The Promised Neverland, un manga végétarien ?

The-Promised-Neverland

Toute oeuvre est une co-construction, c’est à dire que le sens vient à la fois de ce que le ou les auteurs y mettent, mais également de l’apport du récepteur. En effet, le sens que l’on fait émerger vient également de notre sensibilité propre, de notre vision du monde, et de tout ce qui nous façonne. Ainsi, nous avons une liberté analytique et interprétative face aux œuvres qui explique que leur richesse semble variable d’une personne à l’autre. Et parfois, ce qui est contenu dans une oeuvre entre en résonance avec notre vision des choses, et les frictions entre les deux créent quelque chose de fertile.

Pourquoi je précise tout cela en introduction ? Car l’interprétation que je vais vous proposer de The Promised Neverland m’est propre et vous avez le droit de ne pas voir les choses de la même façon. De plus, étant moi-même végétarien et défenseur des animaux, il se peut que ma vision de ce manga soit influencée par cet état de fait. Je vais malgré tout vous faire part de tous les éléments qui me font penser que The Promised Neverland est un manga qui met la notion de végétarisme au cœur de son récit et de son discours. Pour ce faire, je vais évidemment me baser sur des indices disséminés tout au long de l’histoire, et je serai donc amené à spoiler des éléments de l’univers qui se dévoilent au fil du récit. De ce fait, si vous n’êtes pas à jour, vous risquez de vous gâcher un certain nombre de surprises (car ce manga n’en manque pas !).

Autre petite remarque avant de commencer : vous constaterez peut-être qu’il suffit d’une petite recherche google pour voir que je ne suis pas le premier (et ne serait pas le dernier) à voir un discours sur le végétarisme dans ce manga (si vous êtes anglophones, vous pouvez trouver à ce lien un article de PETA sur le sujet). Je n’ai pas pour ambition d’apporter une vision inédite, je souhaite simplement partager MA vision et MON interprétation, qui est sans doute partagée par certain(e)s et pas par d’autres. Mais comme c’est un élément qui m’a énormément parlé dans ce manga et qui fait beaucoup pour sa qualité à mes yeux, je souhaitais le partager. De même, cet article n’a pas pour but de prôner le végétarisme, chacun et chacune fait comme il le souhaite et je ne vais pas donner de leçons à qui que ce soit. Je souhaite simplement mettre l’accent sur un élément thématique du manga qui m’a parlé et m’a semblé intéressant. Enfin, il est tout à fait possible de prendre plaisir à la lecture de The Promised Neverland sans s’intéresser à cette thématique, et de l’apprécier pour ses qualités d’écriture ou esthétiques.

Promised Neverland

À vrai dire, l’aspect « végétarien » du manga ne m’est pas apparu tout de suite. Cela peut paraître étonnant puisque dès le premier chapitre on apprend que l’orphelinat Grace Field sert à faire grandir des enfants pour finalement les donner à manger aux « démons » qui sont à l’extérieur. De ce fait, le côté « élevage » de ce lieu peut sauter aux yeux de certains et certaines, mais ce ne fut pas mon cas, je dois l’avouer. Je pense que c’est lorsque le champ lexical utilisé pour décrire le lieu a évolué que je me suis fait cette réflexion, c’est à dire lorsque l’on commence à en parler comme d’une « ferme » ou d’un « élevage ». Mais le moment où cette thématique prend réellement de l’ampleur et où il me semble compliqué de dire que c’est une vue de l’esprit a lieu dans le tome 6.

En effet, alors que les enfants, menés par Emma et Ray, se sont évadés et découvrent le monde extérieur, on en apprend davantage sur ledit monde lorsqu’ils rencontrent Sonju et Mujika, deux démons qui leur sauvent la vie. Ils expliquent aux enfants que le monde était avant peuplé d’humains et de démons, mais qu’à force de se chasser mutuellement, les deux espèces ont décidé de vivre séparées dans deux mondes si l’on peut dire, totalement séparés l’un de l’autre. Lorsque ce pacte fut scellé entre les hommes et les démons, des humains ont été donnés en offrande, permettant de créer des fermes dans lesquels les hommes seraient élevés comme du bétail afin de nourrir les démons. Ainsi, les enfants du manga sont les descendants de ces premiers êtres humains donnés en offrande.

Sonju et Mujika expliquent que par la suite, de nombreuses exploitations ont vu le jour afin de faire des élevages intensifs (encore une fois, tout le champ lexical agricole y passe). Nous comprenons suite à cela que Grace Field est une ferme qui produit du bétail « premium » et que les enfants passent de nombreux tests et vivent dans l’affection de Maman pour produire cette nourriture premium. Les démons se nourrissant des cerveaux des enfants, leur bon développement est contrôlé afin qu’ils soient de la meilleure qualité possible. Mais Sonju et Mujika apprennent à nos héros qu’il existe des élevages faisant dans la production de masse, où seul le rendement compte (voir image ci-dessous).

Elevage intensif
L’élevage intensif qui évoque des pratiques réelles concernant les animaux.

Ils précisent que les enfants qui naissent dans ces élevages n’ont ni nom, ni conscience et qu’ils ne sont même pas en mesure de communiquer. Cela évoque selon moi les méthodes d’élevage bien réelles où des animaux ne peuvent même pas se déplacer et sont cloués au sol, dans des cages ou autre. Tout ceci m’a amené à réfléchir rétrospectivement à ce qui se passe précédemment dans l’histoire, comme par exemple le fait que Maman dise aux enfants qu’ils ne peuvent pas s’évader mais que rien ne les empêche de vivre ensemble heureux tout le temps que dure leur vie avant d’être amenés à l’abattoir. Ce point rejoint de vraies questions posées concernant l’élevage d’animaux et la notion de « bien être animal ». Et de ce point de vue, de nombreux éléments de cet univers peuvent être vus selon ce point de vue métaphorique.

Est-ce à dire que le manga prône une forme de végétarisme ? Je ne suis pas sur, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, il faut préciser que j’ai beau avoir cherché des informations concernant le régime alimentaire de l’auteur, je n’ai trouvé aucune confirmation concernant le fait qu’il serait ou non végétarien. Mais au-delà de ceci, plusieurs choses me font dire que ce n’est pas forcément un manga qui incite au végétarisme. Tout d’abord, rien n’indique qu’il y a une volonté « moralisatrice » dans le manga, il est tout à fait possible que cet élément ne soit utilisé que dans le but de nourrir l’ambiance du récit, sans pour autant être porteur d’idéologie quelconque. Cependant, l’évolution du point de vue d’Emma sur la question laisse à penser que ce thème est vraiment traité consciemment, mais cela ne veut pas dire que le message est : « devenez végétarien ». Un élément qui me laisse à penser cela vient du fait qu’Emma apprend à chasser les animaux spécifiques à cet univers, et la dépouille que l’on peut voir à cette occasion rappelle le premier (et seul à ce stade) cadavre d’enfant que l’on est amené à voir dans le manga. Le fait de chasser remet en question le point de vue d’Emma et dévoile la complexité du rapport à la nourriture, puisque cette dernière dit : « Pas question de se faire dévorer ! Mais nous aussi, pour vivre, nous devons nous nourrir. Et ce n’est pas un acte anodin. »

Ainsi, le personnage semble nous dire que rappeler que manger de la viande quelle qu’elle soit implique la mort, et qu’il faut bien en avoir conscience. Par ailleurs, au-delà de l’exemple spécifique de The Promised Neverland, j’ai l’impression que c’est une notion bien ancrée dans la culture japonaise si je me base sur les mangas que je lis. Par exemple, Silver Spoon met en avant l’importance de respecter le bétail qui permet de nourrir les hommes, tout comme Prisonnier Riku avec le personnage de Takagi qui apprend à Riku et Renoma à respecter le fait que les animaux donnent leur vie pour les nourrir (notamment en faisant une prière avant de manger).

De ce fait, si il est compliqué d’affirmer que The Promised Neverland est un manga qui délivre un message végétarien, il me semble cependant évident que la question de l’élevage industriel et de notre rapport au bétail est évoquée, ne serait-ce pour créer un sentiment de malaise chez les lecteurs et lectrices. Mais une des forces du récit est de ne pas pour autant tomber dans la voie du militantisme et offre simplement une piste d’interprétation fertile qui vient enrichir l’oeuvre tout en amenant éventuellement à nous questionner sur notre propre rapport à la viande et à ce que sa consommation implique. En cela, je trouve que cet élément contribue à la richesse de cette série, tout en restant suffisamment au second plan pour ne pas prendre le pas sur le développement de l’intrigue.

MAJ tomes 8 et 9 : 

Maintenant que j’ai lu les tomes 8 et 9, une mise à jour de cet article s’impose car de nouveaux éléments se sont fait jour concernant la métaphore des traitements infligés aux animaux dans The Promised Neverland. En effet, dans le tome 8, Emma est capturée par des démons et se réveille emprisonnée à l’intérieur d’une ville étrange, aux côtés d’autres enfants. Bien vite, il apparaît qu’il s’agit en fait d’une zone de chasse secrète, dans laquelle des démons appartenant à une certaine forme de noblesse s’adonnent à des chasses illégales pour le plaisir.

Terrain de chasse de Lord Bayon

Ainsi, cette chasse particulière m’a rappelé certaines pratiques qui ont cours dans la réalité, que ce soit la chasse à cour (très connotée socialement puisqu’il s’agit d’une pratique réservée aux individus d’un certain niveau de richesse), mais aussi la chasse en enclos dont il est possible que vous ayez entendu parler récemment. L’Association pour la protection des animaux sauvages a en effet filmé des chasses en enclos (voir cet article de 30 millions d’amis), qui est qualifiée de « parc d’attraction pour chasseurs ». L’utilisation de ce terme est intéressante je trouve, car dans le tome 8 de The Promised Neverland, je trouve que le lieu où se déroule la chasse évoque justement les parcs d’attraction.

Cette péripétie permet encore une fois de développer la question de la chasse. Emma constatait il y a quelques tomes qu’elle chassait par nécessité et qu’il ne fallait pas que cela soit considéré comme un acte anodin (survivre en ôtant une vie). Or, elle est ici confrontée à une forte opposition idéologique avec cette idée de chasse comme activité de loisir, entraînant une mort des enfants dans la peur pour le seul divertissement d’une élite démoniaque. Encore une fois, le manga est très juste et intelligent dans sa façon de mettre en avant sa métaphore des traitements animaux. Et nous verrons par la suite si les auteurs continuent dans cette voie.

30 commentaires

  1. Oh j’aime tellement ton article il est super intéressant ! En lisant ces livres l’aspect élevage intensif et des images que font circuler les assos comme L214 me sont venu en tête mais je ne pensais pas à quelque chose d’aussi poussé. Et l’article de Peta est tout aussi captivant !
    Team feuillu on est la 😋🌿

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    • Ça me fait très plaisir de lire des réactions positives à mon article.
      Après, je ne cherche pas à faire changer les mentalités ou autres, je souhaitais mettre en avant un élément thématique qui m’a beaucoup parlé et qui, il me semble, participe à la richesse du manga.

      J’envisage de mettre à jour l’article au fil de ma lecture si jamais cet aspect se retrouve encore plus développé par la suite.

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      • Oui j’ai bien compris excuses moi pour mon enthousiasme disons que ce sujet ainsi que la mise en avant de « la richesse du manga » m’ont beaucoup plu.

        D’accord et comment savoir quand auront lieu les màj ? 🙂

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      • Oh pas de soucis concernant ton enthousiasme.

        Pour les mises à jour, je préviendrai sur twitter ou dans un article du type « Bilan mensuel » ou « c’est lundi, que lisez-vous ? », mais ça ne sera pas tout de suite étant donné qu’il faut déjà qu’ils sortent de nouveaux tomes en France.
        Disons qu’il ne faut pas s’attendre à plus d’une mise à jour cette année pour cet article.

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  2. Je savais pas que PETA évoquait TPN pour sensibiliser les gens mais bon je suis pas très étonné vu la thématique autour de l’élevage.
    En tout cas pour donner mon avis je ne pense pas que le manga prône le végétarisme ça serait aller loin mais bon après chacun à son interprétation du manga mais ce que je peux dire c’est que les auteurs mettent en avant l’élevage intensif pour la consommation on ne peut faire que le parallèle avec notre société ou c’est une pratique fortement utilisé dans le but d’assouvir la demande. Les conditions dans lequel sont élevé les animaux sont parfois inhumains même si je suis pas végétarienne ça ne m’empêche pas de trouver cela horrible mais c’est un peu à cause des consommateurs j’ai envie de dire .
    Bref pour en revenir au manga c’est un des nombreux thèmes qui y est développé et même par la suite on va encore plus loin en terme de psychologie sans te dévoiler les différents événements Emma va être amener à s’interroger sur l’alimentation des démons en faisant le parallèle avec les humains qui consomment pourtant de la viande et tue aussi des être vivants pour cela en gros si on regarde bien les démons ne sont pas si différents des humains à travers leur mode de consommation. Il y a quand même une vrai volonté de la part des auteurs de nous faire réfléchir sur cela même si le manga ne prend pas parti mais laisse le lecteur seul interprète.
    C’est une des nombreuses choses que j’apprécie sur la série d’ailleurs.

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    • Je vois que nos interprétations de la chose se rejoignent sur le fait que les auteurs ne prônent pas forcément le végétarisme mais parlent malgré tout de l’élevage.
      J’ai hâte d’avancer dans le récit pour voir ce qu’il en est. Je me doute qu’une réflexion est en cours chez Emma depuis qu’elle commence à chasser, et je suppose aussi que le point de vue qui nous est montré pourrait évoluer, notamment en nous en apprenant plus sur les démons.

      Dans tous les cas, je suis impatient !

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  3. Très bon article sur un sujet intéressant. Moi aussi je ne l’ai pas forcément remarqué au départ (même si c’était évident) mais à partir du sixième volume où se rend vraiment compte que l’idée est de mettre l’Homme à la place du bétail.

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  4. L’élevage est clairement mis en avant, avec des fermes oui, après je vois pas trop de discours végétarien dans TPN, et c’est tant mieux 😁
    Bel article, bien construit, bien que peut être un peu trop capilotracté à mon sens, je ne suis pas certains que les mangaka essaient de faire passer un discours végétarien. Ou alors, c’est comme souvent ceux qui le sont qui le voient partout ? Je sais pas trop 🤔
    Et voilà. Tu me fais réfléchir, c’est malin 😅

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    • Oui, c’est ce que j’explique au début, étant moi-même végétarien, ça influence forcément ma façon de voir/lire les choses.
      J’ai voulu quand même montrer que certains éléments me semblent aller dans ce sens, tout en étant nuancé quand même.

      Par exemple, le simple fait qu’Emma chasse et mette ça en parallèle avec l’élevage semble nous dire que c’est « OK » en quelque chose de manger de la viande, même si ce n’est pas anodin.

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  5. Tout est dit! Je ne pense pas qu’il y ai vraiment un message végétarien pour les raisons que tu invoque (Emma et la chasse par exemple…). Selon moi beaucoup ont eu cette analyse en ne se basant que sur l’anime, c’est d’ailleurs à cette période que ces analyses sont sorties.

    Mais si je devais juger The Promised Neverland sous l’angle du végétarisme, je dirais plutôt que cette série plaide contre l’élevage/agriculture intensif/ve. Ce serait plutôt un retour à des activités d’agriculture et d’élevage plus raisonnable et durable. Sans trop spoiler il y a un arc sur la chasse dans le manga mais où les démons tuent par plaisir et non pas par nécessité comme le fait Emma. Ce serait donc un plaidoyer en faveur d’activités agricoles, d’élevage et de chasse plus raisonnables.

    Maintenant on ne peut prouver avec certitude que c’est ce que l’auteur a voulut exprimer, d’autant plus qu’on approche doucement de la fin du manga.

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    • J’ai hâte de voir ce qu’il en est par la suite, et je mettrai d’ailleurs à jour mon article en fonction de ce qui se passe.

      Et effectivement, je ne pense pas non plus que ça prône le végétarisme comme j’ai tenté de l’expliqué, mais comme tu le dis bien, que ça met plutôt en avant l’importance d’une agriculture plus durable et raisonnable. En tout cas, je trouve ça vraiment très intéressant, d’où le fait que j’ai eu envie d’écrire dessus.

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  6. Article très intéressant ! J’ai eu la même réflexion quand j’ai commencé à lire cette série sans aller jusqu’au tome 6 pour autant. Je trouve que cette réflexion se retrouve aussi dans la série Starving Anonymous qui elle n’hésite pas aussi à parler dès les premières pages de réchauffement climatiques !

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  7. Je suis entièrement d’accord, étant moi-même végétarienne, lorsque j’ai lu ce manga (production de masse/qualité, etc.) + les scènes troublantes (enfants alimentés sous perf…) j’avais aussi vu une critique derrière les prises de positions de l’auteure.
    Si jamais tu es intéressé par des œuvres engagée, regarde Okja !
    Super film.
    Merci pour ton esprit critique et ton analyse!

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  8. Salut 🙂
    Ton article résume assez bien mon avis sur ce manga et ce tome en particulier (que j’ai publié sur mon blog dans un avis bien moins structuré 😉 )
    Je fais partie de ceux qui avaient vu la dimension « élevage » dès les révélations du début, mais effectivement le sujet est de plus en plus présent dans le tome 6 et 7.
    Je trouve toute cette réflexion intéressante et je suis d’accord avec toi : le personnage de Emma incarne selon moi l’avis de l’auteur : le végétarisme n’est pas obligatoire (dans ce manga) mais l’élevage et l’abattage doit être fait dans le respect. Ce sont de bonnes pistes de réflexion et d’ouverture d’esprit pour changer nos modes de consommation.

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