Une grande partie du manga se déroule au sein du Weekly Shonen Jump, où notre duo d’auteurs va travailler. De ce fait, il me semble important d’aborder le cas de ce magazine de pré-publication de manga, son organisation hiérarchique et également le système de pré-publication au Japon car tout le monde n’est pas forcément familier de mode de commercialisation. Je vais donc resituer rapidement ce qu’est ce magazine et la façon dont il fonctionne (en tout cas la façon dont Bakuman nous le présente).
Mais c’est quoi, le Weekly Shonen Jump ?
Le Weekly Shonen Jump est un magazine de prépublication de manga, comme je l’ai dit en introduction. Car au Japon, les mangas ne sont pas directement publiés au format poche comme c’est le cas en France, ils sont d’abord pré-publiés dans des magazines dont la périodicité et la longueur par chapitre varie.
Le Weekly Shonen Jump est le plus important magazine de pré-publication de manga en terme de volume de ventes. Il existe depuis juillet 1968 et est à l’origine de la publication d’un grand nombre de titres majeurs dans l’histoire du manga (évidemment, les titres publiés ne sont que des shonen). C’est notamment au sein du Weekly Shonen Jump que des classiques tels que Dragon Ball, Slam Dunk, One Piece, Naruto, Death Note, Kenshin le Vagabond, et bien entendu Bakuman ont été publié en connaissant des succès parfois indécents. Si le magazine reste depuis longtemps le plus vendu au Japon, ses plus grandes années se situent au milieu des années 1990, période où Slam Dunk et Dragon Ball étaient publiés conjointement, ce qui permit au magazine d’atteindre des tirages hebdomadaires dépassant les 6 millions d’exemplaires.
Car un autre élément important à noter est que le magazine est un hebdomadaire (encore une fois, on le devine à son nom), mais ce n’est pas la seule formule possible pour un magazine de pré-publication. Certains sont par exemple mensuels, ce qui ne les empêche pas d’avoir des succès retentissant. On peut notamment penser au Bessatsu Shonen Magazine, qui pré-publie avec un grand succès L’Attaque des Titans au rythme d’un chapitre par mois depuis 10 ans.
Car le marché du manga étant ce qu’il est, de très nombreux magazines de pré-publication existent, avec des cibles éditoriales spécifiques. Et quelques énormes maisons d’édition possèdent de nombreux magazines. C’est notamment le cas de Shueisha, qui édite le Weekly Shonen Jump, mais également Margaret, Young Jump, Jump Square et de nombreux autres. L’appartenance de nombreux magazines à une même maison d’édition permet d’ailleurs à des séries de migrer d’un magazine à un autre au fil du temps, comme ce fut par exemple le cas pour Jojo’s Bizarre Adventure, dont la publication a commencé dans le Weekly Shonen Jump et se poursuit aujourd’hui dans l’Ultra Jump.
Ainsi, le Weekly Shonen Jump propose chaque semaine une vingtaine de séries, avec un chapitre de 19 pages pour chacune (sauf exceptions, comme par exemple les premiers chapitres de nouvelles séries). C’est la raison pour laquelle le rythme de parution français des séries issues de ce magazine sont de l’ordre d’un tome tous les deux mois (à raison de 9 chapitres par tome). Mais compte tenu du nombre de séries en cours, il faut bien, pour pouvoir en lancer de nouvelles régulièrement, trouver un moyen de mettre fin à certaines d’entre elles. C’est ainsi que les classements de popularité entrent en scène.
Les classements de popularité qui ont droit de vie et de mort sur les séries
Car un des éléments importants au sein du Weekly Shonen Jump est qu’il y a chaque semaine un classement de popularité concernant les séries publiées, et de ce classement découle la pérennité ou non des œuvres. Cela semble évident : si un manga ne plaît pas, pourquoi le continuer ? C’est d’ailleurs un des principaux ressorts dramatiques de Bakuman. Tout le long de l’histoire, les classements de popularité sont au cœur des enjeux, puisque le duo Muto Ashirogi souhaite devenir numéro 1, mais surtout, la popularité de leur manga est une condition indispensable pour qu’il continue et qu’il soit éventuellement adapté en anime.
Ces classements de popularité ont donc une importance capitale pour le magazine et pour les mangakas, et il convient de garder cela en tête lorsque l’on lit une série quelle qu’elle soit, car cela explique parfois beaucoup de choses concernant le développement des titres en question. En effet, un manga qui ne plaît pas peut se terminer prématurément, en laissant de côté un univers potentiel qui ne sera pas développé (les exemples sont légion), ou au contraire, un manga qui rencontre un énorme succès peut être étiré à l’excès. Ainsi, même parmi les meilleures séries on peut parfois se demander si elles n’ont pas été rallongées artificiellement pour prolonger leur succès (et donc leur rentabilité). Un autre cas de figure concerne les séries dont le style peut changer, soit de façon naturelle, soit brutalement, pour tenter de séduire un nouveau public quand elles sont en difficulté. Bakuman illustre au fil de son récit toutes ces possibilités, entre les séries stoppées prématurément, les tentatives de changements de ton pour se raccrocher au succès (passer d’un style marginal à de la baston classique notamment), toute une batterie d’exemples fictionnels qui se rattachent néanmoins à des choses bien réelles. Tout cela pour dire que les classements ont un impact sur l’évolution des séries, et qu’ils peuvent expliquer beaucoup de choses parfois.
Mais comment fonctionnent ces classements ? Dans chaque numéro du magazine, une fiche de vote est proposée (en tout cas, c’est comme ça que cela fonctionnait à l’époque de Bakuman), que les lecteurs et lectrices peuvent renvoyer en précisant les mangas qu’ils ont préféré. Ces votes donnent également à Shueisha des indications sur le sexe ou l’âge du public. Ainsi, ces classements permettent de savoir quels mangas sont populaires ou le sont moins, et cela aide les responsables éditoriaux à décider quelles séries doivent être arrêtées ou continuées. On apprend également dans le tome 2 de Bakuman que le classement de chaque chapitre est utile aux auteurs pour savoir dans quelle direction faire évoluer leur histoire. Même sans confirmation, il est évident qu’on peut trouver des indices là-dessus dans de nombreux mangas, où un personnage secondaire très populaire peut devenir central par la suite par exemple.

Ce système entretient une forme de rivalité et d’émulation permanente entre les auteurs, mais aussi un stress et une pression constantes (on reviendra dessus dans un prochain article). C’est d’ailleurs pour cela que certains auteurs deviennent spécialistes des pauses de longue durée (on peut penser à Togashi, qui avait notamment fait une pause de plusieurs années dans Hunter X Hunter). Je me permets d’insister là-dessus, car au-delà d’être un des moteurs de Bakuman et le pivot dramatique du récit, il ne faut pas oublier que dans la réalité, les mangakas vivent très durement, avec des nuits souvent courtes pour tenir des délais stricts (livrer 19 pages par semaine, avec parfois des pages couleur et des illustrations de couverture), et la pression constante des classements qui peuvent amener leurs œuvres à des fins prématurées.
De ce fait, ce n’est finalement pas sans raison que Bakuman se structure autour du rythme de vie très stressant des mangakas, permettant de maintenir une pression et un suspense constant dans l’œuvre. De même, l’organisation hiérarchique au sein de la rédaction du Weekly Shonen Jump est au cœur du manga, c’est pourquoi je n’ai pas développé ce point ici, le gardant pour un prochain article.
Article très intéressant 🙂 merci !
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Merci à toi. En réalité je l’avais écrit il y a quelques mois mais je devais le retravailler. Sauf que je n’arrive pas à trouver la motivation et du coup il me bloquait donc je l’ai posté en l’état, en espérant que dans les sui ants j’aborderai plus facilement les points qui m’intéressent.
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Sincèrement je le trouve très bien comme ça, ne t’inquiète pas 🙂 Parfois c’est difficile d’écrire certains articles, sans vraie raison. Je suis heureuse que tu l’aies partagé !
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Tant mieux alors, ça me fait d’autant plus plaisir qu’il t’ait plu !
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C’est parce qu’on apprend ce genre de trucs en lisant Bakuman que j’adore Bakuman 🙂
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Pareil, et jai encore beaucoup de choses à dire sur ce manga !
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Je sais quel prochain manga je vais commencer 👍. De plus, j’irai le chercher chez mon libraire spécialisé de BD et mangas pour le soutenir à mon niveau de cliente fidèle malgré les circonstances.
Bon week-end.
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J’en suis ravi dans ce cas !
Il ne faudra pas oublier de venir me donner un avis ensuite, en espérant que le manga te plaise (vous plaise même, j’imagine que vous serez plusieurs à le lire).
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