Ma Mangathèque Idéale #1 : Errance d’Inio Asano

Errance Asano

Après la lecture d’Errance d’Inio Asano, je me suis questionné sur le fait d’écrire un simple avis, ou d’intégrer ce one shot à Ma Mangathèque Idéale. En effet, loin de m’avoir simplement emballé, cette lecture m’a vraiment beaucoup touché et fait réfléchir, de par ses thématiques entremêlées et le talent avec lequel Asano développe son récit, à la fois sombre, dur, fort, mais également puissant émotionnellement et très intelligent dans ce qu’il raconte (ou en tout cas, dans l’interprétation que j’en ai faite).

Ainsi, après réflexion, je me suis finalement décidé, et je vais inaugurer cette nouvelle chronique avec ce manga, qui rejoint donc ma Mangathèque Idéale. Je vais vous en expliquer les raisons après un rapide résumé. Mais d’abord, précisons que ce manga est paru en 2017 au Japon, et en 2019 en France chez Kana (qui nous fait encore une fois une très belle édition pour 15 €).

Le mangaka Kaoru Fukazawa vient de terminer un manga qui a eu son petit succès et qui lui a demandé beaucoup d’énergie. Mais voilà qu’il sombre dans le doute et l’incertitude ! Qu’a-t-il envie de dessiner à présent !? Doit-il choisir de se lancer dans un manga qui va se vendre, ce que son éditeur le pousse à faire, ou dans un projet plus personnel qui lui tient à cœur ?
Mais, au fond, a-t-il encore vraiment quelque chose à dire par le biais de ses mangas !?

Me concernant, je ne suis pas très familier de l’univers d’Asano, puisque le seul autre manga de l’auteur que j’ai lu pour le moment est Solanin (qui risque fort de rejoindre ma mangathèque idéale…), et j’avoue souvent faire mes choix d’achat et de lecture en fonction des auteurs, et ce dernier étant quand même considéré comme un mangaka contemporain majeur, j’ai eu envie de connaitre davantage son oeuvre. Errance est donc une seconde étape dans une découverte qui va encore s’intensifier (Bonne Nuit Punpun étant en ligne de mire pour moi). Et grand bien m’en a pris car ce manga est d’une grande richesse thématique, puisqu’en moins de 250 pages, il brasse pas mal de choses et surtout, traite avec une réelle profondeur ce que sont pour moi les deux thèmes principaux de l’oeuvre, à savoir le rapport à sa propre existence et à soi-même, et le rapport aux artistes. Ainsi, je vais essayer d’expliquer au mieux en quoi le développement de ces deux thématiques est passionnant.

Un personnage principal en crise

En effet, le personnage que l’on suit, le mangaka Kaoru Fukazawa, est un homme en crise. Il a la quarantaine, sort d’une série à succès et n’est plus réellement passionné par son métier (l’a-t-il été ? C’est une question que pose le manga). De plus, son mariage bat de l’aile, au point qu’il fréquente régulièrement des prostitués. Vous l’aurez peut-être compris, Asano n’essaie vraiment pas de nous rendre le personnage aimable. Il est même plutôt négatif et même si l’on peut comprendre ce qu’il ressent et son mal-être jusqu’à un certain point, certaines des choses qu’il fait au fil du récit sont tout simplement inacceptables.

Mais le fait que le personnage soit antipathique est selon moi une des forces du récit, mais également ce qui lui donne un côté si sombre. Je tiens d’ailleurs à préciser que, si ce manga semble en partie autobiographique, ou tout du moins inspiré de réflexions qu’Asano a pu être amené à se faire, je n’ai aucune idée de ce qui relève du personnel ou de la fiction. Ainsi, je ne vais pas vraiment m’attacher à ce point précis, même si la fin du manga semble nous donner une clé d’interprétation de ceci (j’y reviendrai).

Pour en revenir au caractère profondément antipathique du personnage, la majeure partie du récit semble nous montrer que ce comportement est lié au fait qu’il soit en crise professionnelle et personnelle. Ces points sont par ailleurs ceux qui donnent au récit une forme d’universalité, puisque je pense que tout individu, et à n’importe quel âge, est susceptible de partager cette forme de crise et de questionnement concernant sa vie et ce qu’il est. Et de ce point de vue, je vois un lien qui peut être fait avec Solanin, même si ce manga est bien plus solaire et positif selon moi. Ainsi, Kaoru se questionne sur sa relation avec sa femme, sur son envie de continuer à faire des mangas et sur les raisons pour lesquelles il devrait continuer ou non. Ses rencontres régulières avec une prostitué en particulier laissent à penser que la perspective d’un renouveau dans sa vie est envisageable.

À partir d’ici, je vais spoiler un certain nombre d’éléments, notamment certains qui arrivent à la toute fin du récit et qui permettent de mettre en perspective tout ça. Donc si vous n’avez pas lu le manga, il vaudrait mieux aller le lire et revenir après.

Car j’ai lu des avis qui mettaient en avant le fait que le personnage était trop antipathique, et que ses actions n’étaient jamais remises en question. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça. Car le récit est à la première personne, entièrement du point de vue de Kaoru. Or, il est clair que le personnage se déteste, même s’il n’est pas capable de remettre réellement en question ce qu’il fait et ce qu’il est. Mais les derniers chapitres du manga, et en particulier les deux passages qui reviennent sur la personne avec qui il sortait à la fac, permettent de prendre de la distance et de mettre en avant les problèmes du personnage. Sa petite amie de l’époque le qualifie de monstre, et a bien saisi les problèmes d’ego du personnage. Or, ce sont ces problèmes et sa frustration qui l’amènent à ce stade à se comporter comme un tel enfoiré. De ce fait, cela nous permet de prendre beaucoup de distance vis-à-vis de ce personnage, auquel par ailleurs on ne peut pas vraiment s’attacher (même si comme je l’ai dit, je peux comprendre certaines de ses réactions, sans pour autant trouver ça normal).

Ainsi, tout le développement du personnage principal du récit permet selon moi de mettre en avant des comportements et défauts (c’est peu de le dire) très humains et qui ont finalement une certaine universalité (même si j’ose espérer que ses comportements, notamment vis-à-vis de sa femme ne sont pas quelque chose de fréquent…). Mais dans le même temps, le fait que le personnage soit un mangaka permet de développer un discours plus spécifique sur la figure de l’artiste.

Asano cherche-t-il à briser le mythe de l’artiste ?

La fin du récit m’a particulièrement marqué, car après toute une partie où le personnage principal se demande s’il veut encore écrire des mangas, où il semble en crise créative, il finit par prendre la décision de revenir avec un nouveau titre. Ce nouveau titre rencontre par ailleurs le succès et Asano conclut ainsi avec deux scènes très lourdes de sens, et assez terribles.

Tout d’abord, le personnage donne une interview dans laquelle il semble extrêmement cynique, expliquant qu’il a tout fait pour écrire un manga qui fasse pleurer « même les imbéciles », démontrant une certaine forme de mépris pour les lecteurs et lectrices. Ensuite, on le voit à une séance de dédicace, durant laquelle il signe un exemplaire de son nouveau manga à une jeune fan qui lui explique qu’il est son Dieu, et que ses œuvres lui ont permit de tenir le coup et de supporter les difficultés de la vie.

Asano nous propose là un véritable moment de génie en terme de mise en scène (par ailleurs, l’intégralité du volume est d’un très très haut niveau en terme de visuel et de mise en scène). Sur une page, on voit la jeune fille prendre la main de l’auteur, les larmes aux yeux, et ce dernier se met aussi à pleurer. On pense dans un premier temps qu’il est touché par ce qu’elle a dit et que finalement, il y a une forme d’altruisme chez lui et une vraie envie de toucher les gens. Mais à la page suivante, il répond « Mais tu n’as rien compris… », nous confirmant tout le cynisme de la démarche du personnage, mais surtout, à quel point l’homme que l’on suit est très différent de ce qui transparaît dans ses œuvres.

Errance

Et c’est là qu’est selon moi toute la force de ce manga, en tout cas tel que je l’interprète. Je l’ai dit et je le répète, j’ignore si Asano se projette dans son personnage et se voit comme lui. J’espère pour lui qu’il est aux antipodes de cet homme, mais la vérité est que je n’en ai aucune idée. Et selon moi, c’est tout le sujet de ce manga. J’entend par là qu’en tant que passionné, je peux avoir une tendance à admirer certains artistes (et ce quel que soit le domaine) et à m’en faire une représentation sur la base de leur travail. Or, l’oeuvre et la personne qui en est à l’origine peuvent être très différentes, et c’est selon moi le message profond d’Errance. Il ne s’agit pas tant de parler d’un artiste en crise créative que de nous parler d’un artiste brillant, dont l’oeuvre est touchante et puissante à tel point qu’elle entre en connexion avec un grand public, mais qui finalement est humainement une personne horrible.

La question de l’homme et de l’artiste est très fertile et est très souvent discutée, que ce soit entre les fans ou dans les médias, et il semblerait qu’on puisse avoir des visions très différentes sur le sujet. Les artistes eux-mêmes se positionnant (les récentes affaires telles que celle concernant Harvey Weinstein en sont de bons exemples), et Asano semble le faire ici à travers le portrait qu’il dresse de cet artiste de talent qui est une personne horrible. Il semble nous dire (du moins, c’est ainsi que je l’ai pris) que l’on ne connait pas les artistes, et qu’on ne peut en aucun cas tirer de conclusion sur eux sur la base de leur travail qui peut reposer sur une vision très cynique des choses. Et en ça, ce manga est réellement très puissant, même s’il nous assène quelque chose de très difficile à digérer. Puisqu’en tant que lecteurs et lectrices, nous sommes mis dans la position de la jeune fille qui est bouleversée par les œuvres de cet auteur, alors que lui-même semble n’avoir aucune considération pour elle.

Malgré la dureté de ce que nous dit Asano, rien ne nous interdit de croire (à raison je l’espère) que les artistes ne sont pas tous comme ça. Mais il semble nous mettre en garde et nous inviter à prendre un peu de distance vis-à-vis de ces figures idéalisées qui ne sont finalement que des êtres humains comme, avec leurs défauts, qui peuvent parfois être énormes au point d’en faire des personnes détestables…

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11 commentaires

  1. Clairement il y a Inio Asano et les autres…
    tu vois, la place n’est pas extensible même chez moi, et j’en viens de plus en plus à sélectionner les manga que je vais garder, ceux qui sont culte (pour n’importe quelle raison) et les autres, qui sont sympa, mais quen😁je qualifie juste de consommable. 😁

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      • Si jamais tu veux creuser dans l’univers de Inio Asano, je te conseille Solanin un gros one-shot récemment réédité, ainsi que Bonnuit Punpun (fini en 11 tomes) et Dead Demon Dededede Destruction (toujours en cours avec 7 tomes) tous édités chez Kana 🙂
        Il y a aussi d’autre one-shot ou des titres en deux tomes, mais je ne les ai pas encore testé ^^

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      • En fait j’ai déjà lu Solanin, j’avais acheté l’intégrale lors de sa sortie il y a quelques mois, mais c’est vrai que je n’ai pas écrit dessus. Je pense le relire et écrire ensuite.

        Bonne nuit Punpun est sur ma liste d’achats !

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