pas un « test » à proprement parler, car je ne suis tout simplement pas à l’aise avec cet exercice, d’où le fait que je n’en propose jamais sur le blog. Il s’agira plutôt d’une réflexion personnelle par rapport à ce jeu très particulier à mes yeux. En effet, je suis un gros fan d’Hideo Kojima et de sa saga culte Metal Gear Solid, le dernier épisode étant certainement mon jeu préféré à l’heure actuelle. Il y a de nombreuses choses dans la démarche artistique de l’homme qui me parlent, et de ce fait, Death Stranding était un jeu que j’attendais comme le messie, suite au divorce entre le créateur et Konami, l’éditeur avec qui il avait travaillé main dans la main pendant 30 ans. Il s’agissait donc d’un événement important pour tout Kojifan, et le jeu m’a vraiment interloqué et déstabilisé. De ce fait, après avoir longuement repoussé la rédaction de cet article, je m’y mets enfin. Il n’aura pas vocation à être une analyse exhaustive de ce que nous raconte le jeu et du message qu’il fait passer, mais il sera plutôt la traduction d’un ressenti personnel et une interprétation que je propose. Et évidemment, dans ce cadre, il vaut mieux avoir fait le jeu pour comprendre de quoi je parle, car j’avoue ne même pas avoir pris la peine de resituer l’intrigue et l’univers tant c’est alambiqué. De plus, je vais spoiler deux éléments majeurs de la fin du jeu.
Mais commençons par le commencement, avec tout d’abord le contexte particulier de production.
Kojima et Konami, c’est fini !
Comme je l’ai dit, après 30 ans de bons et loyaux services, Kojima a quitté Konami avec pertes et fracas à la fin du développement compliqué de Metal Gear Solid V. Cela ayant entraîné une vague de « fuck Konami » dans le monde du jeu vidéo à laquelle je ne souscris pas du tout. Certes, ça m’a vraiment fait de la peine de voir qu’il aurait pu y avoir du contenu supplémentaire à MGS V qui n’a pas vu le jour à cause de ça, tout comme le projet Silent Hills de Kojima et Del Toro qui s’est vu annuler alors qu’on tenait là un projet formidable.
Mais je refuse de rejoindre la vision simpliste du pauvre petit artiste mis à la porte par la méchante société capitaliste pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les deux ont tiré partie de la puissance de l’autre. Konami a beaucoup utilisé le nom de Kojima, y compris en l’associant à des jeux qu’il n’a pas fait (combien de personnes savent que Zone of the Enders n’est pas réalisé par Kojima ? Moi même j’ai passé des années à l’ignorer). Mais Kojima a aussi trouvé chez Konami un endroit où il a totalement pu réaliser sa vision avec Metal Gear Solid. Car il a toujours eu les coudées franches pour donner libre cours à ses ambitions, quand bien même sa saga n’a jamais fait des ventes stratosphériques (elles ont toujours été bonnes voire très bonnes, et MGS est clairement le titre le plus prestigieux du catalogue Konami, mais on est pas face à une série qui fait des dizaines de millions de ventes). Et dans ces conditions, je pense vraiment que très peu d’éditeurs auraient donné 85 millions de dollars pour faire un jeu comme ce fut le cas avec MGS V. De ce fait, je pense que les deux parties ont clairement tiré profit de cette collaboration durant tout le temps où elle a duré. Je ne sais pas quelles sont exactement les raisons du divorce, mais ça m’étonnerait que l’on puisse tout mettre sur le dos de Konami.
Quoi qu’il en soit, la relation entre les deux s’est mal terminée, et Kojima est parti fonder son studio Kojima Production en indépendant, en récupérant un certain nombre de ses collaborateurs de longue date. Et très vite il s’est remis en selle, annonçant avoir établi un partenariat avec Sony pour un jeu dont on ne savait rien (et dont on ne saura quasiment rien jusqu’à la sortie finalement). Après un petit tour du monde où il a été reçu comme un prince partout, rencontrant les grands pontes du milieu, il a pu choisir son moteur de jeu (le Decima Engine de Guerilla Games, utilisé sur Horizon Zero Dawn), a trouvé des soutiens et du fric, et a pu lancer son nouveau projet, avec un premier teaser particulièrement tôt, en juin 2016 lors de l’E3.
Un teasing mystérieux
Ce premier trailer était des plus nébuleux. Il faut d’ailleurs savoir que le teasing est une des spécialités de Kojima. Il prend notamment beaucoup de plaisir à brouiller les pistes et nous amener dans des directions qui ne sont pas les bonnes pour conserver la surprise. Il a atteint le point culminant de cet art avec Metal Gear Soliv V, d’autant plus que la manipulation via le teasing était en lien avec les thématiques de la saga.
Dans le cas de Death Stranding, on était dans une façon de procéder similaire tout en étant différente. Comme nous étions face à un tout nouvel univers totalement inconnu (et on le verra par la suite, très original), il s’amuse à blinder chacun de ses trailers d’indices et de signes sur-signifiants, mais pour lesquels nous n’avons pas de base pour pouvoir en faire une analyse. Ainsi, dès le premier trailer on voit l’emphase mise sur les crabes, la menotte de Norman Reedus, sa cicatrice au niveau du nombril, le bébé, les baleines mortes, et les silhouettes dans le ciel. Beaucoup d’éléments à analyser, mais impossible à réellement comprendre car déconnectés de toute forme de contexte.
Cependant, dès ce premier trailer une forme de mise en abyme du processus de production et du divorce avec Komani semblait apparaître. Il faut savoir que Norman Reedus devait jouer le rôle principal de Silent Hills. Le voir dans ce trailer rappelle évidemment le projet mort né de Kojima, et la présence du bébé vraisemblablement mort dans les bras de Reedus, qui finit par disparaître ne fait que rappeler la disparition du jeu sur lequel il travaillait. De plus, la cicatrice ventrale du personnage fait penser à une césarienne en même temps qu’à un cordon ombilical qu’on aurait coupé brutalement. Et si j’ai tout de suite pensé à ça, c’est parce que depuis Metal Gear Solid 2, Kojima s’est fait une spécialité de mettre en abyme le processus créatif dans ses jeux.
Cet élément n’aura fait que s’étoffer au fil des trailers, toujours aussi nébuleux mais dans lesquels on a fini par dévoiler le casting prestigieux du jeu, comprenant notamment Mad Mikkelsen, Margareth Qualey, Léa Seydoux, Guillermo Del Toro et Nicolas Winding Refn (dans le cas des deux cinéastes, ils ont juste été modélisés mais ne jouent pas dedans). C’est surtout la présence des deux cinéastes que je trouve intéressante. Kojima a beaucoup insisté sur le fait que le jeu parlait de « rétablir le lien » tout en restant nébuleux sur ce point.
Personnellement, je pense qu’il a surtout souhaité aborder la notion d’influence réciproque des artistes et de leurs œuvres sur le travail de chacun. Il a travaillé avec Del Toro sur Silent Hills, mais il a surtout influencé le cinéaste qui l’a influencé en retour. Pour Refn, c’est moins évident, mais ils semblent tous les deux amis et ont visiblement un complexe du génie similaire qui rend leur égo assez démesuré. Ils doivent au moins être en phase sur ce point. D’ailleurs, pour renvoyer à la question du lien créatif, je me souviens d’un dessin promotionnel du jeu où l’on voyait Del Toro, Kojima, Reedus et Mikkelsen se tenant la main. Et on le verra par la suite, le personnage qui partage les traits de Del Toro a un rôle très particulier par rapport au bébé que l’on transporte, mais j’y reviendrai par la suite.
Je ne vais pas revenir en détails sur tout le teasing du jeu. J’ai simplement constaté que Kojima avait joué à fond la carte du mystère jusqu’à très tard, puisque peu de gameplay avait filtré et les séquences narratives montrées étaient tellement déconnectées de tout contexte qu’il était jusqu’au bout assez compliqué de se faire une idée de ce qu’on allait avoir. Jusqu’au moment où le jeu est enfin sorti…
Des mécaniques de jeu problématiques
Je me sens obligé de parler au moins un peu des mécaniques du jeu, quand bien même je ne me sens pas du tout à l’aise pour décrire ce genre de choses. Mais dans le cas de Death Stranding c’est important car d’une part, c’est une des raisons qui font que le jeu ne m’a pas entièrement satisfait, et d’autre part elles sont en lien avec ce que le jeu raconte, dans la grande tradition des Hideo Kojima Games. Voyons donc rapidement de quoi il en retourne.
Un simulateur de livraisons
Le jeu se déroule dans un monde post-apo, où l’humanité vit cachée dans des abris souterrains après le Death Stranding. Sam Porter Bridges, le personnage que l’on contrôle (interprété par Norman Reedus) est un livreur. Le cœur du jeu est donc d’amener des paquets d’un point A à un point B, et tout le sel du jeu réside dans le fait de les livrer le plus rapidement et dans le meilleur état possible. Le poids et la taille des colis et la topographie des lieux à parcourir sont des éléments qui influent sur la difficulté des livraisons. Pour s’en tirer, on a à disposition un petit arsenal comprenant des échelles, des pitons qu’on met dans la roche afin de se créer des cordes de rappel, des exosquelettes rendant le personnage plus rapide, plus stable sur les surfaces accidentées ou encore pour simplement porter davantage de choses, ainsi qu’un certain nombre de véhicules à disposition.
De là découlent plusieurs soucis. Le premier est que se déplacer devient le cœur du jeu et l’enjeu principal. Pourquoi pas en soi, mais encore faut-il créer des enjeux en terme de mécaniques qui soient intéressants. Car passé les premières heures, devoir gérer son équilibre devient assez pénible, mais surtout, sur la durée plusieurs soucis de taille se font jour.
Tout d’abord, les outils mis à disposition sont étonnamment peu nombreux. En dehors de ceux évoqués, on peut y ajouter les petits transporteurs qu’on fixe par une corde, permettant de transporter davantage de choses. Mais passé tout ça, il n’y a quasiment rien d’autre. Cela fait finalement très peu d’objets, d’autant plus qu’on dispose de l’écrasante majorité super tôt dans l’aventure (qui est assez longue par ailleurs, j’ai fini le jeu en une quarantaine d’heure et on peut facilement passer 4 fois plus de temps si on veut tout trouver). On peut ajouter les tyroliennes qui arrivent plus tard… et que je n’ai jamais utilisé personnellement, même pas pour essayer.
Et surtout, les véhicules viennent casser un peu le délire car à partir du moment où on a accès aux motos et aux camions, je n’ai quasiment plus été à pied tant on peut circuler dans 90% des zones sans soucis avec. Finalement, je crois que j’ai passé plus de la moitié du jeu à tracer sans me poser de question, y compris dans les zones ennemies (je reviendrai sur ce point après).
Un élément de level design qui vient complexifier un peu ça est la présence de montagnes enneigées à un endroit en particulier du jeu… J’ai détesté ! Les véhicules deviennent difficiles à contrôler obligeant à beaucoup se déplacer à pieds, avec de préférence un exosquelette qui rend les déplacements plus pratiques quand même. Et là, un gros soucis m’a sauté aux yeux. Alors que je m’étais habitué à me casser la margoulette au moindre caillou au sol, quelle ne fut pas ma surprise de voir que Sam pouvait sans soucis gravir des montagnes à l’inclinaison hallucinante sans trop se fouler. Et surtout, à force de m’énerver contre des mécaniques de jeu qui décidément ne me plaisaient pas du tout, je me mettais à sauter tout le temps comme un crétin dans les montagnes. Et ce faisant, je me suis rendu compte que des obstacles qui semblaient infranchissables finissaient par passer en jouant comme ça. Et j’avais le sentiment de gruger le jeu, ce qui m’embête un peu…
Vous l’aurez compris, l’aspect déplacements/exploration/livraison qui constitue le cœur de l’expérience ne m’a pas du tout convaincu. Trop peu de possibilités, trop peu d’éléments vraiment intéressants et surtout, le sentiment que le bourrinage (en véhicules ou en sautant partout) fonctionne finalement 95% du temps. Mais le jeu n’est pas que déplacements et exploration ! Il y a aussi des séquences d’action… Dont je me serai volontiers passé…
Un côté action/infiltration très peu convainquant
Cet aspect me permettra d’évoquer un élément important du jeu. Il y a deux sources de danger importantes dans les extérieurs du jeu : les échoués (en gros les esprits des morts qui se matérialisent et viennent te chopper), et les MULES, des gens qui viennent t’emmerder pour te piquer tes colis histoire de faire du trafic. À ceci s’ajoutent quelques séquences de flingage et des boss sur lesquels je reviendrai aussi.
Commençons avec les MULES, sur lesquels j’aurai le moins à dire. Lorsqu’on entre dans des zones où ces voyous sont, on peut se faire prendre en chasse, et ils finissent par tous affluer sur nous. Mais si on arrive à ne pas se faire repérer, on peut se les faire en mode infiltration avec des éléments très classiques, genre hautes herbes pour se cacher. Ce n’est pas folichon mais ça passe. Le soucis, c’est quand on y va en mode bourrin (ma méthode en général, je ne suis pas quelqu’un de patient). Tant qu’on n’est pas arrivé au stade où les MULES sont armés, on peut clairement venir les mains vides en mode pépère et les démonter à coup de poings un par un, ils n’opposent quasiment aucune résistance. On peut au pire utiliser quelques gadgets pour les neutraliser plus facilement (il faut éviter les armes létales, car ils reviendront sous forme d’échoués, et ça c’est relou), ou mieux, prendre quelques valisettes qui traînent pour leur balancer dans la tronche !
Mais la facilité déconcertante avec laquelle on les gère, ou au pire, la facilité tout aussi déconcertante de les éviter, font que je me questionne sur l’intérêt d’avoir inséré ça. Ça vient densifier un peu l’univers et lui donner de la vie, mais en terme de plaisir de jeu, ce n’est vraiment pas ça pour moi. À tel point où je me suis très rapidement retrouvé à aborder ça en mode bourrin, avec deux approches possibles : soit j’allais fracasser tout le monde vite fait, soit je passais en véhicule a fond histoire d’éviter les embrouilles (en courant ça passe également en général).
Dans le cas des échoués, pendant une partie du jeu, c’est plus intéressant. Car on les voit difficilement, ce qui nous oblige à nous déplacer discrètement, et pendant un temps, il est impossible de se débarrasser d’eux. Il faut donc essayer de ne pas les attirer, tout en réussissant à voir où ils se trouvent. Sauf que ça aussi, ça dure un temps. Avec les véhicules, on peut déjà s’en sortir plus facilement pour les fuir. Et par la suite on débloque tout un arsenal anti-échoué qui permet de les zigouiller vraiment très facilement. Donc encore une fois, le bourrinage passe toujours bien trop facilement.
Enfin, j’ai dit qu’il y avait des boss et des séquences de pure flingage dans le jeu, mais ces éléments ne m’ont pas non plus franchement convaincus. Les boss, très rares, sont finalement des immenses bestioles très bien faites, mais qui restent immobiles ou presque devant nous, à attendre qu’on les flingue. À l’exception d’un boss, dont je parlerai plus tard, dont l’affrontement est très différent.
Et les séquences de flingage pures ne sont pas plus réjouissantes, la faute à une vraie mollesse dans l’action. Un élément d’autant plus étonnant que les équipes de Kojima ont démontré une maîtrise assez folle du genre dans la saga Metal Gear Solid, en particulier dans le tout dernier épisode.
Vous l’aurez compris, aucune des mécaniques de ce jeu ne m’a vraiment convaincu. Le but n’est cependant pas de le descendre, mais ça me semblait important d’évoquer les éléments problématiques que j’ai pu avoir, afin que vous compreniez bien ma déception. Et le gameplay du jeu faisant partie de mes principales sources de déception, je ne pouvais pas passer sous silence cet élément.
Un jeu « somme » ?
Mais si les mécaniques de jeu ont globalement peiné à me convaincre, malgré un début que je trouvais assez encourageant (avant que toutes les errances ne me sautent aux yeux), c’est aussi et surtout au niveau de l’écriture et de la mise en scène que j’attendais Death Stranding au tournant, Kojima étant un auteur qui pousse les possibilités de narration vidéoludique dans ses retranchements. Et plus que sur ce que le jeu raconte, c’est surtout la portée symbolique et métaphorique qui m’intéressent ici.
J’en ai parlé auparavant, Death Stranding est une forme de réponse à ce qui s’est passé avec Metal Gear Solid V et le divorce entre Kojima et Konami. Or, le game designer est selon moi obsédé par la question de la « création », qui transparaît de façon évidente dans mes épisodes préférés de sa saga culte. Et il est donc naturel que le premier jeu qu’il crée de façon indépendante soit porteur de cette réflexion. Selon moi, elle transparaît dans de nombreux points du jeu, aussi bien concernant les mécaniques que le storytelling ou encore des éléments périphériques. Nous allons donc voir ceci point par point, car ce sera plus simple selon moi de tisser tous les liens entre ces éléments de la sorte.
Un projet collectif
Dès l’annonce du projet et son premier trailer avec Norman Reedus, le caractère collectif du jeu était évident. Il refaisait appel à son compère du projet avorté Silent Hills, et a par la suite présenté la version modélisée dans le jeu du cinéaste Guillermo Del Toro, avec qui il avait travaillé également sur le projet avorté de Konami. Le simple fait de faire revenir le trio qu’ils formaient permettait de créer un lien créatif entre les deux jeux, et soulignait l’influence de ses collaborateurs sur ce nouvel opus. D’autant plus que Kojima n’arrêtait pas de parler du fait que son projet tournait autour de la notion de liens, et de cordes pour faire le lien entre les gens. Impossible de ne pas y voir une mise en abyme de sa façon de concevoir ce jeu.
D’ailleurs, Madds Mikkelsen, acteur qu’il admire, s’est joint au projet, tout comme Lea Seydoux, Margaret Qualley et Lindsay Wagner qui confèrent non seulement un prestige hollywoodien au casting, mais mettent implicitement en avant l’influence de toutes les œuvres que Kojima consomme sur son projet. Le point culminant de cette idée venant de la présence du cinéaste Nicolas Winding Refn au casting également, lui qui est dans une relation d’admiration réciproque avec Kojima. Enfin, notons la présence de Troy Baker, acteur œuvrant majoritairement dans le monde du jeu vidéo, dans un rôle central, après avoir interprété Ocelot dans Metal Gear Solid V.
D’autres guests font leur apparition dans le jeu, je pense notamment au mangaka Junji Ito avec qui Kojima entretient des relations proches, et qui pourrait collaborer avec lui pour un futur projet horrifique (l’idée avait déjà été évoquée sur Silent Hills). Mais il y a aussi le cinéaste Jordan Voigt Roberts, réalisateur de Kong – Skull Island, dont le prochain film est… l’adaptation de Metal Gear Solid (il y avait déjà une référence explicite à MGS dans Kong). Enfin, on peut aussi noter le cameo d’Edgar Wright, cinéaste anglais qu’affectionne particulièrement Kojima.
L’idée est de créer un réseau relationnel venant mettre en avant selon moi l’idée qu’un artiste est nourri des œuvres des autres, et des apports de ses collaborateurs, et qu’ils contribuent à la tonalité de ce qu’ils feront par la suite. Et cette idée est finalement assez intelligemment retranscrite sous forme de mécaniques de jeu, puisqu’en jouant connecté à Internet, on peut partager des objets avec les autres joueurs, liker des messages qu’ils laissent ou encore utiliser des aides qu’ils ont mis dans les différents environnements. Une façon assez bien vue de mettre en avant la notion de lien, centrale dans ce jeu où l’on doit reconnecter les différents fragments des États-Unis d’Amérique (nommés ici les United Cities of America).
La somme des précédents projets de Kojima dans un nouvel univers ?
Un autre point qui interpelle dans ce jeu est son aspect extrêmement proche de ce qu’il avait fait avant, y compris de ce qu’on peut imaginer du projet avorté Silent Hills. La notion de United Cities of America sonne très Metal Gear Solid, tout comme une partie de la conclusion du jeu. L’emphase mise sur l’aspect horrifique avec les échoués n’aurait pas dénoté dans l’univers de Silent Hill non plus. Et même en terme de mécaniques de jeu, même si j’ai été peu convaincu, on retrouve quand même un certain nombre d’éléments qui rappellent la saga culte de Kojima. Au-delà des mouvements de Sam qui évoquent pas mal le dernier épisode de Metal Gear Solid, le fait d’axer une partie des mécaniques sur l’infiltration crée une continuité dans l’approche du jeu, tout comme le fait d’encourager à ne pas tuer les adversaires.
Je pense que le point culminant dans la comparaison avec Metal Gear Solid arrive lors d’un combat de boss en particulier, lorsque l’on doit affronter Higgs à mains nues. La dernière partie du combat (voir la vidéo ci-dessous) évoque très clairement l’affrontement final entre Snake et Ocelot dans Metal Gear Solid 4 et donne l’impression, le temps d’un instant, d’être encore dans la saga qui a rendu Kojima célèbre.
J’y vois là le signe d’un auteur qui n’arrive pas à couper le cordon avec la série qui l’a propulsé, ce qui peut se comprendre. D’ailleurs, cela faisait longtemps que Kojima parlait d’arrêter MGS (dès le deuxième, il disait que c’était son dernier épisode) et il n’a jamais réussi à céder les rennes, jusqu’à ce qu’il y soit forcé. Et même là, on sent une forme de continuité qui a quelque chose de touchant.
Et si j’ai parlé de couper le cordon, ce n’est pas anodin, puisque la figure du nouveau né et les cordons ombilicaux sont omniprésents dans le jeu…
La sempiternelle métaphore de l’oeuvre comme « bébé » de son créateur
Je pense qu’on a déjà tous lu ou entendu des créateurs, quels qu’ils soient, parler de leur oeuvre comme de leur « bébé ». Je dois avouer que la formule m’énerve car on compare des choses qui n’ont rien à voir, mais force est de constater qu’il s’agit d’un trope récurrent dans le domaine de la création artistique. Et que Kojima soit dans cette idée de considérer ses jeux comme ses bébés ou non, il doit parfaitement avoir conscience de cet aspect chez les artistes, et l’embrasse pleinement pour le mettre en scène dans son jeu.
Cette métaphore est d’autant plus pertinente, et vient justifier le titre de cet article, que Kojima s’est retrouvé orphelin du studio avec lequel il travaillait depuis longtemps, et de ce fait, ce jeu avait vraiment cet aspect « renaissance » pour l’artiste et sa nouvelle boite.
Ce n’est donc pas anodin sur les figures de nouveau né se retrouvent partout dans le jeu. Il y a le fameux BB auquel Sam se connecte, qui baigne dans le liquide, comme s’il ne pouvait pas vivre dans le monde extérieur. Mais il y a aussi le bébé mort de Mama, avec qui elle n’arrive pas à couper le cordon au sens propre, et qui donnera lieu à une très belle scène où on doit le couper pour elle (l’esprit du bébé étant comme connecté à elle par ce lien invisible).
Et évidemment, il y a cet élément central du jeu, qui représente un spoil majeur ! Mais j’ose espérer que vous avez fait le jeu si vous lisez cet article, parce que dans le cas contraire je pense que vous ne comprenez rien à ce que je raconte.
Je parle bien entendu de la relation de Sam au BB, qu’il va finir par appeler Lou et pour lequel il se prendra d’affection, lui qui a perdu un bébé (on l’apprend en cours de jeu). Mais aussi du fait que Sam est en réalité le fils de Cliff Hunger (Mads Mikkelsen), qui semble rester dans le monde des vivants uniquement à cause du lien très fort qu’il a avec son fils, quand bien même ce dernier n’en est pas conscient. Ce sont de ces deux intrigues que vient pour moi toute la force émotionnelle et la beauté de cette histoire.
Personnellement, je vois dans la présence de ces bébés morts encore connectés au monde des vivants, et même les échoués dans leur ensemble, que l’on peut « libérer » en coupant leur cordon ombilical une représentation des projets avortés des créateurs. Kojima a eu son lot, comme tous, et son compère Guillermo Del Toro en a eu bien plus que sa part, entre tous ses projets de jeux vidéo annulés (avant Silent Hills, il travaillait sur une trilogie horrifique qui ne vit jamais le jour) et ses films également annulés (le cas le plus connu étant Les Montagnes Hallucinées, mais sa carrière est jonchée d’œuvres avortées ou reprises par d’autres, comme Le Hobbit).
Et dans tout ceci, la relation entre Sam et le BB, qu’il finit par appeler Lou, devient le cœur émotionnel du récit. La connexion qui se fait entre les deux donne lieu à de nombreux flash-back entre BB et Cliff Hunger, et le twist du jeu est donc que le BB des flash-back n’est pas Lou, mais Sam. Cela crée un lien particulier entre les deux êtres que j’interprète comme le fait que Death Stranding est la continuité des projets précédents de Kojima, et qu’il est en quelque sorte un nouveau Metal Gear Solid, le fameux Silent Hills, mais aussi quelque chose d’autre encore.
Et même si la greffe ne prend pas toujours et que le mélange n’est pas toujours heureux (je pense aux différentes strates de l’intrigue qui ne se marient pas toujours bien, par exemple toute la partie de l’histoire sur Cliff semble totalement déconnectée du reste), l’ensemble s’avère passionnant bien que brinquebalant. Et si j’ai eu du mal à rentrer dans les enjeux globaux de l’intrigue, avec beaucoup d’éléments abscons que je n’ai pas forcément saisi, j’ai par contre énormément accroché à l’histoire intime de Cliff, Sam et Lou.
Et je vois dans le fait que Sam et Deadman (le personnage qui a les trait de Del Toro) œuvrent en secret pour maintenir Lou en vie une métaphore du travail des artistes face à de grands groupes qui veulent prendre la main sur les projets. Et en ce sens, le final du jeu, où Sam réussit à sauver le bébé et le sortir de son liquide amniotique pour le « mettre au monde » est vraiment très belle, avec la dernière petite révélation qu’il s’agit d’une fille, qu’il appelle donc Louise. Lou était le garçon qu’il a perdu, et Louise semble « hériter » un peu de lui, mais est une personne distincte, comme Death Stranding n’est pas Silent Hills bien qu’il y ait un peu de ce jeu dans la dernière oeuvre de Kojima.
Ainsi, après Metal Gear Solid 2, 4 et surtout V, Kojima a encore une fois mis en scène au sein de son dernier « bébé » un questionnement sur la création artistique, et a réussi a éviter la redite sur ce point. Metal Gear Solid 2 se demandait comment faire suite à une oeuvre majeure, le 4 questionnait la possibilité de conclure cette oeuvre, tandis que le V faisait le constat amer de l’impossibilité de donner vie à une vision trop ambitieuse pour le cadre créatif qui lui était imposé. De son côté, Death Stranding semble se questionner sur la façon de se relever suite à l’annulation d’un projet très personnel, et le chamboulement de son cadre de travail. Il apporte les réponses que Kojima semble avoir trouvé, et même si je n’ai pas été entièrement convaincu par le jeu, force est de constater que le simple fait qu’il soit parvenu à sortir le titre est déjà en soit un petit exploit.
Et quoi qu’on en pense, le jeu a une réelle tenue, a énormément de panache et est encore et toujours une vision d’artiste, et sur ce point, cela force le respect.
Au final, un jeu compliqué, mais une oeuvre passionnante
Dire que Death Stranding est une déception est donc un euphémisme en ce qui me concerne. Ce n’est pas seulement que mes attentes étaient trop élevées (même si elles étaient évidemment énormes, vous l’aurez compris). C’est surtout que le projet me semble avoir été fait trop rapidement, pas assez réfléchi sur de nombreux aspects et manquant de liant sur pas mal de choses. Je me suis déjà suffisamment étalé sur les mécaniques de jeu finalement trop pauvres pour un jeu si long, et surtout étonnamment mal fichues parfois pour du Kojima qui nous avait habitué à un soucis du détail qui frisait la maniaquerie.
Mais je ne peux pas nier non plus qu’on est face à un jeu, et surtout une oeuvre vraiment originale. Et dans le domaine de plus en plus standardisé du jeu vidéo, ça fait vraiment beaucoup de bien. Si tout n’est pas réussi, que certains éléments ne se marient pas bien, j’y ai trouvé un jeu généreux et riche en pistes de réflexion et d’interprétation. Je n’en ai proposé qu’une modeste ici, celle qui m’a le plus parlé et avec laquelle je suis le plus à l’aise, mais il y aurait un travail énorme d’exégèse à faire pour réussir à toucher du doigt la profondeur du titre.
De ce fait, j’ai l’impression que ce que nous dit Death Stranding, c’est que c’est extrêmement compliqué de faire un jeu, ou un oeuvre quelle qu’elle soit. On l’avait déjà compris avec Metal Gear Solid V, et Kojima nous le rappelle ici. Et après avoir terminé le jeu, avoir pris beaucoup de temps pour réfléchir et écrire dessus, j’arrive à finalement passer outre ses errances et ces éléments qui m’ont parfois énervé, pour me dire qu’au final, je suis content que ce jeu existe. Il m’aura quand même fait espérer, fait rêver, déçu, mais au final il m’aura aussi fait réfléchir, touché, et ému. Et finalement, il me donne envie de creuser la question, et d’y retourner.
Magnifique article ! Je n’ai pas joué à ce jeu, ce n’est pas mon style de jeu et c’est vrai que je n’ai pas tout compris sur le fond mais j’adore ce que tu développes autour des thématique, je trouve ça passionnant ☺️ j’ai appris beaucoup, un tout grand merci !
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Avec grand plaisir !
Je pense en refaire avec je l’espère une certaine régularité. Je ne suis pas du tout à l’aise pour décrypter les mécaniques de jeu, mais j’ai bien envie de parler du contenu, de ce que racontent certains jeux.
Et je te rassure, même en ayant fait le jeu, je n’ai pas tout compris 😆 d’où le fait que je me focalise uniquement sur des éléments que je maîtrise, en ne contextualisant vraiment pas beaucoup.
J’aurais peut-être du chercher des vidéos qui expliquent et résument le jeu pour les mettre en lien. Mais ça fait quelques temps que je ne regarde plus ce genre de choses par manque de temps.
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Je les lirais avec grand plaisir ! Ce n’est pas gênant de ne pas comprendre tout le contenu, rien ne m’empêche d’aller en chercher moi même 😁 c’était plus vite une réponse à ta remarque dans la chronique. J’aime beaucoup la façon dont tu abordes ces thèmes narratifs en tout cas et les éléments plus historiques.
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Merci beaucoup dans ce cas. Je pense essayer de trouver le temps de revenir un peu sur l’œuvre de Kojima parce que c’est vraiment passionnant. C’est un artiste vraiment exceptionnel dans le domaine du jeu vidéo. Il m’a fait exploser le cerveau un paquet de fois le bougre !
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Quel magnifique gros dossier !
Je n’ai joué qu’une heure à des œuvres de Kojima au total je crois donc je suis complètement passé à côté de Death Stranding sans m’imaginer le faire un seul instant.
Par contre, je reste relativement intéressé par la vision d’artiste absolument dingue que semble avoir Kojima.
Alors, découvrir ton expérience sur ce jeu fût une excellente expérience pour moi.
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Tant mieux dans ce cas !
En effet, Kojima, pour le meilleur et pour le pire est vraiment dans un délire d’artiste dans ses jeux.
Il fait tout malgré tout pour les rendre accessibles, mais on sent totalement sa pate et sa vision d’auteur à chaque fois. Pour moi on reconnait automatiquement son style et c’est une grosse qualité dans le monde du jeu vidéo !
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Moi, j’ai adoré ce jeu, j’y ai passé plus de 300h en 3 voire 4 mois ; il m’arrivait de me connecter 1h ou 2, juste pour ramasser des colis perdus et les livrés à la place des porteurs.
J’ai adoré les mécaniques, même si j’ai eu du mal avec les ennemis humains, car au final mieux vaut donner l’assaut rapidement et se faire la malle que de tenter de l’infiltration.
Les échoués étaient durs à battre au début, puis une fois bien équipé on y arrive bien.
La montagne j’ai galéré aussi, je préparais bien mon itinéraire via la carte avant, certes j’ai perdu/détruit plusieurs colis dans les tempêtes, mais tant pis.
Au début, je construisais à tout va, j’adorais cette « interaction », le fait de placer une échelle ou autre abri au bon endroit et de recevoir des likes, puis quand j’étais dans le 2nd monde et que je suis revenu dans le 1er (au début du jeu) j’ai vu toutes ces structures (les miennes et celles des autres) pourrir au beau milieu de superbes paysages, j’ai pris conscience que je devais être plus rationnel dans mes constructions, ça fait aussi comprendre l’impact qu’à l’homme sur la nature.
Donc après, je ne construisais que si c’était nécessaire et si uniquement il n’y avait rien d’autre dans le coin, c’était terminé de mettre des abris anti-pluie tous les 200m, et je réparais énormément les structures en mauvais état, quitte à faire d’énorme kilomètres pour cela.
Côté scénario, un brin complexe au début puis tout au long du jeu, pas mal de retournements de situation mais j’ai bien aimé.
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Je dois avouer que j’ai vraiment eu beaucoup de mal avec beaucoup de mécaniques, si bien que je n’ai pas poussé le truc à fond. Un bon exemple, tu parles d’abri anti pluie, j’avoue ne jamais en avoir construit.
Globalement, je me contentais des échelles, des cordes et des exosquelettes (et les espèces de porteurs aussi, je sais plus comment ils appellent ça).
Globalement, les mécaniques de déplacement et de livraison fonctionnent bien quand même, car je ne voyais pas le temps passer. Mais toute la partie action m’a vraiment déplu, au point où je me suis dit qu’on aurait pu s’en passer.
Dans l’écriture, j’ai trouvé de belles choses, mais j’ai eu le sentiment que les différents niveaux d’intrigues se mariaient assez mal finalement. J’ai aimé l’histoire autour de Madds Mikkelsen (je sais plus comment il s’appelle dans le jeu), mais ça fait vraiment déconnecté du reste je trouve.
Globalement, j’ai vraiment eu un sentiment d’errance sur trop de points, surtout pour du Kojima.
Mais le jeu a vraiment le mérite de proposer quelque chose d’original et audacieux, c’est certain.
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Au début, j’ai eu du mal lors des combats contre les échoués, j’avais du mal à lancer les grenades, puis sous la pluie avec l’équipement et les cargaisons qui se dégradent ça fout la pression.
Pour les bandits, ça a été, j’y allais plutôt en mode infiltration, puis attaque rapide, prise de l’objet et fuite pas très glorieuse via un passage que j’avais repéré à l’avance. (Pas très glorieux, mais ça marchait bien).
Mais j’ai plus paniqué sous la pluie avec les échoués, surtout quand on est en train de gravir une montagne.
J’ai adoré Madds Mikkelsen, acteur que j’adore au passage.
J’ai énormément joué sur l’entraide, construire les structures au meilleurs endroits pour aider, ne pas en construire trop, réparer les anciennes, ramener les colis perdus à un entrepôt, déposer les colis que certains laissaient etc…
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Pour les mules, mon souci est justement qu’on peut tellement facilement s’en accommoder que je n’en ai pas trop vu l’intérêt. Je les enchaînait à mains nues ou en leur balançant des caisse à la tronche la moitié du temps, et l’autre moitié je fuyais simplement. Et je n’ai jamais eu de souci avec. Je trouvais que c’était plus une perte de temps qu’autre chose.
Les échoués, ça fonctionne super bien au début, mais en effet, une fois bien équipé, ils ne représentent plus de stress et de menace je trouve.
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