Mon avis sur… La Couleur tombée du ciel de Gou Tanabe

La Couleur tombée du ciel

Chaque nouvelle sortie dans la collection Les Chefs d’oeuvre de Lovecraft de Ki-oon, par Gou Tanabe fait son petit effet. Le pari de l’éditeur et de l’auteur semble tout à fait réussi sur chaque volume, puisque le mangaka arrive avec talent à mettre en images Lovecraft dans un style à même de conquérir un lectorat qui dépasse le cadre des fans de mangas. Et l’éditeur propose pour magnifier le travail de l’auteur des éditions de qualité qui se remarquent au premier coup d’œil en librairie, et qui font à coup sûr leur effet dans n’importe quelle mangathèque. La Couleur tombée du ciel ne déroge pas à la règle et propose une nouvelle incursion réussie avec l’adaptation d’une nouvelle que j’avais lu il y a quelques années, et qui m’avait marquée.

Un projet de barrage promet d’engloutir toute une vallée reculée de la campagne américaine. Bizarrement, son dernier habitant se réjouit de voir le lieu disparaître sous les flots, en particulier la parcelle de terrain voisine… Les Gardner y ont vécu paisiblement pendant des années, jusqu’à ce que la chute d’une météorite juste devant leur maison fasse basculer leur quotidien.
Des scientifiques ont tenté d’étudier ce roc venu de l’espace, sans succès. La matière ne ressemblait à rien de connu et se distinguait par sa couleur inexistante sur Terre… Après cet événement, la faune et la flore ont commencé à s’altérer, les phénomènes étranges se sont multipliés, entraînant la famille Gardner dans une spirale de malheurs…

J’en avais déjà parlé lorsque j’avais évoqué Dans l’Abîme du temps, adapter Lovecraft n’est pas une mince affaire, tant son imaginaire est compliqué à se représenter et joue sur l’imperceptible et est centré sur la folie qui s’infiltre dans les esprits. Cependant, La Couleur tombée du ciel me semble plus facile à adapter que certains autres de ses récits, c’est peut-être pour cela d’ailleurs qu’une adaptation cinématographique avec Nicolas Cage a vu le jour récemment. La structure du récit permet une sorte de huis-clos angoissant dans lequel une famille, après la chute d’une météorite, se retrouve victime de changements inexplicables sur leur propriété. Des changements évidents et visibles qui s’accompagnent d’autres, plus compliqués à vraiment percevoir.

Et Tanabe joue avec talent sur ce qui peut être représenté (que ce soit l’évolution du décor, des bêtes, ou les apparitions de cette fameuse « couleur ») et ce qui l’est plus difficilement. Le manga décrivant ainsi l’évolution d’un lieu vers quelque chose de toujours plus angoissant, mais également des personnes qui y vivent, touchées par ce changement dans leur cadre de vie. La bonne idée étant de nous raconter l’histoire du point de vue d’un voisin, qui viendra régulièrement rendre visite à la famille, s’inquiétant de leur santé aussi bien physique que mentale.

Vous l’aurez donc compris, le cœur du récit est la façon dont une force extérieur et étrangère va impacter et modifier cette famille et son environnement. Tanabe développe une fois de plus une esthétique des plus travaillées, avec un trait riche en détails qui intensifie le malaise que l’on ressent du début à la fin. Son travail sur le noir et blanc renforce l’aspect angoissant du cadre dans lequel se déroule l’histoire et permet de faire ressortir « la couleur » alors même qu’il travaille sans couleurs. Et le style visuel de l’auteur s’écartant énormément des canons du manga, il pourrait toucher un public plus large, d’autant plus qu’il adapte encore une fois un auteur important.

Ainsi, au fil d’un récit maîtrisé duquel ne ressort aucune once d’espoir et aucun moment venant contrebalancer la chute dans la folie, on ressent tout le talent de Tanabe et de Lovecraft qui proposent une fois de plus une histoire sombre dans un cadre prenant, jusqu’à un final douloureux. Comme si « la couleur » représentait une forme de folie dont on ne peut se soustraire, qui parvient quoi qu’il arrive à nous atteindre. Et dans la tradition des grands récits fantastiques, cet élément surnaturel met finalement en évidence quelque chose de bien réel. Cette forme de repli sur soi, d’enfermement quitte à sombrer dans la folie me donne vraiment l’impression de se rapprocher de choses bien concrètes.

On est donc encore une fois face à une adaptation de qualité, dure et terrifiante, qui m’a encore plus parlé que Dans l’Abîme du temps. La structure narrative avec cet enfoncement constant dans l’horreur (même si elle n’est pas la plus graphique qu’on ait vu) et la folie ont parfaitement fonctionné, du fait d’un travail sur l’esthétique et l’ambiance parfaitement maîtrisés de la part de l’auteur. Et par chance, on va avoir droit le 17 septembre à une nouvelle adaptation lovecraftienne avec L’Appel de Cthulhu, inutile de préciser que je serai au rendez-vous !

Couleur

12 commentaires

      • En effet, après je fais en sorte d’acheter de façon pertinente. Et en l’occurrence un bel ouvrage, qui ne fait pas tant « manga » que ça et qui en plus adapte Lovecraft a pas mal d’arguments pour toucher un public plus large que simplement les adultes qui lisent du manga (soit 2 personnes dans les inscrits qu’on a, un des deux étant moi…).

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      • Je pense que ça dépend vraiment énormément du lieu et d’une médiathèque à l’autre ce sera toujours différent. Mais en gros dans la notre il y a vraiment très peu d’adultes qui lisent des BD et encore moins qui lisent des mangas. Du coup quand je prends de la BD adulte quelle qu’elle soit, j’essaie de faire en sorte qu’elle puisse parler à des non lecteurs de BD ou alors aux ados histoire qu’elles aient quand même un espoir de sortir.

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