Mon avis sur… Le Mari de mon frère de Gengoroh Tagame

Mari de mon frère

Décidément, je lis beaucoup de mangas édités par Akata en ce moment. L’occasion est donc idéale de parler très rapidement de l’éditeur avant d’aborder Le mari de mon frère. Je pense que les fans de mangas ont tous et toutes une certaine image des différents éditeurs, en fonction de leur histoire ou de leur positionnement éditorial. Concernant Akata, s’il s’agit d’un éditeur modeste en taille, il n’en reste pas moins très important sur le marché et très identifiable par son positionnement très affirmé. Me concernant, dès que je pense à Akata, je pense à un éditeur aux mangas souvent originaux et engagés. On y trouve beaucoup de mangas touchant à des thématiques sociales importantes, avec notamment une belle proposition en terme d’œuvres LGBT. Et même lorsqu’ils éditent une série de shonen nekketsu au long cours, on se retrouve avec Prisonnier Riku qui, en plus d’être une merveille absolue, porte en elle un discours social et politique très fort. Ainsi, Akata s’affirme pour moi comme un éditeur majeur du secteur, qui pour le moment ne m’a jamais déçu. Et ce n’est pas encore avec Le mari de mon frère que cela arrivera ! Cette série courte (4 tomes), que l’on doit à Gengoroh Tagame, artiste très connu dans le milieu gay dont c’est la première oeuvre mainstream, est passionnante à plus d’un titre et a parfaitement sa place dans la proposition LGBT de l’éditeur, comme nous allons le voir.

Yaichi élève seul sa fille. Mais un jour, son quotidien va être perturbé… Perturbé par l’arrivée de Mike Flanagan dans sa vie. Ce Canadien n’est autre que le mari de son frère jumeau… Suite au décès de ce dernier, Mike est venu au Japon, pour réaliser un voyage identitaire dans la patrie de l’homme qu’il aimait. Yaichi n’a pas alors d’autre choix que d’accueillir chez lui ce beau-frère homosexuel, vis-à-vis de qui il ne sait pas comment il doit se comporter. Mais ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ? Peut-être que Kana, avec son regard de petite fille, saura lui donner les bonnes réponses…

Le résumé est très réussi puisqu’il synthétise parfaitement le cadre dans lequel se déroule le manga, et permet déjà d’évoquer les forces de cette série courte. Car ce qui est remarquable d’emblée dans la série, c’est la qualité d’écriture de ces trois personnages, en particulier de Yaichi, dont nous partageons les pensées. Sans le savoir, cet homme a un certain nombre des présupposés concernant l’homosexualité, qui, s’ils ne sont pas forcément assimilables à de l’homophobie, sont quand même des choses problématiques. Dès le premier tome, c’est son rapport à sa fille et la façon dont cette dernière accueille Mike qui vont l’amener à se questionner sur lui-même et sur son comportement.

C’est une des excellentes idées de la série : Kana, avec son regard pur d’enfant, ne se pose même pas de question vis-à-vis de l’orientation sexuelle de Mike, et cette façon d’aborder les choses va faire comprendre à Yaichi bien des choses à ce sujet. De ce fait, ce personnage principal pousse à questionner nos propres présupposés et conceptions toutes faites des choses, et son évolution parfaitement gérée (d’autant plus qu’elle s’inscrit dans une temporalité très courte, le récit se déroulant sur environ trois semaines) donne sa richesse au récit.

Ainsi, la thématique de l’homosexualité qui est la plus importante de la série (mais pas la seule, nous le verrons par la suite) est traitée avec une grande intelligence et avec beaucoup de richesse. On voit bien que l’auteur a longuement réfléchi a la question et son expérience de vie a dû bien nourrir son récit. On passe ainsi d’idées assez classiques à des choses plus pointues et toujours contextualisées. Yaichi en vient par exemple à se questionner sur la meilleure façon de protéger sa fille du harcèlement qu’elle pourrait subir si elle-même était homosexuelle. De même, la question de l’outing, de l’homophobie ordinaire, mais aussi des droits sociaux des personnes homosexuelles au Japon par rapport aux autres pays sont traitées. Je ne suis pas du tout spécialiste de la question, ni concerné directement, mais en lisant ce manga, j’ai trouvé beaucoup de notions auxquelles je n’aurai pas pensé directement en lien avec l’homosexualité, toutes abordées très intelligemment. De même, entre chaque chapitre, l’auteur propose des petites explications sur des éléments de la culture gay très intéressants (même si une bonne partie me semblent assez connus).

Mais comme je l’ai dit, si l’homosexualité est au cœur du récit, d’autres thématiques viennent se greffer très naturellement à l’histoire qui est racontée. J’ai abordé rapidement la question des différences culturelles entre le Japon et le Canada concernant les droits des personnes homosexuelles, mais le fossé culturel entre les deux pays n’est pas abordé que de ce point de vue. On évoque également des questions telles que la monoparentalité, le fait d’être homme au foyer (d’ailleurs on a droit a beaucoup de cuisines et de séquences de bouffe, un vrai plaisir !), le harcèlement scolaire et la façon dont le Japon l’aborde. Compte tenu de la durée de la série et pour des raisons de fluidité du récit, certaines thématiques restent en surface alors que d’autres sont traitées plus densément. Dans tous les cas, tout s’imbrique parfaitement, rien ne vient faire tâche et ne nuit jamais au développement de l’histoire et des personnages. De ce point de vue, on ne peut que saluer le travail d’écriture de l’auteur qui aurait pu se perdre dans une telle richesse thématique.

Mais au-delà de la richesse thématique de l’histoire, un élément majeur reste la qualité du récit en lui-même et le plaisir que l’on a à le parcourir. Car une histoire intelligente, si elle est mal racontée, n’aurait pas grand intérêt. Fort heureusement, le mangaka sait où il va et arrive à garder notre attention durant les quatre tomes. La construction du récit a un léger fil rouge narratif : le voyage de Mike au Japon et sa volonté de connaitre la famille de son défunt mari. Mais ce fil conducteur étant léger, l’auteur peut développer des situations un peu déconnectées les uns des autres dans les différents chapitres, permettant d’aborder des thématiques différentes et des axes d’évolution pour Yaichi, qui est l’auteur fil conducteur du manga. Car comme je l’ai dit, la grande force du récit vient de ses trois personnages principaux et de leur écriture de grande qualité. Ce que j’ai particulièrement aimé, c’est que l’on ressent tout l’amour et la bienveillance qu’ils ont les uns pour les autres, et si en début d’histoire Yaichi ne sait pas comment se comporter vis-à-vis de Mike, il va évoluer très rapidement et de façon parfaitement crédible pour au final se comporter avec lui de façon extrêmement chaleureuse et bienveillante. En ça, je pense qu’on peut qualifier ce récit de « feel good » dans ce sens où cela réchauffe vraiment le cœur de voir de si belles personnes. On pourrait éventuellement trouver ceci très idéalisé de ce fait, car il ne semble pas y avoir d’éléments venant noircir le tableau, mais je trouve que le contexte et le développement des personnages rendent tout ceci parfaitement crédibles, d’autant plus que des éléments sont évoqués afin de nous faire comprendre qu’on nous décrit une situation bien spécifique, mais que la question de l’homosexualité n’est pas toujours aussi facilement abordée et accueillie.

Toute cette douceur et cette bienveillance se ressent dans le trait de l’auteur, assez épuré mais malgré tout très chaleureux. Je trouve notamment qu’il a parfaitement réussi le design du personnage de Mike, qui dégage quelque chose d’extrêmement doux et familier. Son découpage est également très efficace et rythme avantageusement un récit parfaitement écrit. Vous l’aurez donc compris, je ne vois personnellement rien à reprocher à ce manga, qui est parfaitement écrit et illustré et qui développe intelligemment ses thématiques, loin de se borner uniquement à la question de l’homosexualité même si elle est effectivement au cœur du récit. De ce fait, je suivrai avec intérêt l’évolution de la carrière de l’auteur concernant les mangas mainstream. Sur ce point, sachez d’ailleurs que son manga suivant, Our Colorful Days, est disponible en numérique et en simultrad légalement chez Akata, et aura droit à une édition papier à partir de 2020. Il est clair que je me jetterai dessus dès lors que le premier volume sera paru !

En résumé, Le mari de mon frère est un coup de cœur et quelque part une surprise. Si je n’avais aucun doute sur la qualité de la série compte tenu de sa réputation, je ne m’attendais pas à une telle richesse en seulement quatre tomes. Ainsi, si l’oeuvre est axée sur la question de l’homosexualité, le nombre de thématiques abordées est bien plus vaste et permet d’élargir avantageusement le discours du manga pour en faire quelque chose de plus universel. De ce fait, je me permet de penser qu’on a affaire à une oeuvre magnifique et incontournable pour quiconque s’intéresse au manga.

 

25 commentaires

  1. Akata a su garder la même ligne éditoriale depuis le début : proposer des titres pas foncièrement mainstream et qui traite de sujets de société. Akata montre et démontre que le manga est un vecteur pour aborder des sujets parfois complexes. J’aime beaucoup cet éditeur.
    Pour ce qui est de ce manga, je ne l’ai pas encore lu mais le sujet donne très envie. La tolérance est souvent quelque chose d’innée par contre les préjugés on les apprend…

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  2. Très belle chronique =D
    En tout cas je te rejoints sur Akata qui est un éditeur que j’aime bien aussi il publie souvent des titres qui traite de sujet de société et je trouve ça très sympa ça apporte un vent de fraîcheur dans le monde de l’édition. On voit qu’il choisit leur licence avec beaucoup de soin.

    Bon concernant Le mari de mon frère comme je te l’ai dit je ne l’ai pas lu mais c’est un titre qui me fait envie depuis pas mal de temps j’espère que j’aurais l’occasion de le lire avant la fin de l’année quand même et vu ton avis ça devrait énormément me plaire même si j’ai peu de doute à ce sujet

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  3. J’adoooore cette série et l’illustration de ton article explique parfaitement ce que j’aime dans ce manga. On parle de l’homophobie quotidienne, celle qui est vicieuse et où les gens réagit et se rendent compte après coup d’avoir gaffé.

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  4. Pour moi, c’est l’un des plus beau manga que j’ai pu lire, aux côtés de Orange (également chez Akata d’ailleurs) 😍😍
    Si tu as aimé, il y aura l’année prochaine le nouveau manga de cet auteur, Our Colorful Day, qui est excellent également (je le lis en simultrad).
    Et si je peux te conseiller un autre titre avec des fortes thématiques tu as Éclats d’âme également chez Akata (décidément 😁). Si tu veux, j’en avais parlé lors de la sortie du premier tome 😉

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    • Oui, Eclats d’âme fait partie des titres que j’ai très envie de lire, avec Orange aussi justement. En plus ce sont des séries courtes !

      Je parle très rapidement de Our Colorful Day en fin d’article pour justement signaler que j’attends la version papier avec impatience !

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  5. bonjour, comment vas tu? comme je te le disais, j’ai aussi adoré cette oeuvre que j’ai découvert par hasard en médiathèque. il existe une version live mais je ne suis pas encore tombée dessus. passe un bon vendredi et à bientôt!

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  6. Je partage totalement ton coup de coeur et ton ressenti. J’ai aussi trouvé qu’il y avait une grande intelligence et subtilité chez l’auteur alors qu’en même temps il est très honnête dans ce dont il parle. L’idée de voir l’histoire à travers le regard de Kana est excellent. Un titre à lire et relire 😀

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  7. « …dès que je pense à Akata, je pense à un éditeur aux mangas souvent originaux et engagés ». J’en discutais justement avec une jeune fille sur Instagram. Elle est assez peu connue mais le peu de manga édités font mouche. J’ai lu récemment chez eux « Celle que je suis » qui traite de la transidentité. J’ai ce manga dans le viseur également.
    D’ailleurs, cet article fini de me convaincre ! (et vive les séries courtes et pertinentes)

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    • Oui, encore une fois, ça fait du bien d’avoir des séries qui ne prennent pas 10 ans et un budget infini. En plus, celle-ci arrive à être très dense malgré ses seulement 4 tomes.
      Et Akata trouve souvent des petites pépites comme ça. Celle que je suis m’intéresse aussi, tout comme Éclats d’Âme (en 4 tomes).

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