La Nouvelle île au trésor est une œuvre particulière d’un point de vue historique, puisque non seulement elle est un des plus anciens travaux de Tezuka, ayant contribué à lancer sa carrière en 1947, mais ce manga est aussi considéré comme une des œuvres fondatrices du shonen Nekketsu. Beau succès lors de sa sortie, le manga a connu plusieurs rééditions au Japon, dont une en 1984 dans une version remaniée par l’auteur, et c’est justement cette version que nous avons en France, éditée par Isan Manga (éditeur spécialisé dans les mangas patrimoniaux).
C’est pour toutes ces raisons que j’ai été amené à m’intéresser à ce titre, souhaitant découvrir plus profondément celui que l’on nomme « Le Dieu du manga » ainsi que le nekketsu. C’est de ce fait un véritable morceau d’histoire du manga que nous avons là, et qui pourrait aussi faire office de porte d’entrée prestigieuse pour les plus jeunes, comme nous allons le voir dans cet article.
Un récit et une mise en scène ultra accessibles
Avant d’entrer dans le vif du sujet, resituons un peu l’histoire qui, vous allez le voir, est très simple. On y suit le jeune Pete, qui voyage avec un vieux capitaine afin de trouver un éventuel trésor, dont l’emplacement est indiqué sur une carte laissée par le père du jeune garçon. En chemin, ils seront attaqués par des pirates et finiront par atteindre l’île. Vous l’aurez compris au résumé ainsi qu’au titre, on est dans un récit librement inspiré de L’île au trésor, chef d’œuvre de la littérature de Stevenson, et récit incontournable du genre de l’aventure. L’histoire va aussi puiser dans Tarzan une légère influence également.
Pourquoi je le précise ? Car il s’agit de deux récits qui se caractérisent par le fait qu’ils soient connus de tous ou presque, que l’on ait lu ou non les œuvres d’origine. Et c’est également amusant de voir que celui qu’on surnomme « Le Walt Disney japonais » avait pensé à se les approprier avant la firme de Mickey. Mais au-delà de ce petit côté amusant, je pense surtout que ce n’est pas anodin d’avoir choisi de se baser sur deux histoires très connues afin de rendre celle-ci accessible à un grand public. Car la structure de base est très simple, et les quelques péripéties qui densifient l’intrigue et les enjeux ne sont pas des plus incroyables. C’est d’ailleurs un des éléments qui trahissent l’âge de ce manga, mais ce n’est pas un soucis en soi, notamment car Tezuka rend son récit fluide, en plus de s’adresser à un public assez jeune.
Et du côté de la mise en scène et du découpage, bien qu’on retrouve un certain dynamisme, on est également dans un travail d’un autre temps, bien loin des découpages complexes qu’on peut trouver de nos jours (et même loin de ce que Tezuka a pu faire par la suite). Chaque page est agencée de façon identique, avec 2 à 4 cases organisées sur une colonne. En résulte une mise en page qui peut sembler plus rigide au lecteur d’aujourd’hui, mais qui je pense peut être très intéressante pour initier un enfant au manga. La disposition en colonne rendant le sens de lecture moins problématique. En bref, que ce soit dans l’écriture ou la mise en page, le récit est très accessible ce qui lui donne une orientation jeunesse, mais n’en reste pas moins plaisant à suivre. Mais comme je l’ai dit, ce qui en fait toute sa valeur, c’est son côté historique.
Un manga patrimonial
J’ai rapidement précisé en introduction que ce manga avait lancé la carrière de Tezuka en 1947, fort d’un succès énorme avec plus de 400 000 ventes (on parle d’une tout autre époque que la notre), il s’agit à l’origine d’une histoire écrite par Shichima Sakai, remaniée et mise en images par Tezuka pour les éditions Ikuei.
Mais la version que nous avons en France est celle remaniée par l’auteur en 1984, à l’occasion de la réédition de ses œuvres complètes. La postface de Xavier Hebert revient d’ailleurs sur le contexte de création du manga ainsi que sur les différences entre l’œuvre d’origine et celle que nous avons là. Ce qui me permet de rappeler que l’on ne peut en France que se faire une idée du travail que Tezuka a fourni en 1947, celui-ci ayant été bien modifié.
Toujours est-il qu’Hebert explique que le manga trouva un fort écho auprès des enfants de l’époque car les récits qui leurs étaient destinés étaient alors assez pauvres et très courts. Les 192 pages que compte le titre semblent alors dans ce contexte étonnamment denses, et proposent un divertissement copieux dont ils avaient besoin en cette période d’après-guerre. Ce manga marquera à ce titre des auteurs de renom comme Leiji Matsumoto (Albator) ou encore Fujio Fujiko (Doraemon) et sera fondateur du « Style Tezuka », notamment dans les emprunts au cinéma, aussi bien en terme de mise en scène que d’écriture. Mais Hebert l’explique bien mieux que moi, je vous renvoie donc à sa postface très bien écrite si vous souhaitez approfondir la question.
Concernant la question du nekketsu, évoquée précédemment, il est compliqué de voir les codes que l’on lui connaît aujourd’hui après plusieurs décennies d’évolution. On retrouve surtout une ambiance aventureuse rythmée par de nombreuses péripéties, ainsi qu’une figure de héros enfant. Mais les éléments génériques assimilables au nekketsu sont assez vagues au final, au point où je parlerai plus volontiers de proto-nekketsu. Mais cela n’empêche pas d’y trouver un intérêt historique supplémentaire.
En conclusion, une lecture indispensable pour quiconque s’intéresse au manga
Vous l’aurez compris au fil de la lecture, mais je tenais surtout à mettre en avant l’importance patrimoniale de La Nouvelle île au trésor, quand bien même la version que l’on a diffère de celle d’origine. En tant que manga fondateur du manga moderne, du style Tezuka, et qui a également infusé sur le nekketsu, il s’agit d’une pièce historique de premier choix, d’autant plus qu’il est très accessible dans son esthétique et sa narration. Je pense d’ailleurs qu’il peut s’agir d’un très bon moyen d’initier un enfant au manga, tout en lui proposant directement un ouvrage historique. Quoi qu’il en soit, il me semble important si l’on s’intéresse au manga d’aller vers Tezuka à un moment ou à un autre, et ce titre est une belle porte d’entrée avant de se lancer dans des récits plus ambitieux !
Et comme deux avis valent mieux qu’un, vous pouvez retrouver la chronique de Vagabond ici.
Bel article qui malgré l’apparente simplicité de l’œuvre donne très envie de la découvrir. 🙂
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Merci à toi.
J’espère que tu auras l’occasion de le découvrir !
Effectivement, le titre a une certaine simplicité qui vient de son âge je pense, mais c’est un vrai morceau d’histoire du manga.
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Je note ça 🙂
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Pour en revenir au lien entre Osamu Tezuka et Walt Disney, notons que c’est le Classique d’animation Disney « Bambi » (1942) qui fit comprendre à Osamu l’intérêt d’agrandir les yeux des personnages.
Sans oublier à quel point les accusations de plagiat furent virulentes envers Walt Disney Animation Studios lorsque certains virent des ressemblances plus que troublantes entre « Le Roi lion » (1994) et « Le Roi Léo » (1950).
Mais Tezuka Productions ne porta jamais plainte à ce propos, sachant qu’ils auraient eu peu de chances de gagner une bataille juridique face à Disney.
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Oui, j’avais effectivement vu ces anecdotes passer. Peut-être que j’aurais l’occasion d’en reparler lorsque j’évoquerai d’autres Tezuka au fil de mes découvertes.
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Le prix exorbitant des titres d’Isan me fera passer mon chemin par principe mais c’est un titre qui m’a toujours intéressée et tu en parles bien.
Autrement si ça t’intéresse, j’ai lu il y a quelques années, ce très bon « magazine » (c’est peut-être un peu faible pour le décrire) consacré à Tezuka, c’est une vraie mine ! -> http://www.editions-h.fr/M10kimages2.html 😉
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Ah, je ne connaissais pas du tout mais ça m’a l’air passionnant, merci !
C’est vrai que les ouvrages d’Isan sont plutôt cher, je pense que c’est parce que c’est vraiment un éditeur de niche. Celui ci est à 18 euros, ça passe encore et je me suis permis parce que c’est un petit morceau d’histoire du manga, du coup j’avais quand même envie de le découvrir. Mais il doit y avoir beaucoup de Tezuka plus passionnants pour moins cher au final.
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Delcourt et Tonkam vont d’ailleurs sortir une édition prestige de « Phénix » en format « intégrale » dont la sortie du tome 1 est prévue pour le 9 décembre 2020.
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Oui, Delcourt ressort beaucoup de Tezuka, les prix sont un peu élevés compte tenu de la taille des volumes mais ça m’intéresse. J’ai juste Ayako dans ce format pour le moment.
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